Chez Wanda et ses sirènes…


C'est au cœur du Barrio Chino, du Raval. Là où Barcelone sent encore Barcelone. Je vous en parlais il y a quinze jours au travers de ce bar étonnant, le Never More, nous sommes aujourd'hui dans la rue d'à côté. Calle de las Carretas, exactement, qui hésite désormais entre les bazars orientaux et des lieux plus branchés, au numéro dix-huit. On est à la fois tout près des Ramblas, du vieux Port et des quartiers à touristes, mais transporté dans un autre univers.


Lo de Flor, c'est d'abord une femme, Flor Falchetti, une Argentine de Buenos Aires, un caractère, un physique, une énergie. Une femme entourée de femmes. En cuisine, en salle, au bar. Lo de Flor est une gynarchie, ici ce ne sont pas les mâles qui décident.
Vous vous en doutez, l'endroit tranche avec les échoppes voisines mais finalement s'intègre parfaitement au quartier. Parce que, tout en évitant soigneusement la faute de goût, il ne surjoue pas et évite le piège du tiré à quatre épingles, du total look comme on l'aime à Barcelone, souvent au détriment de l'âme. Oui, ici, comme au Never More, on sent comme une résurgence du sulfureux Barrio Chino. En plus chic, certes, dit avec le langage d'aujourd'hui, mais l'esprit est là.


Élégant et décontracté, voila comment on définirait ce restaurant dans un magazine étranger, un peu BoBo, ajouterait-on, perfide, à Paris; BoBo, mais sans la pose, à la méditerranéenne, comme ça vient. Flor, tour à tour maîtresse d'école ou meneuse de revue donne le tempo. Pour dîner (on ne déjeune pas chez elle, on dîne seulement), le mieux, c'est d'ailleurs de la laisser faire, ne vous inquiétez, elle ne va pas vous entraîner dans un de ces pénibles menus-dégustation qui n'en finissent jamais, qui montrent souvent plus d'indécision et d'ostentation que de réel talent, véritables "supplices de la goutte d'eau". Son truc à elle, c'est de jongler entre ses pequeños et grandes placeres.


L'autre soir, nous y avons simplement, mais très bien mangé. Le plus simplement du monde. Sur "des nappes en bois brut". Sans chichi, dans une ambiance qui ouvre l'appétit, avec comme musique d'ambiance, les rires des uns et des autres. À l'opposé de l'ambiance guindée-frustrée-revêche qu'on cultive trop souvent dans les restaurants barcelonais et qui vous met de l'acide dans le ventre et rend tout mauvais. La table est une fête, pas un enterrement, fût-il de première classe!


D'abord de bonnes olives puis d'excellentes huîtres juste débarquées de Marennes (c'est bizarre, c'est lointain, mais les Galice sont souvent hors de prix…). Et voila qu'ensuite, la cuisinière, Katy Butchet, nous apporte un truc "qui ne ressemble à rien" (c'est que diraient les gastronomes éduqués chez Disneyland), une soupe, un bol de soupe de poissons, cuite en plusieurs temps et dont la préparation s'étale sur deux jours; un fumet, classique, avec des têtes et tout ce qui donne du goût, cuit longtemps, puis des légumes et de la tomate, enfin, un ajout de poisson cru. Délicieux!


Flor étant Argentine, on condescend à commander de la viande, ce qui n'est pas sans risque à Barcelone, je vous ai maintes fois entretenu de la culture (de l'inculture?) locale du baby-bœuf d'usine. Mon tartare est superbe, pas du vieux veau, et coupé au couteau, un poil trop salé pour moi, on pourrait améliorer en le préparant en salle, "à la Française", mais excellent. L'entrecôte de mon voisin me fait les yeux doux, grasse et saignante, un vrai plat exotique en Catalogne!


Et que boit-on avec tout ça? C'était franchement jusqu'il y a peu le problème de Lo de Flor. Le restaurant est récent, ouvert il a six mois sans capitaux qataris et la maîtresse de maison qui visiblement aime le bon vin (Argentine, vous dis-je…) s'était constituée vite fait-mal fait une carte de bric et de broc. Les choses changent, grâce à Malena Fabregat de Vino Artesano qui vient d'y faire entrer des bouteilles qui ne sont pas que décoratives.


Bref, Lo de Flor, ça s'appelle une belle et bonne petite adresse, pas prétentieuse pour un sou, du genre qu'on se refile sous le manteau. Attention, toutefois, si le voyage dans le Raval vous tente, pensez impérativement à réserver: le bouche-à-oreille commence à bien fonctionner dans les milieux branchés de Barcelone et, si chez "Wanda et ses sirènes" le prix de l'addition est raisonnable (20-30€), les places, elles, commencent à devenir chères…


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