Nous sommes tous des Alsaciens!


Nous sommes tous, ou, plutôt,  nous devrions tous être des Alsaciens. Je ne parle pas de l'accent, de l'appartenance, de l'architecture ou de notre acte de naissance, c'est d'œnotourisme dont il s'agit. Oh, ce n'est pas d'aujourd'hui, de retour d'un week-end au pays des cigognes, qu'en la matière cette région me fascine; bien avant que l'on n'invente ce mot barbare aux contours technocratiques, l'œnotourisme, on en faisait en Alsace, sans le savoir, sans "structures dédiées", sans comités théodules, efficacement, au jour le jour, sur les nappes de kelsch des winstubs, dans les cours fleuries de géraniums des domaines.


Bien sûr, dans d'autres régions françaises, en Bourgogne, dans la Loire, à Saint-Émilion, on sait faire. Un peu partout ailleurs, d'importants progrès ont été réalisés depuis dix ans, on arrive même à trouver des bistrots de villages viticoles renommés où il ne semble plus incongru de commander un verre de blanc ou de rouge du coin en lieu et place de la bibine ou du pastaga; certains restaurateurs ont aussi découvert que les vignes qui jouxtaient leur établissement produisaient des boissons qu'il n'était pas superflu de proposer à la carte. Bien sûr. Mais, dans l'Alsace des environs de Colmar, presque jusqu'à l'excès, jusqu'à disneylandiser l'affaire, le péquin moyen comprend immédiatement qu'il est arrivé au pays du vin et qu'il lui serait quasiment impossible de ne pas goûter au vin du village dans lequel il pénètre.


D'aucuns trouveront que trop, c'est trop. Je leur répondrai que l'Alsace ne se résume pas à Kaysersberg, Ribeauvillé, Turckeim. Qu'il y a des alternatives. Qu'il suffit de chercher, de se renseigner* pour entrouvrir la porte de l'extraordinaire (je pèse mes mots) art de vivre alsacien. Extraordinaire, pourquoi? Parce que partout, pratiquement partout, le lien est fait entre le vin et son contexte gastronomique.
Car, je l'espère, nous sommes entre personnes civilisées: on boit, on mange, l'un va de pair avec l'autre. Pour nous, c'est normal, quasi diététique. Et ce n'est pas mon bon docteur toulousain, mon médecin traiteur, qui va me contredire, capable qu'il est à trois heures du matin, en rentrant de bordée, de nous sortir du placard un salmis de palombe maison, juste par conscience professionnelle, juste pour faire passer le cahors, mais là je m'éloigne de l'Alsace…


Par là-même, il nous semble difficile d'imaginer un cru sans penser à la cuisine "natale" de ceux qui l'ont élaboré. Sauf truanderies à la mode ou marketing impur et dur, au delà de ses cépages, du climat et de la géologie, le style du vin est directement lié au goût (et donc aux habitudes alimentaires) de celui qui le conçoit. J'irais jusqu'à dire, quitte à me faire traiter de réac, que la gastronomie régionale fait partie du terroir d'une appellation au même titre que les usages locaux, loyaux et constants. Et je ne peut pas m'empêcher de penser que c'est à table, en mangeant les plats du coin qu'on comprend le mieux le vin du coin.


Les rieslings, les gewürztraminers et autre pinot gris alsaciens ont ça de particulier qu'il sont si typés, ancrés dans la culture organoleptique de leur région que le premier dégustateur venu est capable de les reconnaitre à vue de nez. Par parenthèse, je n'ai jamais vraiment bien compris cette tendance qui sévit à Barcelone et sur la Costa Brava en vertu de la quelle on se retrouve à ingurgiter des rieslings (allemands de préférence) sur de la cuisine méditerranéenne; à mon goût, c'est souvent aussi ridicule que les contre-sens vestimentaires des Dupont(d) dans Tintin, déguisés en Grecs quand ils arrivent en Turquie. Loin de moi l'idée d'enfermer les vins alsaciens dans leur aspect le plus folklorique, de ne les peindre qu'à la façon de l'oncle Hansi, ils sont juste, je le répète, le reflet d'un art de vivre.
C'est cet art de vivre que transcrivent les restaurateurs locaux, ils y excellent. Mais pas seulement les étoilés, ceux dont on parle dans les journaux, je pense aux restaurants des gens normaux. On sait bien que c'est là, dans la vraie vie, dans les bistrots et les tavernes, que se juge la qualité d'une gastronomie, dans sa capacité à créer de la qualité pour tous. Même si on me citera ici et là des empoisonneurs, toute la modernité œnotouristique de l'Alsace réside dans cette capacité. On n'y boit pas le vin "hors-sol". Avant de chercher à briller, y compris à la lumière d'artificiels projecteurs médiatiques, les cuistots se mettent au service des vignerons. Plus exactement au service du terroir et d'une identité. Je vous assure que quand vous descendez de l'avion de Barcelone, que vous arrivez d'une région où les soit-disant "grands chefs"**, empêtrés dans la chimie moléculaire, affichent pour le vin et leur patrimoine le mépris le plus total, c'est rassérénant!




* En l'occurrence, un grand merci à Antoine Mantzer pour ses bons tuyaux et à tous ces Alsaciens, souriants, prévenants, joyeux, serviables qui nous ont guidés durant ce week-end de Pentecôte. Merci aussi à Olivier Rivière, Boxler, c'est d'enfer! D'ailleurs nous en reparlerons dans la suite…
** Soyons honnête, des petits chimistes dont la cuisine "follement inventive" est un admirable casse-pattes pour le vin (qu'ils ne voient que comme une vache à lait), il n'y en a pas qu'en Catalogne, on a tous des noms…


Commentaires

  1. Je dirais même plus: depuis quand Ephèse n'est-elle plus en Europe ?

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    1. En l'occurrence, je ne sais pas si c'est en arrivant en Asie Mineure que les Dupond(t) étaient habillés en Grecs. Peut-être est-ce en Syldavie. Mais la Syldavie est-elle en Europe?…
      http://www.espace-tintin-toulouse.fr/img/p/44-362-thickbox.jpg

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    2. Pas suivi l'€urovision mais me suis laissé dire qu'un groupe de suédois l'avait emporté. Peut-être une reformation d'ABBA CAB ?

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  2. "tout s'écroule" eut d'ailleurs dit Heraclite, célèbre penseur ottoman

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    1. loreen gironde29 mai 2012 à 22:13

      "tout s'écoule" paraît mieux conforme à la vérité historique, telle qu'elle est attestée par les PUF, chère cantie ; entre deux rives, cela va de soi. Ce qui du moins ne veut pas dire entre deux mers... Si chaque buveur de bière pouvait-être convaincu de barbarisme et converti, illico presto, aux vertus du Sylvaner "sec" alsacien, les profs d'oenologie continueraient d'enseigner leur matière dans leur chaire d'origine...

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