Jumillagate: la fin du nettoyage de printemps.

Pas de communiqué officiel* pour l'instant, juste une phrase laconique du critique Tim Atkin sur Twitter: "Pancho Campo has resigned from the Institute of Masters of Wine." Donc, c'est fait. Celui qui faisait la pluie et le beau temps dans le Mondovino espagnol a démissionné. Mais avait-il vraiment le choix?
Tout a commencé le 26 octobre dernier, vers quatorze heures avec un mail pas si anodin que ça que j'ai publié sur Facebook. On y indiquait tout bêtement un tarif, celui qu'il fallait payer pour voir ses vins goûtés par l'émissaire de Robert Parker dans la Péninsule, Jay Miller.
À l'époque, en entendant le nom de Pancho Campo, l'organisateur des "tournées" de Miller, tout le monde "regardait ses godasses" à part quelques "pauvres blogueurs" Jim Budd et moi. Jacques Berthomeau, lui, à l'époque, m'a ouvert les colonnes de Vin & Cie (avant de se rétracter sous la pression des avocats) pour la chronique que je reproduis intégralement ici et qui a permis de "purger le radiateur".


- tu montes, cariño?
- c'est combien?
- 100/100…
(le Jumillagate d'Uncle Bob)

« C'est pas très compliqué, si tu vis une grande expérience, tu t'exclames WOOOW! Un bon film porno ou un grand vin, je sais les reconnaître sans difficulté! ». Jolie profession de foi qu'on imagine volontiers auréolée de rires gras… Enfin bon, c'est ainsi que, le 17 janvier dernier, à Barcelone, le pédo-psychologue américain Jay Miller, plus connu désormais pour ses talents de dégustateur, définissait son imparable méthode-à-Mimile. Car cet élégant bipède se doit d'être infaillible, il a droit de vie ou de mort sur une bonne partie des cuvées fabriquées spécialement pour aller égratigner le compte en banque des nouveaux (et riches) œnolâtres des pays émergents. Pour le compte de son ami de 30 ans, Robert Parker Jr, le “gourou” himself, Dr Jay Miller note les vins espagnols, sud-américains, grecs et australiens du Wine Advocate. La suprême touche d'élégance, la classe ultime, le petit plus, c'est son truc…
Allez, pas de langue de bois! Jay Miller, surnommé Jabba the Hut par des blogueurs américains, est un personnage assez peu ragoûtant que le Mondovino chouchoute et caresse jusqu'à plus soif, auquel on fait des risettes puis sur lequel on vomit discrètement dès qu'il a le dos tourné. Sur son compte a circulé bon nombre de rumeurs concernant de prétendues malversations, des ardoises laissées ici et là, des corruptions jusqu'à présent jamais avérées et toujours soigneusement désamorcées par Uncle Bob. Mais voilà, depuis la semaine dernière, se balade en Espagne un document compromettant: un email, envoyé aux domaines de la DO Jumilla et des DO environnantes dans lequel l'ASEVI, l'association des entreprises viticoles locales, monnaye purement et simplement les bons services de Dr Jay. Le coût de sa visite dans l'appellation y est estimé à 29000 €. Pour mériter sa noble présence, il faut donc payer: 200-300€ par échantillon goûté, 500€ pour chaque vin goûté en public et 1000€ en plus pour une visite à la bodega. Que voulez-vous, l'impartialité a un prix!

Dès lors, plusieurs questions se posent, dont la première, comment est « sorti » ce document? C'est évidemment un des nombreux vignerons destinataires qui est à l'origine de la fuite. Apparemment, il y a des mauvaises habitudes qui commencent à agacer dans le mundillo ibérique du vin, du coup naîtraient des envies de ménage et l'on nous laisse entrevoir ce qui pourrait n'être que la partie émergée de l'iceberg. Et à cet égard, la cible ne serait pas tant Jay Miller lui-même (et à travers lui la World Company parkerienne dont il est le plus gros distributeur de 100/100) que son âme damnée espagnole, Pancho Campo.
Jay Miller et Pancho Campo… Pancho Campo et Jay Miller, couple improbable mais inséparable, le premier servant de Sancho Panza au second. Ces deux-là sont un peu les Laurel et Hardy du vignoble espagnol. “C’est moi Pancho, c’est toi Jay, c'est toi le gros et moi le petit, et nous sommes de bons amis”, vous connaissez la chanson
Pancho Campo, pour Jay Miller, c'est l'homme providentiel, une sorte de tour-opérateur compréhensif qui organise ses séjours en Espagne comme les tournées d'une rock star. Ancien professeur de tennis d'origine chilienne, entrepreneur de spectacles, Pancho Campo MW a passé avec succès l'examen scolastique des marchands de vins londoniens, ce qui lui vaut d'accoler à son nom les deux initiales MW signifiant, en toute modestie, Master of Wine. Un temps recherché par Interpol à la suite d'un différend avec ses associés à Dubaï à propos d'un concert du fils de Julio Iglesias, Pancho Campo s'est donné pour mission la promotion des vins de son pays adoptif. Héraut de la soupe de chêne glycérinée et de l'extrait de sirop de copeaux, il met sur pied des shows mégalos qui ne sont pas sans rappeler la télévision berlusconienne; après avoir généreusement voulu sauver la terre avec sa World Conference on Climate Change and Wine, ce passionné de Ferrari est récemment devenu l'ami de l'Asie où il organise dans quelques jours Wine Future, évènement monté pour expliquer aux Chinois ce qu'ils savaient déjà sur le vin. 

Une des autres questions qui se pose, donc, après la divulgation du mail des « tarifs » de Jay Miller à Jumilla est bien sûr le degré d'implication de Pancho Campo dans cette affaire. Je laisse à ceux qui ont encore la candeur d'accorder la moindre crédibilité aux notes du Wine Advocate  en Espagne le soin d'enquêter sur ce détail. Je leur laisse aussi le loisir d'attendre les dénégations du bon docteur et les rappels au règlement d'Uncle Bob et pourquoi pas ceux de la vertueuse institution des Masters of Wine (dont certains membres commencent eux aussi semble-t-il à s'agacer). Peu importe…
Peu importe, parce que franchement, tout cela a un petit côté « fin-de-race », consanguin. Dans le monde du vin aussi les temps changent. Et les prescripteurs changeront. Certes, sur des marchés en cours de formation et avec des acheteurs débutants (ou paresseux), Parker conserve son aura (en attendant son départ à la retraite); on continue d'écouter poliment les considérations organoleptiques des vieux MW sur nos vins (tout en se demandant comment des gens élevés au soda et à la jelly peuvent encore avoir un palais); on feint de croire que la bulle spéculative durera. Et après?
Après, ce sera le retour à la réalité, en Espagne notamment où il faudra bien admettre le poids epsilonesque des pseudo grandes cuvées, priorats déliquescents ou riberas épais, que sur-note le pauvre Jay Miller, par rapport aux fleuves de vin de La Mancha lesquels constituent le fer de lance des exportations ibères. Après, il faudra bien consacrer ses efforts au « vrai vin », à celui qu'achète le consommateur final, celui qui se boit et se pisse; car, là encore, avec une pointe de cruauté, je vais revenir à l'Espagne dont une partie de la viticulture aujourd'hui doit s'abaisser à jouer les michetons aussi parce qu'elle a laissé en déshérence son marché national, un marché où l'on ne consomme plus que 17 litres de vin par habitant et par an!

Mais dépassons la Péninsule ibérique et cette affaire qui ressemble fort à un Jumillagate pour nous poser une question dont la réponse coule de source: le vin a-t-il vraiment besoin de ces agences de notations, de ces classements artificiels, souvent brouillons et parfois malhonnêtes? Le consommateur lambda s'en tape. Quant au passionné, à l'amateur confirmé, l'essence même de sa quête est de connaître ses propres inclinations, de découvrir les vignobles et suivre son propre goût; il serait bien ridicule de confier le destin de son palais et de sa cave à de tels oracles. Comme c'est de plus en plus le cas en France où l'on pousse la défiance vis à vis de ce système jusqu'à la caricature, on peut, on doit évidemment  vivre sans ces notes ridicules, aussi ridicules que ceux qui les décernent en prenant un air pénétré. D'autant plus que par leur pseudo-logique anglo-saxonne, elles nous entraînent aux antipodes de ce qui a bâti  l'histoire du vin et qui bâtira son avenir: l'humain, le versatile, la poésie, bref, la culture. Elles nous entraînent aussi à l'inverse d'un art de vivre, d'une gastronomie dont le vin est un élément constitutif mais pas la globalité, et c'est cet art de vivre, ce terroir qu'il convient aussi d'expliquer et d'exporter. Tant pis, donc pour les boursicoteurs avides, pour les dégustateurs pornographes à tendance monosyllabique et pour une certaine pègre à Rolex dorée qui noie sous la vulgarité des paillettes sa profonde méconnaissance d'un antique message qui la dépasse. Le futur du vin, du vin qui se boit, peut et doit se construire sans eux. Avec moins de faux frais et plus de simplicité.

Voila donc le texte publié à l'époque chez Jacques Berthomeau, je ne vous raconte pas les menaces, les insultes, les coups fourrés, le papier bleu, les intimidations, les retournements de vestes et les beaux gestes d'amitié aussi. Les choses sont donc allées au bout, grâce également, ne l'oublions pas, au travail d'investigation formidable, exemplaire (dont pourrait s'inspirer la presse pinardière) de Jim Budd et Harol Heckle. Elles se sont terminées avec le départ de Jay Miller (sans lien de causes à effets assure le Wine Advocate) puis un mea culpa de Robert Parker et enfin avec cette démission. Espérons simplement que tout cela va contribuer à purifier l'air du Mondovino espagnol (mais pas seulement espagnol!).
J'ajoute, pour mettre un point final à cette farce et en tirer une utile leçon, ces mots de Marie-Claire Fort, vigneronne à Roquetaillade près de Limoux: "restons nous-mêmes". Oui, que les vignerons restent eux-mêmes et fassent des vins qui leur correspondent, qui correspondent à leur terroir et à leur identité, pas aux notes de tel ou tel zigoto. 


* en fait, l'information a été connue par un email de Siobhan Turner, directrice de l'IMW, aux Masters of Wine. Pancho Campo ne pouvait que démissionner, l'Institut s'apprêtait à examiner les résultats de l'enquête le concernant.

Addendum (4/04/12): je reviens sur cette affaire sur le site de La Revue des Vins de France

 

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