Tous les goûts sont dans la Nature.
La Nature a gagné, elle nous envahit, on ne peut plus faire sans. Les yaourts n'ont qu'à bien se tenir, ils sont dépassés, tout est "nature" désormais. "Nature", sinon rien. Tant mieux, d'une certaine façon, il suffit de vivre dans les pots d'échappement de Barcelone pour comprendre cette envie de bol d'air. Sauf qu'il y a des limites…
Une de ces limites, à mon humble avis, c'est d'arrêter de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. C'est exactement ce que je me suis dit il y a quelques jours en lisant le billet de Jean-Marcel Bouguereau dans Obsession, le magazine online, lifestyle, du Nouvel Obs. L'ancien rédacteur-en-chef de Libé haute époque est aussi, on le sait moins, un fervent défenseur de la "gastronomie moléculaire", ce qui j'en conviens ne nous rapproche pas. Dans cet article intitulé Tendance nature, la cuisine en concentration, Jean-Marcel Bouguereau nous explique la nouvelle mode chez ses cuistots favoris qui consiste "à récréer la nature dans l’assiette". Le fin du fin étant aujourd'hui la concentration, au sujet de laquelle il nous explique que si "dans la cuisine classique la concentration des saveurs
s’obtient par celle des sucs de viande, la cuisine devenant plus
naturelle (sic), on peut voir de plus en plus de chefs travailler les produits
pour potentialiser au maximum leurs saveurs, l’exemple le plus extrême
étant celui de Ferran Adrià avec son concentré d’huîtres extrêmement
puissant en goût, mais pas plus gros qu’un cachou Lajaunie." Il faut reconnaître que le petit chimiste de Rosas en parangon de l'écologie culinaire, lui qui a fait entrer les usines dans les cuisines étoilées, ça ne manque pas de sel! Au passage, Bouguereau nous gratifie d'une recette naturelle de David Toutain, cuistot d'Agapé Substance à Paris: une poire déshydratée qui, affirme-t-il, s'inspire du passerillage cher à certains vignerons sauf que pour le coup interviennent des procédés physiques et chimiques naturels, dont un trempage de deux heures dans "une solution de calcium" qui, recherches faites, doit être de l'E509, autrement dit du chlorure de calcium*. La Nature, quoi…
L'autre limite, c'est de se prendre pour Dieu, ou en tout cas pour le Maître de la Nature. Fouler, d'un pas décidé, la terre "qui ne ment pas" (l'affichisme des années quarante était récemment à la mode…) et se poser en Guide, en Sauveur, en Purificateur. La Nature, dans le monde du vin, depuis dix ans, on ne parle plus que de ça. Pour un peu, on se croirait au milieu de vendeurs de lessives, à celui qui lavera le plus blanc, qui sera le plus propre. Loin de moi, bien au contraire, l'idée de cracher sur le bio, la biodynamie ou tout un tas de méthodes qui quand elles sont appliquées sérieusement par des gens sérieux donnent des résultats formidables que j'ai tous les jours dans mon verre. Je voudrais juste (et je sais que je ne suis pas le seul, loin s'en faut) que l'on reparle de vin, de ce qu'il y a dans le verre, du plaisir que ça procure, des émotions qui s'ensuivent. Parce que, franchement, les discours de mortification, de moralisation à la Eva Joly, on a vu l'immense adhésion que cela emportait, quant aux querelles byzantines, on connait depuis longtemps leur extraordinaire productivité. Le vin a suffisamment d'ennemis pour avoir besoin d'amis comme ça…
À ce propos (pas d'Eva mais de querelles byzantines), j'ai particulièrement apprécié les déclarations de Nicolas Joly à la revue The drinks business. Alors qu'en France nombreux sont ceux qui trouvent qu'il commence à sentir le renfermé, le vigneron de La Coulée de Serrant est une sommité à l'étranger (notamment ici en Espagne dans le mundillo pinardier qui se la pète et qui veut se repeindre en vert). Du coup, il pontifie, comme hier à Londres alors qu'il était invité à la RAW Wine Fair**: "le vin naturel, ça ne veut rien dire" lance-t-il en substance, "le terme vin naturel n'est rien de plus qu'un tiroir dans lequel on place tous les vignerons qui ne font pas assez d'efforts pour se convertir au bio ou à la biodynamie". Sur le fond, qu'il y ait des fumistes ou des opportunistes dans le "vin nature", j'acquiesce. De même quand il ajoute que ce n'est pas parce qu'on ne fait rien dans le chai qu'on aura un bon vin à boire.
Le problème, c'est que j'ai envie de renvoyer Nicolas Joly à ses chères bouteilles qui, à défaut d'en revendiquer "l'appellation", nous ont montré depuis une bonne décennie des tisanes dignes des vin "nature" les plus "nature". Je me souviens entre autres d'un savennières-roche-aux-moines, 2002 je crois, qui ressemblait davantage, à l'œil comme en bouche, au jus d'un sachet de thé Lipton oublié une semaine dans un mug qu'à un chenin de Loire. Je sais que ce vigneron estime que "avant d’être bon, un vin doit être vrai", qu'il conclura sûrement, avec la condescendance qui le caractérise, que je n'ai rien compris (les chanteurs de MJC disaient la même chose…). Peu importe, il faudrait juste que l'hôpital cesse de se foutre de la charité et qu'on nous laisse boire en paix, sans recevoir de leçons, ce qu'on a envie de boire, nature ou pas!
Car si le discours du vin doit sans cesse nous ramener au naturalisme et à la
philosophie de Rousseau, plutôt qu'à l'ennuyeuse "idée de nature" (le
Monde devait être bien fadeavant le bruit des voisins), que ce soit au "contrat social", à un peu plus d'union et de solidarité. De partage aussi. Ça nous changera du snobisme et de l'exclusion. Et nous rappellera, comme le faisaient si bien Dutronc et Daho, que tous les goûts sont dans notre nature.
* À ce propos, je dois vous parler bientôt d'une merveilleuse pâtisserie barcelonaise où j'a mangé récemment quelques horreurs au milieux de pots translucides contenant tous les merveilleux additifs naturels que semble apprécier Jean-Marcel Bouguereau dont ce délicieux E509.
** organisée par la française Isabelle Légeron
** organisée par la française Isabelle Légeron
Se payer Jean-marcel, Nicolas et Eva dans le même billet...C'est pas Joly-Joly, nom d'un bouguereau !
RépondreSupprimerHat trick?
SupprimerC'est vrai ça, c'est l'hôpital qui se fout de la charité (sur Loire). Arrête d’embêter mon pote Jean-Marcel (on était ensemble à Libé à la "haute époque"). Aller, j'vais reprendre un comprimé du bon Dr Adrian...j'ai faim.
RépondreSupprimerAh, un comprimé… Vivement Soleil vert… Bonne soirée, Armand.
SupprimerOui, la Coulée de Serrant est comme la roulette, parfois on gagne gros, souvent on est déçu... la Coulée peut être magnifique, comme el peut aussi finir dans l'évier...
RépondreSupprimerJoly écrit sur son site des choses riducules. Voici une bonne:
"En réduisant l’eau à H2O on occulte totalement le système complexe, magnifique, subtil, qui créé une affinité particulière entre 2 atomes d’hydrogène et un d’oxygène. Pourquoi l’eau n’est pas H4 O6 ou H O4 par exemple ? Quelles sont les forces en jeu derrière ce système de « sympathie/ antipathie » qui règle notre chimie ?"
M. Joly, vos questions ont une réponse dans tout manuel de physique ordinaire...
Une autre, fabuleuse:
"Soyons sérieux combien de grammes de quartz font marcher votre montre pendant plus d’un an ? Alors pourquoi le préparat à base de quartz en biodynamie n’accélérerait il pas la photosynthèse, celle qui génère les sucres, les couleurs, les arômes ?"
Les crystallisations sensibles sont une exemple de pseudoscience totalement dépourvue de fondement...
Merci Mike d'avoir déniché pour nous ces pépites! C'est excellent. Du coup, je me demande si Nicolas Joly n'est pas le cousin de cet autre farfelu que j'évoquais dans ce blog il y a quelque temps: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/03/poisson-davril.html
SupprimerPutain, il va bientôt falloir se prévaloir de l'E N A, ou l'Enculerie Nazionale Adrian voire Nature Sup pour parler du vin, à moins qu'avec quelques gorgeons nous nous élevions pour mériter sup apéro. Mais de quoi parle-t-on, de l'épaisseur du cerveau, à quoi bon, nous avons tous le même à quelques chose près, mais le manque d'intelligence de la vie est un fardeau lourd à porter pour certains. Ces vignerons ou sommeliers voire cavistes, amateurs éclairés se pavanent de leur savoir moléculaire et se prennent pour l'intelligence du vin et de la table. Est-ce que je me "bran..." à demander quel était le deuxième ligne de Lavelanet qui mettait de l'alcool, non pardon, des poires à longueur de matches. Passerais-je ainsi pour un érudit es-rugby, foutaise. Plein le cul de vos leçons, Messieurs, j'aime ceux que l'on appelle Nature, j'aime beaucoup quelques vins ignorés et beaucoup d'autres suivant le lieu, les personnes, les souvenirs et les états d'âme mais je n'aime pas le snobisme et le tendance, alors bravo Pousson, continue à mettre des poires à ces "savants" terme que l'on employait pour les chiens quand il apportait le journal 'c'est un chien savant". Pourtant j'aime beaucoup Jean-Marcel, mais sa poire me déshydrate même si on ne va pas faire de cet exceptionnel cuisinier Toutain fromage. Si Libé se met à parler du vin et de la table comme il parle du cinéma....on va revoir nos classiques et boire nos bouteilles plutôt que d'élucubrer sur le naturellement bobo, si encore on nous disait bon ou pas bon.
RépondreSupprimer*quelque chose
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