La possibilité d'une île.


"Caswell Bay existe. Quand on entre dans la péninsule de Gower par la route de Lianridan, on arrive bientôt sur la lande où vagabondent des chevaux noirs. Le vent tombe sur les bruyères. Cette solitude, qui rase les herbes, cette auberge perdue, tout nous arrache aux fumées de notre monde pour nous rendre quelques uns des appas sauvages du temps."
Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à ces quelques lignes de Kléber Haedens, le début d'Adios, en lisant ce matin le blog aujourd'hui disparu. Peut-être parce que je sais que j'irai un jour à Caswell bay; il y a peu, dans un restaurant de la Barceloneta, un Gallois m'a virtuellement mis en poche la clé d'un des chalets au charme suranné qui peuplent cette plage du sud de Swansea. Surtout parce que l'île de Béhuard évoquée dans le blog en question fait partie de mon imaginaire, elle figure, soulignée de rouge sur ma carte du tendre, des territoires magiques où les vies se nouent et se dénouent. Magiques au point qu'on se demande parfois si on ne les a pas rêvés.


« Il existe au milieu du temps / La possibilité d'une île ». Moi, je vois dans cette phrase l'espoir absolu, cet espoir que j'ai lu dans des yeux tristes, un beau soir d'hiver à Béhuard. Il y avait ce restaurant, couru à l'époque, Les Tonnelles, cette table ronde, dans le coin au fond à gauche, le vin, beaucoup, l'eau, partout, l'eau noire de la Loire qui nous cernait. « Il existe au milieu du temps / La possibilité d'une île ». Béhuard, c'était un autre espace-temps où des miracles pouvaient se produire, inimaginables sur la "vraie" terre ferme.
Je me souviens en général très bien de la liste des vins que je bois. Là, je n'ai plus la moindre idée de ce que nous avons éclusé. C'était ligérien, évidemment. La salle était remplie de vignerons du cru, c'était l'époque de gloire du Salon d'Angers, quand "tout le monde" y allait. La nourriture était sûrement excellente. Sûrement. Mais le repas était décousu. Il y avait ces regards. Ces silences et tant de mots pour les combler. Tard dans la nuit, quelqu'un (le taulier?) avait eu l'idée de mettre une cassette des Clash dans un vieux poste posé à même le sol, à l'entrée. Nous avons beaucoup bu. Ses absences m'agaçaient. Les mains sont parfois plus éloquentes que les paroles.
Je ne devrais évidemment pas raconter tout cela, je ne veux blesser personne, rouvrir aucune plaie. Mais doit-on cadenasser des secrets qui ne parlent que de sentiments? Mettons cette confession sur le compte du vin de Loire. D'un cabernet-franc, ce bon vieux breton à l'allure faussement bonhomme et dont les habits sombres sentent l'humus. Instinctivement, on se dit que, comme ses cousins gustatifs braucol ou mencia, il ne peut pas faire mal. On a envie de lui faire confiance.


Pour conclure cet exercice de vérité, il me faut bien sûr en déboucher une bouteille. Pas de grand nom, ça ne colle ni avec Béhuard, ni avec l'ambiance. L'idéal serait évidemment un accord de terroir, de piocher sur l'une des deux rives qu'on devine la nuit depuis l'île magique. Ce petit rouge de Rochefort, bien mûr, que j'avais adoré il y a dix ans? Trop facile. Du savennières? Non, on a dit breton, pas chenin!
Du coup, je remonte la Loire, je fuis l'Anjou, évite Saumur. L'envie me prend de bifurquer vers la Vienne et son coteau ensoleillé; la mâche d'un chinon se marierait si bien avec ma "petite paysanne du Poitou", un chinon de Philippe Pichard, sa cuvée Les 3 quartiers, trop méconnue. En fait, je m'arrête plus tôt, juste après le treillis métallique du pont Type Town de Montsoreau, juste avant la beauté calme du confluent. Cap nord-est, Saint-Nicolas-de-Bourgueil.  Ce sera Les Perruches 2009 de Gérald Vallée au Domaine de La Cotelleraie. Parce que nous aimons ce vin gourmand, rural, "faussement bonhomme et dont les habits sombres sentent l'humus". Parce que nous l'aimons tous les deux. Parce qu'il mériterait bien qu'on l'embarque sur une île.


Commentaires

  1. C'est drôle comme ça me parle aussi Béhuard, Patrick Beaudoin le 1er à m'en avoir parlé il y a bientôt 13 ans, les soirées du Sival, les fins de soirées trop arrosées pour se souvenir de tout ce qui fut bu et peu craché, de tout ce qui fut dit et peu noté.
    J'y ai même passé un Beaujolais nouveau qui était plutôt un Loire nouveau d'ailleurs....

    Et puis maintenant il reste une "île", délicieux et fragile repaire dans ce drôle de quartier de la gare d'Angers avec le couple Bossé , toujours aussi jeunes et passionnés.
    Merci à vous scribes modernes de ces moments magiques....
    Vincent (l'autre...)

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