Ce genre de repas où le vin (bon) sait se faire discret.


La serveuse est accorte, avec de faux airs, appétissants, de madone. L'ardoise, rassurante, annonce ouillade (potée roussillonaise), ragoûts et canard. Nous voila bien assis, un peu comme à la maison; certains, les habitués, ont même, au sens littéral du terme, leur rond de serviette. En face, de l'autre côté de l'avenue du Général-Leclerc, Jean Nouvel s'est lâché. Architecture hyper-démonstrative, ce n'est pas toujours mon truc, mais, là (hormis quelques finitions HLMesques), l'ensemble est assez réussi. Nous sommes donc à Perpignan, face au nouveau Théâtre, pas si loin que ça d'un Centre du Monde ferroviaire et surréaliste dont les récentes modifications, en revanche, me laissent de (mauvais) marbre.




À Perpignan, je suis bon client. Malgré ses défauts, cette ville me charme, tour à tour ville-lumière en descendant des Corbières et havre de paix provincial quand je débarque de Barcelone. Dans les rues boutiquières où flotte le souvenir parfumé des amours mortes, les filles aux cheveux noir de jais en font toujours un peu trop, mais c'est pour ça qu'on les aime. Rue de L'Ange, Rue de La Cloche d'Or, Place des Poilus et la rue "des olives"* avec ses incontournables horaires de La Marée et ses épiceries qui puent la Méditerranée. Non, je ne me lasse pas de ses sourires commerciaux auxquels j'ai envie de croire, pas plus que des Toiles du Soleil de la Maison Quinta qui illuminent l'austérité de la pierre des Corbières ou du Fenouillèdes.


Les serviettes, justement, au Bistrot des Crus, sont taillées dans des coupons de tissu catalan. Le vin va bien, sans faire d'histoires, il arrive en voisin du Comptoir des Crus: une bouteille de Camp de La Mata, excellent carignan montagnard qui me permet de patienter en attendant de goûter celui de Michel Smith, et une d'Alouette 08, frétillant à souhait, comme souvent chez Guy Prédal, à Vinça. Le caviste, Jean-Pierre Rudelle, s'assied avec nous ainsi qu'un beau-frère de passage auquel la passion naissante a coupé le sommeil certes mais ni la soif ni la faim. Un vrai bistrot, ça se prête à ça, ce n'est pas formel.



Comme vous le comprenez, tandis que nous n'avons d'yeux que pour le saine cuisine de ménage que nous dispense la madone, pas une seconde, il n'est question à table de masterclasses, de "grands vins" et de toutes ces salades qu'on vend aux péquenots endimanchés. Nous sommes ici dans le monde du vin des gens normaux. L'ouillade tient la route, le vin aussi, la patronne, Maïté, ne s'en laisse pas conter, tout est en place. Quel plaisir d'ailleurs que ces repas où la nourriture et la boisson savent rester exactement à leur place, rasséréner, donner ce qu'il faut de plaisir mais ne pas prendre le pas sur le reste.



On passe en cuisine civilement saluer Maïté, on commence à parler de vin avec Éric Monné du Clot de L'Oum (j'adore son Granito Vivo!) qui passe par là, on se commande ces épatants desserts de vieux garçons que sont quelques verres de rivesaltes et on se retrouve dans la rue guère moins riche qu'en entrant, avec encore ce qu'il faut pour aller faire provision de bouteilles, à côté, chez Jean-Pierre Rudelle, au Comptoir des crus. La vie est simple, il fait beau.





* c'est le surnom de la rue de l'adjudant-pilote-Paratilla avec ses épiceries et son célèbre Bar de La Marée, haut lieu des débuts de soirées perpignanais.

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