La "mala suerte" des restaurants catalans
C'est une mauvaise nouvelle. Les restaurants, eux aussi, ont leur rubrique nécrologique. Et dans cette rubrique, ce matin tenue pour l'occasion par Caroline Lemaître de L'Indépendant et Henry de Laguerie d'Europe1, il y avait un nom: Negrefum. Si ça m'attriste, c'est qu'un des associés de ce projet est un type que j'aime bien, Sergi López, que j'évoquais encore dimanche dans ma chronique en images sur le marché aux poissons de sa bonne ville de Vilanova i La Geltru. Plutôt que d'aller jouer la star ailleurs, il avait décidé d'investir et de s'investir chez lui, ça n'a pas marché.
Je n'ai absolument aucune envie de tirer des conclusions (définitives de préférence) sur les raisons profondes de la fermeture du Negrefum. Je veux juste dire que le peu que j'ai vu de cet endroit élégant, tiré à quatre épingles, installé sur une place architecturée "ambiance Buffet froid", ne m'a absolument pas donné envie d'aller y manger. Et que rien n'y transparaissait de la jovialité, de la convivialité de Sergi (je n'oublierai jamais comment nous avons fait les clowns derrière une plancha une (longue) soirée durant, "toi tu fais l'acteur et moi je fais le cuistot…").
Dieu sait s'il y en a des restaurants comme ça dans la zone d'influence de Barcelone. De l'ambition, des moyens, ce fameux diseño glacial et un rien démodé; les Catalans sont persuadés que le Monde entier leur envie. "On se croirait à New-York!", on ne peut pas leur faire plus beau compliment… Plus ça ressemble à un bloc opératoire, plus la nourriture est chimique et prétentieuse, plus c'est chic! Est-ce un complexe vis-à-vis de la modernité, un caprice de nouveau riche, ou d'ancien nouveau riche, la panacée pour ne pas faire "Espagnol"? Peut-être faudrait-il parfois s'interroger sur ce que viennent chercher à Barcelone les millions de touristes qui se donnent la peine d'y venir. Ont-ils vraiment envie de ces lieux décharnés, mortifères où le moindre sourire, la moindre gaieté pourrait passer pour une atteinte au bon goût?
Parce que le corollaire de ce fameux desiño, c'est ce non moins fameux "service à la catalane" incarné dans ce blog par Manuel*, le sommelier revêche, nationaliste, à grosses godasses qui finit par dégoûter tout le monde de venir chez lui et de boire du vin. Le "service à la catalane", rien que le week-end écoulé, j'en ai entendu parler deux fois par des étrangers: un couple d'amis franco-irlandais qui a rebroussé chemin dans un restaurant branché où on les accueillait moins bien qu'à Fleury-Mérogis et Jim Budd, l'émérite blogueur anglais qui raconte (alors que ça n'a a priori rien à voir avec ses écrits habituels) de quelle façon il a été mal reçu dans une Barcelone dont il sent, dont nous sommes nombreux à sentir le charme s'étioler.
Oui, j'en suis convaincu, un vrai malentendu est en train de se mettre en place. Dans les soirées diapos, le Catalan passe progressivement du statut d'individu réservé, marqué par le seny, cette froideur catholique, cette rigidité flegmatique (dont le taquin Manuel Vázquez Montalbán se moque un peu, dans Barcelones notamment) à celui de mauvais coucheur, radin, mal élevé et inhospitalier. Au-delà des effets induits de la crise**, on ne m'ôtera pas de l'idée que la sur-utilisation de la langue locale n'est pas pour rien dans cet état de fait; on a transformé politiquement ce dialecte en signe de ralliement, en étendard nationaliste. D'un moyen de communication, on a fait un puéril outil de repli sur soi. C'est la langue des messes basses, quand on veut n'être compris que de ceux qui souffrent du même complexe de supériorité que soi, loin des oreilles inférieures, andalouses, castillanes, françaises, en un mot, étrangères.
Ce serait évidemment trop simple s'il y avait une cause unique à tout cela, on pourrait également évoquer l'écart entre les salaires, dans la restauration notamment, et le coût de la vie, tant d'autres raisons. Pour autant, il est insupportable d'entrer la plupart du temps dans des restaurants ou des bistrots où on a l'impression de déranger, un peu comme quand vous arrivez chez un couple et que vous sentez immédiatement qu'ils viennent de s'engueuler. Amics, on ne vous demande pas d'être Basques ou Andalous, de jouer un rôle qui vous ferait vous mentir à vous même, mais, de grâce, un peu d'empathie, un peu de convivialité, ce n'est pas une tare que d'être aimable avec les autres. Sisplau!
La crise, aveugle, pratique la sélection naturelle, elle s'en prend d'abord aux faibles. Elle remet aussi en cause les rentes de situation, tout ce que l'on croyait éternel. Barcelone est une marque excellente, mais une marque, ça s'entretient, il faut la nourrir, la consolider, ne pas la laisser se rabougrir. J'écris ça parce que j'aime cette Barcelone internationale, cosmopolite, bigarrée, cette ville qui comme je le rappelais ici n'a pas oublié qu'elle était un port ouvert sur le Monde. J'aime cette cité qui a fait rêver tant de générations, si loin d'un nationalisme qui pue des pieds (comme tous les nationalismes d'ailleurs). J'aime, excusez-moi (mais pourquoi m'excuserais-je?) sa délicieuse hispanité. Car, oui, la quasi-totalité des étrangers qui viennent ici viennent en Espagne, pas en Catalogne. Pour eux, la Catalogne n'existe pas, guère plus en tout cas que la Mazovie ou l'Ústí nad Labem.
Bon, j'arrête là, la politique, vue comme ça, m'ennuie. Le pire, c'est que je sais déjà ce que dira Manuel pour se consoler de toutes les horreurs malheureusement ressenties que je viens d'écrire: " Tout ça, c'est la faute de Madrid"…
* Manuel, le fil rouge de ce blog, pauvre type, victime dirais-je, est de cette "race" dont on fait les bons petits tyrans. pour ceux qui ne le savent pas encore, il tient son surnom de Manuel, le loufiat de la série britannique Fawlty Towers, natif de Barcelone dans la V.O. mais devenu Mexicain dans le version diffusée sur la télévision locale. Il est le symbole de ces serveurs guardiacivilesques qui donnent envie d'aller voir ailleurs.
** l'excuse de la crise est pratique, mais dans les autres régions d'Espagne, touchées elles aussi par la crise, l'accueil demeure courtois, le plus souvent cordial, voire mieux encore, à l'opposé de ce qu'on voit trop souvent en Catalogne, où on a l'impression de déranger.
Excellents, les liens vers wikipedia. À part ça, il se passe à Barcelone ce qu'il se passe dans plein d'endroits, le mélange détonnant d'un complexe d'infériorité et d'une morgue d'autant plus sévère qu'elle est incompréhensible.
RépondreSupprimerAh, la Mazovie ou l'Ústí nad Labem! C'est là qu'on se rend compte qu'on connaît mal finalement les grandes régions de notre belle Europe…
SupprimerJe vais à Barcelone pour la 1ère fois ce week-end, cela sera intéressant de voir si mon ressenti est le même. Cela dit, je ne compte pas trop fréquenter ce genre d'établissements.
RépondreSupprimerLors de mes recherches je suis tombé sur le profil d'un catalan qui se décrit ainsi (je traduis) : "je suis un citoyen du monde, je suis catalan, mais je ne serai jamais espagnol". Je crois que cela résume bien ton propos.
Tout dépend des quartiers qu'on fréquente effectivement, le ressenti que j'évoque, ça se passe chez les Catalans "de souche".
SupprimerPour ce qui est de la phrase "je suis un citoyen du monde, je suis catalan, mais je ne serai jamais espagnol", on n'en est plus là: près de la moitié de ceux qui réclament l'indépendance ne veulent même pas de l'Europe, pas assez bien pour eux, je présume…
Bonjour Vincent,
SupprimerDesolée, tu n'as rien compris à la Catalogne. Rien!!!
Niet. Rés!!!
Bonjour Reina,
Supprimervu le nombre de personnes qui ont lu ce billet et les réactions que j'ai eues, je crains que nous soyons beaucoup à n'avoir rien compris à la Catalogne.
Et au passage, cet extrait semble bien illustrer ton propos : http://www.youtube.com/watch?v=TES2kgPF4Wk
RépondreSupprimer...et quand mon beauf,Barcelonais pur porc,me soutient MORDICUS que Cristophe Colomb était catalan,je le soupçonne de penser secrètement que l' Amérique leur doit tout !
RépondreSupprimerTrès bon billet.
Merci, Gus.
SupprimerBonjour Vincent, très bon article (je suis barcelonnaise), mais le catalan est une langue et non un dialecte, une langue si ancienne que l'espagnole!
SupprimerBonjour Anonyme, merci.
SupprimerEn revanche, il n'y a aucune différence entre une langue et un dialecte; langue est le mot courant, dialecte est le mot scientifique. http://lingua.chez.com/definitions.htm
Merci pour cet excellent article. J'ai vécu à Barcelone, fréquenté l'endoctrinement des cours de catalan dispensés par la municipalité. Effectivement il y a clairement un problème avec cette résurgence nationaliste catalane. Et c'est bien dommage...
RépondreSupprimerPlus je vous lis plus je suis en phase avec vous.
RépondreSupprimerFinalement, vous décrivez très bien ce que j'y ai ressenti lors de mon dernier séjour à Barcelone, il y a plusieurs années, déjà.
Je grossis légèrement, je caricature... mais ça ressemble foutrement à un DisneyLand géant cette ville ! Du plastoc, de l'apparence, de l'artificiel, de l'arnaque, du "business-first" partout ! On vend du rêve (bof), de la fête (re-bof), de l'identité (ça aussi, on en a tous une et alors ?) mais au fond c'est vide (ah non c'est plein d'amateurs de DisneyLand!) et c'est cheap (ah non c'est cher en plus!)...
J'aime bien vous lire parce que je trouve que vous donnez l'impression qu'en fait ce n'est pas que ça, Barcelone, et sûrement d'ailleurs, mais que ça transpire tellement qu'au fond c'est peut-être ça leur identité...
Tom B.
Qu'on soit mal accueilli à Barcelone, c'est Oui. Mais ni plus ni moins qu'à Paris. Narbonne, Valras ou Rodez. Pour ce qui est de la Catalogne, il faudra bien comprendre un jour que ce qu'on accepte de la Moldavie, du Kosovo ou du Tajikhistan, on devra l'accepter pour la Catalogne. Je n'y peux rien, c'est comme ça ! Voilà des siècles que les Catalans dont la langue n'est qu'une variante du français méridional, l'Occitan si vous préférez, refusent de vivre sous la coupe du royaume d'Espagne contre qui je n'ai rien au demeurant. On ne fait pas descendre un million de personnes dans la rue par hasard. Je crois également me souvenir que c'est Franco qui a fait exécuter Lluis Companys et pas le contraire. Pour ce qui est de la cuisine, il y a longtemps que je ne fous plus les pieds dans le genre d'établissements dont tu parles. Je refuse même d'en parler. En revanche de vraies croquetes avec petit vin d'Ampurda sur un comptoir, bonjour l'ambiance. Allez, bon profit ! Et comme je sais comment marche de truc, je signe. Michel DEMELIN
RépondreSupprimerJe suis désolé mais je vis à Barcelone depuis plus de 10 ans et j'en suis enchanté, j'ai des amis Catalans de pure souche ainsi que des relations profesionnellles et je n'ai aucun problème avec eux de communication, nous parlons castellano y punto! Certaines personnes se plaignent de l'accueil sur Barcelone...Cela me laisse dubitative, toutes les personnes que je fréquente et qui passent un séjour dans cette ville sont enchantés de leur séjour, à croire que l'on ne parle pas de la même métroplole...Le seul reproche que l'on pourrait faire c'est au niveau de la propreté de celle ci...Malgré les efforts constants de la municipalité, pour palier à ce problème.Et pour les restaurants et Bars si vous avez des problèmes avec eux contactez moi et je vous donnerez de bonnes adresses !
RépondreSupprimerQue voulez-vous, Brigitte, je dois fréquenter les mauvaises personnes et j'ai les mauvaises adresses… Et les innombrables réactions que j'ai reçues après ce billet devaient être de mauvaises réactions, puis qu'à 90%, elles allaient dans le même sens.
SupprimerArticle bien écrit, belles photos. Par contre ça part bien sur les restos, et ça vire sur la politique, c'est un peu dommage car tu pars d'un constat avec de bonnes touches et tu vires dans la critique de début d'apéro. Vivant depuis longtemps dans cette ville qui est la plus complète du monde moderne, j'ai ce genre de réflexions sur les restos, mais il nous reste les bonnes Masias et autre Can' sketuveu qui conservent l'authenticité. Dire que ces restos modernes, insipides sont le fruit d'un catalanisme exacerbé est un peu exagéré quand même. Il suffit d'aller a Istanbul, Londres ou Paris pour trouver ces mêmes concepts internationnaux, fashion. Le côté amabilité va vraiment dépendre du lieu et de la personne que vous avez en face, ce qui manque cruellement c'est de la formation, du professionnalisme. En France on est con mais on dit "bonne fin d'apétit", "bonne continuation", mais aussi "vous avez terminé", "je vous débarasse?" pour vous dire "dégage j'ai un deuxième service a boucler, moi". Enfin ce qui est caractéristique ici c'est qu'il est toujours extrêmement compliqué d'avoir l'addition, a croire qu'ils ne veulent pas qu'on s'en aille.
RépondreSupprimerSeb(astien?), je vous invite à lire ma réponse ci-dessus. Pour le reste, puisque tout est parfait, il ne reste plus qu'à exporter dans le reste de l'Espagne puis sur toute la planète les manières de "cette ville qui est la plus complète du monde moderne".
SupprimerJe vois que mon post a vite été effacé par le censeur Pousson, cela ne m'etonne point...mieux vaut rester dans le confort douillet de ses convictions que d'essayer de comprendre le monde autour de nous....pauvre Pousson!! Rongé par son anticatalanisme primaire et xenophobe !!Il n'a pas fini d'en chier, le bougre, car les catalans son têtus, revendiquent leur liberté, comme n'importe quel autre pays de la planète et déormais le chemin est sas retour....par contre le chemin de croix des anticatalans ne fait que commencer et ,au bout ,il y a le calvaire , les mecs !!!Encore une fois courage pour la suite, mais bon, vous trouverez sûrement du reconfort en pensant que Jean Marie et Marine seraient fier de vous
RépondreSupprimerCher ami,
RépondreSupprimerj'efface les commentaires diffamatoires ou insultants, c'est la règle.
Quant au fait de se faire traiter de nationaliste (Le Pen family), par un nationaliste, c'est un plaisir de fin gourmet…
Pour le reste, je ne sais pas si les Catalans sont têtus, si leurs "ennemis" vont vivre "un calvaire", ce que je sais en revanche, c'est que vous (pour rester dans le ton), il vous manque un détail, une paire de détails exactement, entre les jambes, ce qui vous permettrait de signer vos écrits.
J'ai dit.
cela te servirait à quoi de savoir mon nom? À appliquer tes théories racistes pour m'étiqueter : français de souche, catalan de souche,fils d'immigrés, beur, black.... "de souche" tu reprends le concept cher à Jean Marie dans les annés 80 pour prôner sa politique de "préférence nationale" et que je n'ai jamais entendu utiliser en Catalogne!! Détrompe-toi, je ne suis pas nationaliste, juste quelqu'un qui est pour que le peuple s'exprime en toute liberté et que la majorité tranche et décide , c'est juste cela la démocratie....pas dur à comprendre...mais effectivement quand la matière grise fait défaut, la taille des roustons devient l'argument définitif....tu joueras tout seul à ce jeu-là, moi je déclare forfait !!
RépondreSupprimerLevez votre anonymat, mon cher, assumez vos dires, et nous verrons.
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