Controverse albigeoise.


Je me régale toujours de voir les ignares et les adeptes de la récitation commerciale généraliser sur le style de telle ou telle appellation vinicole. Les bourgognes, c'est ci, les bordeaux, ça fait ça, les gaillacs sont ainsi… D'abord, parce que depuis trente ans, la typicité est une notion mise à mal dans une bonne partie du monde du vin, surtout face à des jus jeunes. Pour autant, quand les vins sont francs, proches du terroir, lissés, tués ni par le bois ni par le bricolage, il reste des arômes, des textures, des parfums qui, à l'aveugle, peuvent plus ou moins indiquer au dégustateur sa position géographique. Ensuite, et surtout, me semble-t-il, une des variables les plus importantes aujourd'hui, plus encore qu'il y a trente ans, c'est l'écart considérable qui s'est creusé entre les façons de faire vigneronnes, au sein même des AOP. Au chai, comme à la vigne.
Un exemple, vite fait, là où je me trouve ce soir, à Albi, dans le Tarn. Pas avec deux gaillacs banals comme ceux qui qu'on rencontrera à la rentrée dans les sélections des dragueurs de supermarchés, des crus présumés typés, marqués par leur origine, les choix vignerons et leur cépage, extrêmement  identitaire: le prunelart.


Le prunelart/d, pour ceux qui l'ignorent, est un cépage traditionnel de l'appellation, essentiel, même, si l'on en croit les actes. Rejeton primordial de la famille des cotoïdes (comme le côt, le tannat et la négrette), il avait pratiquement disparu avec le phylloxera et, comme ce fut le cas auparavant pour l'ondenc, il a été sauvé par Robert Plageoles (mon Maître de Vin) et son fils Bernard, à Cahuzac-sur-Vère.
Un peu par hasard, j'ai eu envie de mettre en scène, un peu à la façon d'une controverse médiévale, une dégustation, à l'aveugle, comparative, de leur prunelart et de celui de leur confrère Laurent Cazottes, produit à douze kilomètres de là, à Villeneuve-sur-Vère.
Apparemment, selon les numéros de lot, il y aurait un an d'écart entre les deux bouteilles, le Plageoles serait un 2010 et le Cazottes, un 2011*. Au nez, le Plageoles est très expressif, avec des notes d'encens (un côté "vieille église"), de zan, de prune sauvage et une pointe de gentiane (beaucoup moins réduit que la première fois que je l'ai goûté). Le Cazottes est plus fermé, pas très expressif, assez réduit. Mais, c'est en bouche que la différence apparait: le Plageoles se distingue par sa race, sa trame et son allonge, on rêve déjà de le retrouver à table où il fera merveille sur une grosse pintade aux girolles; le Cazottes accuse le coup, plus lourd, un peu cuit, "épais" note un des convives, avec une finale à la sucrosité envahissante, sucrosité qui le rendra rapidement écœurant (et davantage encore en mangeant). Histoire d'ailleurs de faire taire certaines légendes urbaines qui voient dans la sous-maturité une nouvelle source de fraîcheur, le Plageoles, parfaitement équilibré, est le plus alcoolisé des deux (selon l'étiquette), 14%vol. contre 13,5%vol. Résultat: Plageoles1 - Cazottes 0.


Il ne s'agit là, bien sûr, que d'un instantané. Et je ne doute pas que des palais plus "sucrés" que le mien, plus habitués à la "cuisine créative" et au ketchup qu'à la pintade aux girolles, apprécieront le côté plus américain, primaire, du prunelart de Cazottes (j'ai d'ailleurs ma petite idée sur la façon dont on est arrivé à ce résultat). Et peu importe, il en faut pour tous les goûts.
Mais ce qui m'intéresse dans cette controverse plus que le résultat, c'est de voir à quel point, avec ces deux bouteilles aux contenus diamétralement opposés, elle met à mal les généralités énoncées au début. À quel point le vin, le vin fin, distingué, est plus que jamais une histoire d'hommes.




* Le prunelart/d pur étant interdit dans l'AOC, il s'agit de vins de France qui désormais pourront légalement être millésimés mais qui en l'occurrence ne l'étaient pas encore.


Commentaires

  1. On peut goûter du prunelard blanc sur Fronton, au domaine de la Colombière ...

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    1. Ce domaine vient de me préciser qu'après analyse
      il ne s'agit pas de prunelard blanc mais d'un cépage
      cousin du savagnin mais non encore identifié.
      La prochaine cuvée ne s'appellera plus prunelard blanc
      mais le grand B.
      Eric31

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  2. Mais putain qu'est-de que je fais à Perpignan ???

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    1. Du lard pour des prunes, Michel !

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  3. Le prunelart/d est autorisé dans l' AOC Gaillac à hauteur de 10 % pour les assemblages

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