Baisser Pavillon*.


Il y a un an, j'ai fait partie de ceux qui ont apporté leur (modeste) pierre à l'édifice de la défense de la colline de l'Hermitage. Et je ne le regrette absolument pas! Ce site, ce vignoble emblématique de la Vallée du Rhône doit être protégé comme il se doit des prédateurs de tout poil, c'est désormais le cas et tant mieux! Il n'empêche qu'on m'a servi hier soir une bouteille d'hermitage qui m'a laissé un sale arrière-goût. Et encore! Pour qu'elle me laisse un arrière-goût, il eût fallu que nous la bussions!
Je vais éviter de vous la décrire sous le coup de la colère, parce ce matin, avant le thé vert, j'ai essayé d'y remettre le nez et que c'est toujours aussi "mort" qu'hier soir. Lisez juste un exemple de ce qu'on dit sur le Web: "vin très rare. Flacon mythique (659 caisses). Une véritable légende en devenir. De même niveau que les prodigieux millésimes 1990 et 1989, ce vin d'une richesse incroyable impressionne par sa précision et sa fraîcheur. Sa couleur bleu-pourpre d'encre... 100/100 Robert Parker."


Fini le teasing, l'aguichage comme on dit en bon français, cette bouteille c'est Le Pavillon 2003 de la célèbre maison Chapoutier. Franchement, malgré tout le respect que j'ai pour le boulot de VRP fait à l'international par cette marque, je n'ai pas beaucoup d'atomes crochus avec les vins qu'elle a produits dans les années 2000. J'ai souvent eu du mal à y retrouver la grâce de la syrah nord-rhodanienne, et encore moins son fruit normalement étincelant enterré dans un cercueil en chêne massif. Le 2003 d'hier soir était une caricature de ce style lourdaud; cuit, sec, plat. Oui, "mort" pour reprendre le terme d'une des convives. Aussi ridicule, aussi ringard, aussi simpliste que ces priorats à la Jay Miller dont il m'arrive de me moquer. À cet égard, je me demande comment Robert Parker (qui a ses défauts mais qui n'est quand même pas un abruti) a pu ainsi se laisser berner** et coller la note absolue, 100/100 à ce gros vin de bourrin, à cette immense pipe à Pinocchio. Il est vrai "qu'à sa décharge", Uncle Bob est copieusement passé au travers du millésime 2003, ne prévoyant pas les désastreuses conséquences de la canicule sur le vignoble.


Certains vont trouver que je me la raconte, que je me la joue BoBo parisien, et que je ferais bien de retourner picorer ma modernité du goût à Saturne, ou dans tous les temples du prêt-à-penser de l'époque. Que je n'ai rien compris non plus à la "générosité" de ce vin, qu'il y a des Chinois qui vont adorer. Certes. Mais, j'attends davantage d'un grand cru français, d'un jus issu d'une telle appellation. Je lui demande un supplément d'élégance, de la classe. Sinon, autant recouvrir la colline de l'Hermitage d'antennes de télévision ou de téléphone…
Ce que nous avions dans le verre avec ce Pavillon bien bas (et dont s'est régalé ce matin l'évier) était l'inverse d'une divine bouteille, déjà évoquée ici, le trousseau d'amphore de Stéphane Tissot. Je vous en parle parce que la veille, nous en avons débouché un flacon de cette authentique rareté, mettant ainsi à mal le maigre stock de ma fabuleuse et inespérée allocation. Tout n'était que grâce et volupté dans ce rouge du Jura, intensité aussi. Lumière. Et que le fait d'y repenser me réconcilie avec les mystères du vin.
Mais bon, afin que cette chronique ne devienne pas le parfait négatif de celle d'hier, ventant les mérites d'une modeste mais brillante bulle limouxine, permettez-moi de vous dire quel vin, humble lui aussi, nous a sauvé la mise au cours de ce repas. L'absence du gros prétentieux de l'Hermitage, c'est avec un gentil corbières que nous l'avons palliée, tout jeune, tout frais, tout fruit. Un cru élaboré dans les vignes, celles dites "du terrain de rugby", au dessus de Talairan, le 2011 du Domaine Serres-Mazard, de mûre et de violette, acheté 5,95€ TTC la veille. Vous allez trouver ça mesquin, mais, en bon Ariégeois, je vais me livrer à un rapide calcul. Le Pavillon 2003 de Chapoutier vaut en moyenne 338€ les soixante-quinze centilitres (je vous fais grâce des taxes…***), ce qui signifie que pour le prix de cette "véritable légende en devenir', je peux m'offrir cinquante-sept bouteilles du corbières de Serres-Mazard, bouteilles qu'en plus j'arriverai à boire. Je crois que mon choix est fait.




* Dans le langage de la Marine, lorsque, avant ou pendant un combat, un bateau mettait pavillon bas, donc descendait son drapeau de son mât, c'était pour signaler qu'il se rendait, refusait ou abandonnait le combat.
Au figuré, depuis la fin du XVIIe siècle et dans beaucoup d'autres situations, mais surtout dans les compétitions sportives, mettre pavillon bas ou baisser pavillon, c'est s'avouer vaincu ou abandonner.
** Pour info, voici son commentaire dans le Wine Advocate: "An awesome effort, the 2003 Ermitage La Pavillon is produced from an old vineyard in Les Bessards. Tasting this wine is akin to a religious drinking experience. An endlessly complex, extraordinarily rich, complicated offering, it may last a century. There are 500 cases of this wine, which smells like acacia flowers intermixed with black currant liqueur, melted licorice, Chinese black tea, and incense. With supple tannin, an unctuous texture, and a massive finish, this is a legend in the making. Anticipated maturity: 2015-2060+."
*** Je vous épargne également le tarif de la maison Chapoutier qui s'établit à 600€.


Commentaires

  1. Eh oui, Serres Mazard... Quel beau vin ! Ou plutôt quel vin honnête !

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  2. Oui Michel , c'est un beau vin , très original avec des arômes de garrigues et totalement inimitable . La famille Mazard de Talairan est elle aussi unique et adorable . Allez y pour le vin et vous y reviendrez pour les vignerons .

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  3. Jay Miller, c'est bien le type qui a osé le parallèle pornographique, non ? Mauvais goût, quand tu nous tient...

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    1. Dr Jay est effectivement une vieille connaissance: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.fr/2012/05/pas-de-communique-officiel-pour.html

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  4. Je ne suis pas trop fan des vins de Chapoutier, un peu trop "claironnants" (techniquement et commercialement), à mon goût.

    Souvenir toutefois d'un énorme Pavillon 2000 qui avait devancé ses pairs (Turque 2001, Brune Jamet 2001, Rostaing Landonne 2001, ...) dans une belle dégustation de cuvées prestige.

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