La (presque) abjuration du végétarien.
Tiens, juste un plat de saison, comme ça, en passant, de retour du marché. Rassurez-vous, je ne vais pas transformer Idées liquides et solides en blog de recettes, je vous épargnerai les queues de gambas au lait de coco et les crêpes au Nutella… Non, cette recette, je vous en parle parce qu'à la stupeur générale (notamment celle de sa délicieuse épouse), et pour mon plus grand bonheur, son fumet venu du fond des âges a fait sortir hier soir un végétarien du bois.
Rendons à César ce qui appartient à César, elle m'a en fait été inspirée par le grand Jean-Marie Amat, étincelant cuisinier bordelais, qui lui-même la tirait de quelque grimoire dont il n'oublie pas de se nourrir, d'un ménagier ou d'un viandier. À l'origine, médiévale, il s'agit d'accommoder le lapin, de rehausser sa chair blanche grâce aux premiers raisins, encore un peu acides, ceux que l'on commence à trouver sur les étals, comme mardi dernier au marché d'Olonzac, en Minervois.
Cette recette, je l'ai aménagée, trouvant sur ma route, dans ce même marché d'Olonzac, un superbe quadrille de pigeons descendus du Tarn voisin. Le pigeonneau, quelques chefs renommés le savent, est un des trésors du Pays de Cocagne, du Lauragais. On y trouve grands éleveurs au savoir-faire précis. Je conserve ainsi pieusement le souvenir de Louis-Charles de Roquette-Buisson, sociologue pigeonnier, dont l'élégante faconde animait le Marché des Carmes de Toulouse; il avait étudié les mœurs de cet animal dont il avait été étonné d'observer, entre autres, la fidélité conjugale.
Mais, avec le pigeon, l'origine ne fait pas tout. Prenez le meilleur du Monde, nourri au blé, au millet ou au pois, et saignez-le comme un vulgaire poulet, il ne vaudra plus rien! Le pigeon, à l'instar de la pintade, ça s'étouffe. Et surtout, ça ne se vide pas tout de suite, ça ne s'éviscère pas. On laisse la chair se mortifier une semaine au moins avant de l'inviter à table.
Comme toutes les recettes du temps jadis, celle-ci a besoin de petites mains. Celles qui vont peler et épépiner le kilo de raisin (bon poids!), noirs et blancs mélangés. Pendant ce temps, vous videz les pigeons (sortis deux heures à l'avance du réfrigérateur) en réservant précieusement les cœurs, foies et gésiers.
Dans une grande cocotte en fonte, vous colorez rapidement à feu vif les oiseaux à l'huile d'olive (ou à la graisse de canard), puis réservez. Vous tapissez le fond de la cocotte de très fines tranches de ventrêche demi-sel, sept ou huit. À feu moyen, vous remettez les pigeons, salés, poivrés (poivre noir du Kerala), deux fines tranches d'ail rose de Lautrec dans le cul, et les recouvrez d'autres tranches de ventrêche. Ajoutez les gésiers, 4 grains d'ail, les raisins, deux branches de thym des calcaires du Minervois, un verre de vin blanc du même tonneau et du poivre en grains. Couvrez, et comptez 15-20 minutes à feu moyen. Ôtez le couvercle, vérifiez la cuisson des pigeons (saignants ou rosés, à votre goût), si cela vous convient, sortez-les et faites réduire le jus dans lequel vous aurez jeté un trait d'armagnac. Éteignez le gaz, rectifiez l'assaisonnement, remettez les pigeonneaux, ajoutez cœurs et foies. Oubliez une heure ou deux.
Dix minutes avant de passer à table, quand on dessert les entrées, réchauffez doucement. Coupez les oiseaux par le milieu, servez accompagné de la sauce bien chaude, avec un vin couillu, carignan, mourvèdre ou cabernet-franc. Mangez avec les doigts (avec élégance et détermination, comme mon voisin d'en face, le vieil homme et la mer).
Et là, normalement, le miracle se produit, le végétarien (préalablement travaillé au meursault jeune et au chardonnay de Limoux), sans pour autant abjurer et redevenir un ogre, tend son assiette et se régale de cette viande de roi.
Et là, normalement, le miracle se produit, le végétarien (préalablement travaillé au meursault jeune et au chardonnay de Limoux), sans pour autant abjurer et redevenir un ogre, tend son assiette et se régale de cette viande de roi.
Commentaires
Enregistrer un commentaire