Les murs de Cristal.


Un article du Figaro rappelait il y a peu ce que certains hôpitaux de France doivent au vin, en terme de revenu. En premier lieu, les célèbres Hospices de Beaune, dont la vente annuelle est devenu un évènement qui dépasse largement les frontières du Mondovino. Notamment quand vous avez comme commissaire-priseur ce ludion de la parole qu'est Fabrice Luchini. Il y était aussi question des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. On connaît moins, en revanche, le cas des Hospices de Saumur et du délicieux Clos Cristal.


Nous sommes au cœur de ce XIXe siècle industrieux. Antoine Cristal, fils d'un voiturier d'origine auvergnate venu s'établir à Turquant, un village du Saumurois, a fait fortune dans le drap. Une de ses fabriques, établie dans le Nord, donnera même naissance, par ricochet à La Redoute. En 1886, le millionnaire décide de changer de vie, il achète un château, le château de Parnay, dans le vignoble de Saumur, à deux pas d'où il est né et décide de devenir vigneron. Vraiment vigneron! On le prend pour un excentrique quand il arpente son domaine, en sabots, accoutré d'une manière qui ne correspond pas vraiment à son statut social. Dans son esprit, c'est clair, on boira ici du grand vin, pas du blanc comme le veut la tradition locale, du rouge, aussi bon que les bourgognes qu'il boit avec ses copains, Clémenceau, Ferry, Gambetta.


Antoine Cristal, le libre-penseur persévérant, rêve de Bourgogne, de murs, de clos prestigieux. Pendant trois ans, douze ouvriers vont bâtir, à l'ancienne, les murs qui ceignent les vignes de ses rêves. Il ira même plus loin: en ces temps où l'on ne parle pas encore de réchauffement climatique, où il s'agit non pas de traquer la fraîcheur mais de gagner en maturité, il invente un dispositif unique, inscrit à l'inventaire des Monuments historiques depuis 2011; des murs, des murs troués, au cœur du clos, des murs où le breton, et quelques cabernet-sauvignon, "les pieds au frais et la tête au soleil", profitent de la réverbération, d'un "solarium pour raisin" qui garantit une maturité optimale.


En admirant l'ingéniosité de ce dispositif, un rien goguenard, je ne peux m'empêcher de penser à ceux qui aujourd'hui feintent, jouent avec cette notion de maturité, "vendangent vert" et nous racontent des fables où, par opportunisme (mais généralement avec maladresse), l'on tente de travestir la verdeur en fraîcheur pour gogos. À propos de ce gimmick, je mettais les pieds dans le plat, il y a quelques mois, en évoquant les bonnes idées de quelques petits malins qui fabriquent à coup d'erreurs de calendrier, des irancy en Catalogne.


Généreux, tel le vigneron qu'il est devenu, le Père Cristal, lègue, en 1928, trois ans avant sa mort, les dix hectares de son clos magique de sable sur calcaire (ainsi que quelques autres biens) aux Hospices de Saumur. Ses vins, à cette époque sont reconnus, aussi bien sur les grandes tables de Paris (Monet, dit-on en fait ses délices) que sur celles des monarques d'ailleurs. Voila pour la belle histoire.


Aujourd'hui, le Clos Cristal, dont les beaux raisins furent un temps mélangés avec le tout-venant, n'est pas qu'un Monument Historique. C'est un terroir vivant que les Hôpitaux ont confié en gérance à une "bande de jeunes". Une basse-cour dans des vignes pleines d'herbes folles (en fait sérieusement cultivées en bio depuis belle lurette), des dreadlocks, il y a clairement un côté baba-cool dans tout cela, baba-cool bosseur. Pour s'en persuader, il suffit de descendre à la cave, de s'enfoncer dans le calcaire de la roche-mère, pour goûter à une fraîcheur que la canicule qui écrase la Loire en ce milieu du mois d'août n'arrive pas à entamer.


Je sais bien que je vais en choquer certains en écrivant ça, mais Clos Cristal, singulièrement dans le millésime 2010 de sa cuvée de base, est l'exemple-même du vin nature réussi. On est à l'opposé de ces jus oxydés, verts et décharnés dont on veut parfois nous faire le parangon du vin de terroir alors que, banalement, il ne s'agit que d'approximations ou de ratages. Bien sûr, si l'on n'y prend pas garde, à l'ouverture, une bouteille de Clos Cristal, ça renarde un peu. Pour la bonne cause, ajouterais-je, le vin est travaillé en réduction afin de le protéger justement des défauts des vins de "vrais bab's"; le remède est simple, connu de tous, ça s'appelle une carafe. La décantation, de quelques heures si possible, est indispensable pour comprendre ce saumur-champigny harmonieux qui se dégage peu à peu de sa gangue pour révéler de fins arômes, goudrons, guigne, amande (presque horxata diraient des Catalans), qui dépassent de loin le simple variétal du cabernet-franc. Une pointe de rusticité dans les tanins, ma non troppo, et, au final, une précieuse sensation de pureté, de sincérité.


Le 2011*, actuellement à la vente au domaine, vient d'être mis en bouteille, le plus sage est de l'oublier quelques années mais sa bouche présente déjà cette texture un peu "bourguignonne" typique du Clos Cristal. Nous avons également eu la chance de goûter la micro-cuvée Les Murs 2010 (épuisée), trois mille bouteilles issues de ces vignes nées de l'ingénieux système inventé par Antoine Cristal, toujours le même équilibre, avec une pointe de densité en plus, une pointe de mâche aussi. Je suis d'ores et déjà à la recherche du 2011 qui sera embouteillé dans un mois ou deux.

d'après une photo de vendanges © Jérôme Paressant

Autre bonne nouvelle, ce cru exceptionnel reste financièrement abordable, douze euros pour la cuvée de base: à ce prix, aucune raison de s'en priver, tant qu'il y en a! Pensez toutefois, surtout en cette saison chaude, à pousser à fond la climatisation de votre voiture, c'est l'éternel paradoxe de ce genre de crus qui chassent le naturel jusqu'à ce qu'il reviennent au galop mais nous obligent à faire quelques arrangements  avec l'écologie. Tout a un prix.


"Un pays qui produit ce vin est un grand pays, car il n’y a pas de grand pays sans histoire et sans grande civilisation" écrivit le Tigre au Père Cristal. Oui, ce saumur-champigny est une œuvre de culture, d'intelligence, le fruit d'un travail lumineux sur lequel nous devrions plancher en ces périodes où jour après jour l'obscurantisme gagne du terrain. Ce Clos est aussi un des témoignage de la grandeur du terroir ligérien. L'offrande d'Antoine Cristal demeure enfin le symbole de cette générosité vigneronne indissociable de notre pays, jusque dans ses paysages. Cette générosité, nombreux sont ceux qui, en France, devraient la méditer, notamment les prohibitionnistes subventionnés qui, oubliant que l'Enfer est pavé de bonnes intentions, maltraitent le vin.


* Heureusement, on trouve encore du 2010 chez des cavistes avisés comme Enfin du Vin!, à Gandes-Saint-Martin, le Tire-Bouchon, à Toulouse, l'Anima del Vi, à Barcelone, et par correspondance chez Vin Nouveau.


Commentaires

  1. Je me doutais que tu passerais par là... Le meilleur choix possible !

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  2. Bonjour, bravo pour votre article !
    Néanmoins, sans le vouloir,sans doute, vous ne respecté pas le droit d'auteur en utilisant une de mes photo, celle du tracteur et du cheval, et surtout :

    1) En enlevant ma signature (Ces photos issus de FLICKR et FACEBOOK sont signé !)

    2)En retraitant la photo (le choix de la colorimétrie appartient à l'auteur de la photographie)

    3) En ne me demandant pas l'autorisation.


    Amicalement

    Jérôme Paressant

    TOUTES MES PHOTOS CLOS CRISTAL :
    http://www.flickr.com/photos/jeromeparessant/collections/72157631837955897/


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    Réponses
    1. Je suis désolé, cette image se trouvait sur le mur, dans le bureau du Clos Cristal, c'est là que je l'ai photographiée, tout comme le portrait d'Antoine Cristal et le diplôme. Je peux soit la supprimer, soit ajouter une mention, à votre convenance.

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    2. Vincent,

      Laissez-là...mettez juste la mention (c) Jérôme Paressant

      Merci !

      Viniquement

      Jérôme

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