Je suis ringard, et j'aime ça!

En publiant, il y a quinze jours, mon billet sur l'épidémie de supermarchite aigüe qui sévit dans l'Aude, à l'Est du Minervois, je savais qu'on me traiterais de réac'. En ces temps où il importe plus que tout de faire peuple, il était risqué de stigmatiser le pousse-caddie, ce sport national qui aurait pu valoir à la France une pluie de médailles si le CIO avait eu le bon goût d'inscrire la discipline aux Jeux. Je ne me doutais pas qu'en plus de faire de moi un émule de Gérard Nicoud (ici un lien explicatif pour les jeunes), mon défaut suprême, selon ceux qui en public ou en privé* allaient s'indigner de ma critique de la "grande" distribution et de la faiblesse morale de certains petits politicards locaux, serait d'être ringard.

Ringard, démodé, has-been, vous n'imaginez pas à quel point! Inculte au point de ne pas m'esbaudir devant l'architecture merveilleuse, créative, des architectes de banlieue qui nous inventent jour après jour, aux quatre coins de l'Hexagone des Zones d'Activité Commerciale parfaitement égalitaires, tellement égalitaires qu'en pénétrant dans leur jungle d'enseignes génialement colorées, on se sait pas si on approche de Narbonne, Lille, Colmar ou Rennes. Grâce à la "grande" distribution et à ses miasmes, finies les injustices géographiques, les dissonances paysagères, la France se retrouve unie, rassemblée dans la beauté parfaite de ses entrées de villes qui, par parenthèse, forcent l'admiration des touristes étrangers qui s'obstinent à nous rendre visite.

Oui, je suis ringard! Pour achever le tableau, il ne me reste plus qu'à retrouver les sabots de mes ancêtres** et à parler patois! En tant qu'authentique néo-péquenot, j'ai même réécouté une des vieilles scies de la fin des années soixante-dix, ce tube improbable de Michel Delpech. Et nous avons, sans faire de manières, passé un dimanche en Loir-et-Cher, entre des forêts qui sentent presque la Sologne et des champs beaucerons.

Et là, au bord de la route, presque par hasard, à Lancôme, j'ai une nouvelle fois tourné le dos à la Modernité, au Progrès, une nouvelle fois, j'ai dit merde à l'Avenir et renoncé à rejoindre le troupeau de "l'homme de demain". Parce que parmi les motifs de ringardise évoqués par mes détracteurs, il y avait le fait que je préconisais, entre autre alternative "ridicule", "irréaliste", aux hypers et supermarchés, d'aller faire ses courses directement chez le producteur. Normal, vous vous souvenez de Delpech: "On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue…"

Péché de gourmandise, en fait. On est peu de choses… Au bord de la Départementale 16, la Ferme de Morillard, signalée par un charmant nourrain, me tendait les bras. Tant qu'à être ringard, autant manger du cochon! Du saucisson à l'ail, des andouillettes au vouvray, des chapelets de saucisse, des pâtés de foie, des rillons… Tout ce qui est vendu dans la cour, dans la petite boutique de la famille Gabilleau est produit sur l'exploitation.

On peut bien sûr acheter au détail mais aussi en gros et demi-gros. Le porc entier, découpé, charcuté, revient à 4,80 euro le kilo: à ce prix-là, les empoisonneurs de banlieue n'ont qu'à bien se tenir. Mais peut-on vraiment, honnêtement comparer? Ce qui me rassure, c'est que le parking (désolé, il n'est pas goudronné et dépourvu de quatre-sur-trois vantant les mérites de telle ou tel merde marketée) de la Ferme de Morillard est rempli de voitures. Ringards de tous les pays, unissez-vous…

Pauvres ou riches, de droite ou de gauche, dans ce coin du Loir-et-Cher, on vient se servir ici, on mange local, juste parce que c'est sain et écologique, juste parce que c'est normal. Dans les fermettes des environs ou les belles demeures des environs, visiblement, ringard ou pas, ça ne gêne personne de marcher dans la boue…

* Souvent anonymement, car visiblement, les cojones ça ne s'achètent pas en grande surface…

** ah, les magnifiques sabots pointus du Couserans!