Le vigneron dont je bois les paroles.
J'aime, j'adore le vin mais je crois que je ne me suis jamais autant ennuyé que devant ces exposés insipides, ces masterclasses aussi creuses que prétentieuses, ces causeries publicitaires qui sentent le formol et dont on fait parfois le summum de l'érudition pinardière. Le Mondovino regorge de ces occasions d'enfiler comme des perles des sottises convenues et de grands moments de léchage de cul tarifé, le tout enrobé dans un "indiscutable" sérieux scientifique. Bref, la wine education pontifiante, à l'anglaise, m'emmerde; visiblement, je ne suis pas le seul, si j'en juge par son mirobolant impact sur la consommation de jus de raisin fermenté, en Espagne, par exemple, où, comme pour mieux renier sa latinité, on fait encore mine de lui porter un intérêt démesuré.
Il existe heureusement de vrais "Maîtres de Vin", on les reconnaît assez aisément à leur humilité et au fait qu'ils ne donnent que très rarement dans les certitudes définitives et les robinets d'eau tiède. Leur immense connaissance, ils l'ont en général autant puisée dans la terre, dans les caves, au fond des bouteilles que dans de vieilles et odorantes bibliothèques. Ils ont trop de cœur pour le par-cœur, et cette connaissance, cet humanisme, tout en le partageant généreusement avec tous les apprentis du vin, ils les pondèrent, les tempèrent de doutes et de questions qui leur permettent de toujours progresser. Ma grande chance a été de rencontrer très tôt l'un deux, Robert Plageoles, c'était il y a près de trente ans.
Dimanche dernier, mon "Maître de Vin" donnait une conférence, justement, dans un charmant petit musée caché au milieu de son vignoble natal, à Lisle-sur-Tarn. J'étais dans les parages, comme d'habitude, j'avais projeté de passer au domaine familial durant mon séjour et j'étais tombé, dans Le Tarn Libre, sur l'annonce de cet évènement, en marge d'une manifestation organisée par les dessinateurs de Charlie-Hebdo. Sans rien dire à personne, je me suis glissé dans la salle, comble, et j'ai commencé d'écouter.
Car, oui, depuis trente ans, je bois les paroles de Robert Plageoles. Cet homme a toujours eu un train d'avance, il n'a jamais hésité à ramer à contre-courant. Juste un exemple, les cépages, une de ses marottes, un exemple (désolé, cher Jonathan Nossiter) qui me fait dire qu'il y avait une énorme erreur de casting dans le film Mondovino: on y fait d'Aimé Guibert de la Vaissière le parangon de l'identité du terroir alors qu'il vient, "à l'américaine", planter du cabernet et du chardonnay dans son Mas de Daumas Gassac languedocien; à la même époque, Robert Plageoles tempête pour sauver et replanter les vieux cépages de Gaillac, mauzac, duras, braucol, len de l'el, verdanel ou prunelart (impérial!). Cette traque des variétés anciennes constitue un des leitmotiv de son œuvre. Dans les forêts, à la recherche de lambrusques, en Crimée, aux origines de la vigne cultivée, dans les parcelles de ses voisins, à Vassal, le formidable conservatoire de la vigne maintenu par l'INRA… Il y consacre une bonne partie de son temps, cherche, fouille, lit, échange… Son dernier livre, La saga des cépages gaillacois et tarnais (chez Rocher), tente de faire le tour de ceux de sa région. Car, ultime particularité de mon "Maître de Vin", il ne parle que de ce qu'il connaît vraiment, de ce qu'il a vu de ses yeux, touché de ses mains, goûté avec sa bouche, planté, expérimenté. À l'opposé de ceux qui savent tout sur tout, ce qui équivaut finalement à rien sur rien.
Mais, on ne va pas jouer les "Masters of Wine", le vin, il faut en parler, certes, mais surtout le boire. C'est la finalité des flacons que l'on produit chez Plageoles. Pour ceux (les pauvres!) qui ne connaîtraient pas encore, le domaine, vieux de deux siècles, est situé sur les premières Côtes de Gaillac, à Cahuzac-sur-Vère et Castelnau-de-Montmiral, sur des sols argilo-calcaire et argilo-siliceux. Un domaine familial, je le disais plus haut, c'est important! Robert, dont j'ai du mal à imaginer qu'il a maintenant soixante dix-sept ans, a pris la direction du "Département Recherche et Développement"; il n'est pas mauvais non plus (là, il m'en voudra!) en tant que "Directeur de la Communication et des Relations publiques". Aux manettes, pour la vigne et le vin, "Executive Manager" donc, son fils Bernard lui a succédé, épaulé par son épouse Myriam. Et déjà, la génération suivante, que j'ai connue en layette, pointe le nez. Loin des modes et des passades, de pères en fils! Comme chez Roulot, Graillot, Selosse, Dagueneau, membres comme eux de l'Union des Gens de Métier.
Que dire des vins des Plageoles? Qu'ils "puent" la sincérité, la campagne, l'absence totale d'affèterie. Qu'il s'agisse du Mauzac Nature, la bulle la plus spontanée du Monde, des doux et des liquoreux (le Len de l'El 2010 est un trésor), de l'incroyable vin de voile ou encore des rouges, typiquement Sud-Ouest mais comme tentés par des rythmes ligériens, on est là au pays du grand vin qui se boit, tout en haut, à mon goût de ce qui constitue l'élégance et l'originalité française. Du grain, de la fraîcheur, de la profondeur, loin des bouteilles "albums à colorier" où l'on a besoin de vous souligner en gras ce qui risque de vous échapper. Je ne vous en dirai guère plus, je suis mal placé pour en parler, je suis amoureux.
Comme il se doit pour ce type de grands vins (hier soir, un copain vigneron, en goûtant le Braucol 2011 pensait aussi à Clape), les tarifs sont raisonnables, calculés en fonction des coûts et du travail, sachant notamment que les parcelles sont toutes en gobelets et en bio (ce que l'on met rarement en avant). Chez Plageoles, on ne boursicote pas, ce n'est pas vraiment le genre de la maison, c'est aussi une question de cohérence et d'honnêteté vigneronne. Le Braucol que j'évoquais à l'instant est facturé à peine plus de huit euros. La contrepartie de cette politique de prix, c'est que les vins, rapidement épuisés au domaine, ne sont pas toujours faciles à trouver. Heureusement, les bons cavistes en ont*, pillez-les!
Pendant et après sa conférence de dimanche, Robert Plageoles évoquait ses projets, ses expériences**, m'entretenant même de ses craintes quant à l'avenir du vignoble. Il s'inquiète de constater un peu partout ce qu'il qualifie de "dégénérescence de la vigne". Rappelant l'époque pas si lointaine où l'on fabriquait de longues et larges tables en bois de vigne (ce qui impliquait l'utilisation de ceps multi-séculaires), il s'étonne de la faible longévité des plants d'aujourd'hui. Tout remonte, selon lui, au phylloxéra quand on décida, dans l'urgence, de gérer la crise en abâtardissant nos cépages avec les variétés américaines, sans poursuivre ensuite les recherches afin de permettre le retour à l'identique, au cépage pur, non surgreffé. Il faut travailler sur ce sujet insiste-t-il, un sujet qui on le sent bien fait naître chez lui une de ses majestueuses colères positives sans lesquelles je me demande si le vignoble gaillacois existerait encore. Et là, un verre de Mauzac Nature dans la main, sous les platanes, j'apprends que ça y est, Bernard et lui ont commencé à replanter des vignes franches de pieds! Comment voulez-vous que je ne boive pas ses paroles?
* sur le site du Domaine Plageoles, on trouve une liste non exhaustive des distributeurs français. À Londres, ils sont distribués par Les Caves de Pyrène.
** un jour, il y a vingt ans, il avait détourné un lot de merisier dont son épouse (patiente!) voulait faire faire un buffet afin d'expérimenter des fûts d'un autre type, c'était chouette d'ailleurs…
Que c'est bon de s'imaginer aux Tres Cantous, en plein dans le Tarn, avec cette joyeuse famille que j'ai connue comme toi depuis 1983. À ma connaissance, le Gaillacois n'a jamais eu d'attachés de presse et il n'en a pas besoin : il suffit d'aller chez Josy pour parler cuisine, chez Robert pour parler plantes et maintenant chez Bernard pour parler vins. Embrasse-les bien pour moi si tu les vois. Ce sont des gens précieux.
RépondreSupprimerPrécieux, c'est le mot, Michel.
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