Grands Crus à la machine…


"Passer notre amour à la machine, faire bouillir, pour voir si les couleurs d'origine peuvent revenir… Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau de Javel les sentiments, la blancheur qu'on croyait éternelle, avant…" Le ciel hésite entre le graphite et le plomb. Une oreille sur l'autoradio, la voiture rouge file entre les vignes vertes et les oliviers argentés de la partie basse de La Livinière, cette "Terrasse" plate comme la main. Paysage en noir et blanc, vaguement dramatique. La guerre est déclarée. D'effrayants monstres cyclopéens, bleus ou jaune orangé, Panzers de la Modernité, montent à l'assaut d'une armée de ceps maigrelets, fantassins désespérés.


J'ai écrit il y a quelques temps ce que je pensais des "grands Crus du Languedoc", un initiative auréolée de marketing, rehaussée d'un zeste de politicaille et présentée alors comme l'arme absolue pour que le Languedoc conquière le Monde. Sur le fond, je trouvais ça un peu ringard, un peu anachronique, ça fleurait bon la com' "tête de gondole", les néons et la "foire aux vins". Était-ce sur ce combat-là qu'on attendait vraiment cette région viticole qui a su, il y a vingt ans, se rendre sympathique grâce à une génération de vignerons qui proposaient de beaux vins à bon prix, et sans péter plus haut que leur cul? Là, fidèle à un des travers stylistiques du Midi, on s'apprêtait à coller deux pseudo colonnes romaines devant des pavillons de banlieue narbonnais ou biterrois pour en faire des, croyait-on, des châteaux.


Car le pire, c'était au niveau de la forme. Et je n'ai pas été le seul à m'en émouvoir, Jancis Robinson, la sévère institutrice anglaise des écoliers du vin s'était fendu d'un article pour dire à quel point elle trouvait ça bizarre, mon camarade-journaliste Michel Smith en avait de son côté remis une couche (opportune): on avait sorti du chapeau une liste de bouteilles, politiquement très correcte mais complètement artificielle et bureaucratique, dans laquelle on zappait la majeure partie de ceux qui portaient et continuent de porter haut les couleurs du Languedoc, chacun avec leurs spécificités, les Valette, Barral, Chabanon, Navarre, Old, Julien, Carayol, Leconte des Floris, Vaillé et tant d'autres. Depuis, la brillante initiative a vaguement capoté, les stratèges ont été rappelés à la raison, par l'INAO notamment. Et comme il se doit le projet végète, vole en long-courrier, produit des notes de frais et coûte sûrement fort cher à la masse des vignerons déclassés qui paye ses cotisations syndicales…


Bref, RIP les "grands Crus du Languedoc", astrakans synthétiques de la "hiérachisation" des vins. Mais je repensais à cette initiative tocarde, tandis que nous passions de Minervois en Corbières et qu'après avoir traversé la plaine de La Livinière, nous attaquions celle de Boutenac, autre grand Cru déclassé. Et là aussi, sous le ciel sombre, les battoirs mécaniques s'activaient, les machines à vendanger faisaient leur sinistre boulot. J'avais mal pour ces vignes chétives, enchaînées à leurs fils, secouées comme des pruniers. Et je me suis dit que, vraiment, il y a des moments dans le Mondovino où l'on raisonnait à l'envers. Et qu'avant de s'inventer des Châteaux en Languedoc, il aurait peut-être fallu commencer par le commencement et respecter la vigne, par "travailler grand Cru". Notamment en vendangeant humainement. En lui faisant l'amour, pas la guerre.


Commentaires

  1. Merci de m'avoir cité au passage en compagnie de Jancis... Je pense sincèrement qu'être grand cru ça se mérite et que ça ne se gagne pas dans le sens où "ils" le voient et l'espèrent. Je reviens comme toi du Minervois, du Loup Blanc et du Viala, et là j'ai vu des gars travailler comme de grands jardiniers de la vigne, avec amour, fougue et passion. Oui, faire l'amour pas la guerre, c'est ce que nous méritons dans le Midi.
    Au fait, en passant, je ne suis pas contre la machine, bien tenue, bien menée sur des vignes adaptées... sauf dans les grands crus. Et qu'on ne me parle pas de manque de main d'oeuvre : nous avons 3 millions de chômeurs et des milliers d'Espagnols et de Portugais en quête de boulot chez nous pendant les vendanges...

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  2. La question que je me pose, est-il nécessaire de classifier les vins, Bordeaux en a abusé jusqu'au plus profond des pieds et fait faire des fortunes à des viticulteurs qui fond aujourd'hui des vins manucurés, bousculent la vigne et font la pluie et les beau temps grâce à la com. le marketingIl me semble que des gens influents, comme les bloggeurs, je parle des pro Smith, Merloz, Pousson et cie sont aptes à remplacer avantageusement le marketing superficiel

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