La Chartreuse (secrète) de Vendée.
Mon petit doigt me dit que son histoire rocambolesque n'est pas pour rien dans l'attrait qu'exerce La Chartreuse sur le mundillo des barmen et des sommeliers. Car la recette de cette liqueur, et surtout l'ordre qui l'a mise au point ont connu la spoliation, la fuite, la prison, l'exil, le mépris, l'usurpation, l'incendie, puis la renaissance. Mais, toujours, contre vents et marées, le mystère de La Chartreuse a été préservé, à côté duquel la liste d'ingrédients du Coca-Cola fait figure de secret de Polichinelle.
La mode actuelle (qui dure quand même depuis une bonne dizaine d'années) pour La Chartreuse puise aussi ses racines dans la littérature, la chanson et le cinéma: dans les années vingt, Scott Fitzgerald en fait boire une bouteille à Gatsby le Magnifique, Tom Waits en 1980, dans le génial album Heartattack and Vine, en glisse une pinte entière dans 'Til The Money Runs Out avant que Tarentino, grand compilateur devant l'Éternel, ne fasse dire au barman dont il joue le rôle dans Boulevard de la mort que c'est "la seule liqueur bonne au point d'avoir donné son nom à une couleur", référence aux vert et jaune chartreuse connus principalement en Angleterre.
Très loin de la fameuse Chartreuse de Tarragone, des trafics et des marchandages dont elle fait l'objet à quatre ou cinq cents euros la bouteille (si ça en intéresse certains, j'ai un tuyau…), c'est au retour des plages de Vendée, de L'Aiguillon et de la Terrière que j'ai découvert par hasard une Chartreuse de contrebande, inconnue au bataillon.
Tout cela, en fait, à cause d'une de mes extravagances, d'un de mes caprices, les yeux encore brûlés par les vagues, je rêvais d'un canard de Challans, phantasmant sur un éventuel mariage avec quelque cabernet-franc rapporté de nos virées ligériennes. De retour de la plage, les marchés ayant plié, il s'agissait donc de trouver un boucher. Je ne vais pas vous refaire le couplet de l'autre jour sur le cancer de la grande distribution ou la vérole des supermarchés, n'empêche qu'une fois de plus j'y ai été confronté… Dans les villages que nous traversions, plus la moindre échoppe, plus le moindre étal, nous nous arrêtons donc à Luçon, sous la cathédrale; une cathédrale, ça fait sérieux, ça sent le repas du dimanche, le vin bouché et la volaille dans le four, donc, le bon boucher!
Tournant le dos au pieu édifice, je me dirige donc vers le Syndicat d'Initiative, à savoir le bistrot du coin où le patron à la moustache rigolarde m'annonce qu'il ne reste plus qu'un boucher à Luçon, à deux pas, mais que, manque de pot, il est en congés. Serviable, un poivrot au nez cardinalice me conseille d'essayer le Leclerc, dans la zone de je-ne-sais-pas-quoi, je lui indique, poliment mais fermement que je ne mange pas de ce canard-là, ma religion me l'interdit. Vu que nous avons encore de la route pour regagner le Haut-Poitou et qu'il n'est pas question d'attendre le marché du lendemain, je m'assois sur mon caprice et je remballe mes phantasmes de mariages bretons. C'est là que, face à mon dépit, apparaît la façade de la Distillerie Vrignaud.
Face à Notre-Dame-de-l'Assomption (c'est de saison!), l'endroit occupe l'ancien bâtiment de cette distillerie familiale fondée ici en 1812 et déménagée depuis à Sainte-Gemme-La-Plaine. Bon, sur le coup, ça fait un poil boutique à touriste, mais, faute de canard…
C'est d'abord un pâté de ragondin qui m'attire l'œil. Et me rassure. Les gens qui mangent du ragondin ne peuvent pas être foncièrement mauvais. La pâté de ragondin, ça ne rime pas avec gandin, ce n'est pas demain la veille qu'on va vous en servir dans les mangeoires moléculaires et autres tables chimico-créativo-dépouillées pour moutons de Panurge promues par Whirlpool et les mangeurs de jelly du magazine Restaurant. Le "lièvre des marais", je l'avais bien aimé en Médoc, je sais qu'en Vendée et en Poitou, dans la Venise verte, on ne crache pas dessus. Tant qu'à le chasser, autant en faire quelque chose…
La Distillerie Vrignaud est d'abord connue pour son Kamok, une liqueur de café dont on raconte qu'elle fut inventée pour satisfaire le palais des Hollandais, maîtres des polders, venus enseigner aux Vendéens l'art d'assécher les marais; le Kamok, dont on m'a retrouvé hier soir une vieille bouteille, a ensuite fait les délices de générations de grands-mères de la région. On y trouve également le Kayouski, une liqueur d'amandons d'abricots, une liqueur à la mogette (eh oui, au haricots!) et même du pastis artisanal. Bref, tout cela nous ramène à une époque, où l'on brassait et l'on distillait à côté de chez soi, où la bière et l'alcool ne devaient pas grand chose aux multinationales, aux trente-huit tonnes et aux autoroutes.
Mais la grande découverte que nous avons faite à Luçon, c'est cette bouteille, aujourd'hui carrée, d'une liqueur jaune, titrant quarante-trois degrés et basée sur des "infusions de plantes" (camomille, coriandre, angélique, fenouil, badiane, cumin…). Visiblement, cet Élixir Vrignaud s'est appelé un temps "Chartreuse jaune" comme en témoignent de vieilles réclames de la Maison; sur une des photos ci-dessus, on voit même qu'elle était jadis embouteillée dans un flacon qui évoque fortement La Chartreuse. Personnellement, je ne suis pas très amateur de ce genre de spiritueux, trop forts en alcool, trop sucrés aussi à mon goût, mais selon les spécialistes qui l'on goûté, cela ressemble comme deux gouttes d'eau à l'original. Est-ce une copie? La recette des moines Chartreux, durant ses tribulations, a-t-elle transité par la très catholique Vendée? Il faudra demander cela à des spécialistes du Bas-Poitou, comme Jacques Berthomeau. Il faudrait peut-être aussi courir les vieux bistrots de la région pour, comme on l'a fait pour la Tarragone, retrouver de vieilles bouteilles et ainsi voir de quelle manière évolue l'Élixir Vrignaud. Pour moi, en tout cas, ça restera ma Chartreuse des plages.
Canard de Challans et Cabernet franc: c'est ça que vous appelez mariage breton???
RépondreSupprimerOui, cher Anonyme, en référence au phantasme de mariage évoqué un plus haut dans le texte, celui du canard avec le cabernet-franc de Loire qu'on appelle localement "breton".
Supprimerexcellent article, dire que nous aurions du echanger qq heures ensemble cet ete...on aurait meme pu gouter a cette chartreuse jaune de vendee.
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