Est-ce bien Utile?


J'ai découvert ça en allant acheter du fromage et des pâtes, à Albi. Pour ceux qui ne connaissent pas, la Préfecture du Tarn dispose d'un beau marché couvert de brique et de métal, construit en 1902, à deux cent mètres de la Cathédrale Sainte-Cécile et du Palais de la Berbie, le Musée Toulouse-Lautrec, désormais classés au Patrimoine mondial de l'Humanité. Et là, juste au dessus de l'entrée du marché (au dessus de toutes les entrées, en fait), on avait planté, outre une enseigne un peu ringarde, un ignoble panonceau publicitaire pour une chaîne de supermarchés!


Albi est une de mes villes-mères, une ville dont j'admire aussi la préservation du patrimoine architectural. J'évoquais la cité épiscopale, mais il y existe encore des dizaines de rues dont chacune d'entre elles vaut à elle seule un reportage-photo. Du quai Choiseul au cloître Saint-Salvi, du quartier Saint-Estèfe à la place du Palais, Albi demeure un trésor, un trésor de brique, admirablement protégé. Cette protection n'est pas le fruit du hasard, la ville le doit à l'amour d'un des plus célèbres élèves de son Lycée Lapérouse, Georges Pompidou, qui la fit découvrir à André Malraux, qui inventa la réhabilitation urbaine intelligente. Et, depuis 1973, Albi possède un immense secteur sauvegardé ou les rois de la pelle mécanique n'ont pas pu exercer leur art.


Malgré cet imposant patrimoine, l'histoire architecturale d'Albi n'est pas figée. On a semble-t-il passé l'époque maudite du faux vieux, avec brique de parement réglementaire, et l'élan se poursuit au travers d'un projet que je trouve plus qu'intéressant, la rénovation du quartiers des Cordeliers, confiée à Dominique Perrault** où il s'agit ni plus ni moins de réimplanter (entre autres) des cinémas en centre-ville, à l'inverse de la banlieuisation en vogue depuis dix ans. Face à ce genre de travaux structurants (qui font comme d'habitude râler les vieux ronchons), Albi prend des airs de capitale culturelle de Midi-Pyrénées, surtout si on la compare à Toulouse qui semble poursuivre son inexorable descente vers l'abandon et la crasse***.


Voila pourquoi je comprends d'autant moins le besoin qu'on a eu d'aller poser cet étron au frontispice du marché couvert! Ce serait de la provoc' qu'on n'aurait pas mieux fait. Vous aviez là un des derniers endroits préservés de la supermarchite, ce cancer qui ronge, grâce à la faiblesse morale des élus, les villes et maintenant les villages français et dont je vous ai beaucoup entretenu ces dernières semaines****. Et même cette oasis, il a fallu qu'on la souille. Qu'on vienne y poser le sceau de l'infamie, le symbole de la malbouffe, comme si l'on en manquait par ailleurs!


Parce qu'évidemment, Albi la belle, comme toutes les villes de France, est cernée par les bidonvilles commerciaux, par ces forêts d'enseignes bariolées qui fleurent bon l'agence de pub de sous-préfecture, la beauferie motorisée et la misère intellectuelle. Je le répète, pourquoi avoir fait entrer le loup dans la bergerie?


Le problème est né il y a quelques années quand le marché couvert d'Albi a été "rénové". Soyons clair, sans aucun talent. Et je ne parle pas que d'esthétique, du fait que la belle halle ressemble désormais à un gymnase de CES Pailleron. Je parle du "concept" même de l'endroit. Avant la "rénovation", on comptait plusieurs dizaines de minuscules loges, rustiques et peu onéreuses, où les petits cultivateurs des villages environnants venaient vendre leur production, maigre mais souvent remarquable: quelques carottes, un bouquet de respounjous, un bon pigeon… Pour "faire propre", on a rasé tout cela et on a installé des stands, aux normes, qui évoquent davantage la grande surface que le marché paysan. On a créé du vide, un vide grandissant qu'il a fallu combler en installant au sous-sol un supermarché Utile, de la chaîne Système U.


Dans les rues adjacentes au marché, j'ai entendu plusieurs commentaires, de touristes notamment, je le répète, on est à deux cent mètres de la cathédrale: "-mais qu'est-ce que ça fait là? -c'est encore une histoire de fric!" Bref, ça "marque mal" comme on dit à Albi. D'ici peu, on dira "le marché, vous savez, ce truc qui est installé à côté de l'Utile…" Alors, franchement, Monsieur le Maire, mon cher Philippe, cette enseigne, était-ce bien utile?


* à propos de pâtes, il faut absolument, au marché couvert d'Albi, aller goûter celles de Mario, le Sarde, une merveille! Pour le fromage, c'est juste à côté du marché, je vous en parlerai une autre fois.
** dont on espère que son projet sera in fine moins couillon que celui de la très grande Bibliothèque de France, imposante, certes, mais peu adaptée à la conservation des livres.
*** sur ce sujet des travaux urbains, j'ai été effaré lors de ma dernière visite à Toulouse par la multitudes de petits chantiers, entrepris mais pas finis, ni faits, ni à faire, donnant à la Ville rose, dans un laisser-aller général, un petit côté "post-bombardements".
**** Ici, ici, ici et ici, par exemple.


Commentaires

  1. Une honte, cette Grande distribution qui se déguise en Halles, en producteurs, à se demander si une procédure pour publicité mensongère ne serait pas utile.

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  2. Scandaleux, outrageant ! J'espère que mes halles de Narbonne n'auront pas à subir un tel affront...

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