Si j'étais John Steed…
Je suis soulagé! Tout comme le sont, je l'imagine, le bon Mahmoud Ahmadinejad ainsi que le très pieux Abdallah ben Abdelaziz ben Abderrahman ben Fayçal ben Turki ben Abdallah ben Mohammed ben Saoud*, sans parler du moine-soldat, Claude Got**, grand mamamouchi français du bonheur dans l'abstinence. Grâce au Conseil d'État, ultime rempart de la Vertu, il n'y aura pas de chaîne de télévision consacrée au vin en France: Deovino, que le sourcilleux CSA avait pourtant autorisé à émettre, vient de se faire blackbouler au nom du sacro-saint principe de précaution. Tout cela est expliqué en détail dans cet article du site Bourgogne Live. Il ne reste plus à Deovino et à tout ceux qui veulent parler de vin autrement que sur papier de se rabattre sur le Web, qui au travers de sa nébuleuse de sites,
blogs, forums, réseaux, joue aujourd'hui, pour le vin notamment, le
rôle que jouèrent avant 1981 en France les radios périphériques, puis
les radios libres. Concernant la mise à l'index télévisuelle du vin, gageons que le même principe de précaution sera appliqué avec une égale vigueur à toutes les horreurs, simple bêtise ou pure violence, que diffuse à longueur de journée le petit écran.
Oui, je suis soulagé car je suis moi-même une victime de ces pourrisseurs de la jeunesse qui ont laissé le vice (le vin, entre autres) offrir son impudique spectacle à nos yeux innocents, contaminant par là même nos âmes pures. En la matière, je tiens tout particulièrement à dénoncer une série télévisée qui n'est pas pour rien dans mon inclination pour la Dive Bouteille et l'érotisme: Chapeau melon et bottes de cuir. Mahmoud, Abdallah (souffrez, votre Majesté, que je vous appelle par votre petit nom), Claude, joignez-vous à moi pour que, tant qu'à purifier la boîte à cons, on la débarrasse aussi de ce diabolique feuilleton. Et qu'en un immense autodafé on détruise aussi les DVD***, et même les vieilles cassettes VHS et ßetamax (on ne sait jamais, appliquons le principe de précaution jusqu'au bout!) qui véhiculent le message satanique!
Sur mon long et pénible chemin vers la débauche, aux racines de ce calvaire, Chapeau melon et bottes de cuir tient une place tout à fait particulière. Je devais avoir trois ou quatre ans quand le visage opalin de Mrs Peel apparut sur le téléviseur noir et blanc Sonolor de mes grands-parents****. Mrs Peel, son sourire mutin, son indépendance, ses catsuits moulants… Et le mouvement de sa mise en plis quand elle tournait la tête; je me demande d'ailleurs si un jour je n'ai pas été épris d'une gourde prétentieuse juste à cause d'une similitude capillaire… Emma Peel, bien avant Vanessa Redgrave ou Jane Birkin, c'était la féminité, pétillante, insolente et moderne, le swingin' London qui commençait de venir m'enseigner que j'étais un garçon, avec tous les "problèmes" inhérents aux garçons.
Mais, comme je l'évoquais déjà ici, cette sorcière de Mrs Peel ne se contentait pas de nous envoûter par ses charmes vénéneux, nous laissant croire à notre chance à chaque fois qu'elle repoussait avec une tendre courtoisie les assauts très BRG (British Racing Green) de John Steed, elle fit basculer plusieurs générations, la mienne notamment, dans la sinistre culture du vin. Elle est responsable! Chers Mahmoud, Abdallah (souffrez, votre Majesté, que je vous appelle une nouvelle fois par votre petit nom), très cher***** Claude, j'en détiens désormais la preuve formelle: en France, pays qui fut soumis au prosélytisme bacchique de cette série impie, on consomme actuellement cinquante-cinq litres de vin par an et par habitant; en Espagne, que le franquisme, clairvoyant, protégea de cette pornographie polymorphe en ne diffusant pas The Avengers, on en boit guère plus de dix litres! Car, c'est un fait, odieux, dans Chapeau melon et bottes de cuir, le vin est partout. Toutes les occasions sont bonnes, jusque dans le générique, pour faire sauter un bouchon de champagne, pour se verser une solide godet de bordeaux, de bourgogne ou de loire. Que des vins français, d'ailleurs, je me demande si Emma et John n'ont pas plus fait pour nos AOC que toutes les interprofessions pinardières réunies…
Seulement voila, si j'étais John Steed, pour honorer (pas de contre-sens, svp) Mrs Peel, je me serais un peu plus creusé la tête. Bien sûr, à la ville comme en pique-nique, il ne sortait que des grandes marques, des "valeurs sûres", à la façon des indépendants wine critics anglais (qui à leur décharge ont pour la plupart des accointances avec la grande distribution). Names, names, names… Non, la peau laiteuse d'Emma, sa chevelure acajou méritent mieux que des bouteilles de supermarché!
Je m'en vais donc de ce pas bousculer légèrement le scénario et modifier la carte des vins de Chapeau melon et bottes de cuir. En commençant par le champagne, en entraînant Mrs Peel dans des chemins de traverses, loin des grandes maisons rémoises ou sparnaciennes. Bien sûr, la fraîcheur de teint de mon héroïne m'inviterait à un accord sur la vivacité, je pense au Fidèle de Vouette & Sorbée, voire au Rachais 2006 de Francis Boulard. Ça aurait eu de la gueule quelques gouttes de Rachais sur le bas des reins… Pardon! Je m'égare. Mais n'oublions pas que nous sommes dans une série anglaise, ce fameux goût aristocratique (Steed a fait Eton) pour des champagnes un peu rassis, un peu plus fait: on serait bien plus dans le ton avec un Diebolt-Vallois mise en cave de 1983 ou, ce sera mon choix, le délicieux Dis, vin secret de Françoise Bedel, en version Brut, un vin ample mais frais, marqué par le pinot meunier, aux bulles d'une finesse infinie.
Noblesse (anglaise) oblige, on boit également des hectolitres de bordeaux dans The Avengers. Mais John Steed n'est pas que classique, sapé comme un mod, comme le mylord qu'il n'est pas formellement, un peu de rock n' roll coule dans ses veines. Je vais donc l'emmener ailleurs boire ce cabernet qu'il chérit, en plus ce sera du franc, cabernet-franc, comme son nom l'indique, serais-je tenté de dire. Dans la Loire? Pourquoi pas, j'y ai pensé l'autre soir en me pâmant devant un Chêne vert 1999 à point de Charles Joguet, un chinon princier qui aurait été couronné chez les Windsor. Mais, chez les gens biens, en Angleterre, un zeste d'excentricité ne nuit pas (don't you think so, Bertie?), donc nous humecterons la divine gorge de Mrs Peel d'une indispensable rareté, Un faune avec son fifre sous les oliviers sauvages 2008. Là, j'avoue, j'ai l'air fin, moi qui milite pour les cépages autochtones, qui vous bassine avec les variétés oubliées, qui ne loupe pas une occasion pour me gausser des rieslings du Penedés, je viens vous fourguer un cabernet-franc planté à 6800 pieds/hectare sur de l'argile de décalcification du versant sud des Corbières, à Vingrau. Well done! Pourtant, je n'y peux rien, ce vin d'Hervé Bizeul est un des meilleurs bordeaux qu'il m'ait été donné de boire. Rigoureux, mais gourmand, profond, son seul défaut, c'est son actuelle jeunesse, ce qui, malheureusement, n'est pas rédhibitoire.
Reste le bourgogne, parce qu'on sirote pas mal de bourgogne aussi dans les épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir. Contre toute attente, alors que j'avais plein de noms en tête, des plus petits au plus grands, ma compagne a reçu hier une rafale de caisses d'un des pinots noirs les plus phantasmatiques du Monde, celui de Phillip Jones que j'évoquais récemment ici. Oui, du pinot noir des antipodes, né à l'extrême sud de l'Australie, au bord du détroit de Bass qui sépare l'île-continent de la Tasmanie, c'est le Commonwealth après tout et nous sommes dans une série anglaise! Les 2009 viennent d'arriver, nous nous jetterons sur la "petite cuvée", le Crown Prince. Je ne vous raconte pas le vin, puisque je le répète, il vient d'arriver, je ne connais pas encore le millésime; tout ce que je peux vous dire à propos de ceux que j'ai goûtés auparavant, c'est qu'à mon sens, il se définissent en un adjectif: pulpeux.
Voila, vous venez de constater, chers Mahmoud, Abdallah (souffrez, votre Majesté, que je vous appelle une dernière fois par votre petit nom), très cher***** Claude, le pouvoir démoniaque du petit écran et du spectacle de perdition qu'offre certains de ces programmes qu'il faut impérativement prohiber. Pour le bien de tous! Rendez-vous compte, j'allais écrire une chronique sérieuse, morale, vantant la sage décision des hauts fonctionnaires du Conseil d'État, et par d'odieux sortilèges, je me vautre dans le stupre et l'ivognerie. Il est temps que ça cesse! Vive la censure, mère de notre bonheur et de notre liberté! Vive le meilleur des Mondes!
* monarque régnant sur l"Arabie Saoudite.
** célèbre professeur de Médecine, davantage connu pour ses croisades prohibitionnistes. Ce Simon de Montfort des temps modernes est habillé sur mesure dans cette chronique de mon camarade Jacques Berthomeau, assisté du Canard Enchaîné.
*** je confesse, avec honte, disposer de la collection intégrale.
**** mes parents refusaient l'idée de la télévision mais craquèrent quand
même pour un Ribet-Desjardins blanc et rondouillard, je crois aux Jeux
Olympiques de Mexico.
***** les subventions…
J'ai peine à croire qu'à quatre ans, déjà... ;-) En revanche, moi qui ai quelques années de plus, je crains d'avoir bien cherché que toi une Emma Peel qui représente un archétype féminin qui, je pense, n'a jamais été égalé : élégance, humour, spécialiste en physique quantique et pourtant réussissant à te laisser croire que tu as un peu d'esprit, le tout en souriant, clairement, il y a deux un classement assez simple des amateurs de vin à faire : ceux qui mettent Diana Rigg en tête de tout et les autres. Tu fais donc partie de ceux là et je te remercie d'avoir pensé à ce vin pour la soirée avec elle ;-) Tu me fais plus d'honneur et de plaisir qu'une vulgaire note sur 100, jeté à la va vite à la fin d'une commentaire copié collé, et je suis sincère. Le 2010 est en bouteille...
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