Bar à touristes (éloge de la simplicité 3)
Je me souviens d'un tag, il y a un an ou deux, sur un mur de la rambla de Poble Nou: "Barcelone, pour les Catalans, pas pour les touristes!" Encore une de ces stupidités nationalistes (de droite ou de gauche), vomie par des crétins vociférants, aveuglés par leur déficit d'éducation et par ce qu'ils voyaient, du haut de leur rêves de "race supérieure", comme la formidable richesse de leur país et qui s'est révélé n'être qu'un abyme de dettes. Je vous le dis au terme d'une semaine qui a une nouvelle fois ressemblé pour elle à ces chemins de croix* d'un réalisme quasi pornographique avec lesquels, ici, l'Église marquait les esprits, l'Espagne m'effraie. Et pas seulement à cause de ces chiffres économiques, catastrophiques, que débitent, consternées, les speakerines de la télévision à une population qui en calcule les conséquence de façon empirique! Le plus terrible, je crois, ce sont ces "affaires" qui se succèdent à un rythme effréné, cette découverte quotidienne de l'omniprésence de la corruption, gangrène née bien à l'abri des regards, dans des régions autonomes gouvernées pour la plupart par des grenouilles mégalomanes et dispendieuses qui voulaient se faire aussi grosses que le bœuf et dont on voit mal comment elles pourraient conserver leur pouvoir. Et puis, évidemment, faisant son lit de cette décrépitude, la Réaction tente ici et là de pointer le bout de son nez camus.
Donc, heureusement qu'à Barcelone (et pas qu'à Barcelone), ils sont là, les touristes! Ne serait-ce que pour se changer les idées, pour montrer que la vie continue, que le rire est encore autorisé. Et tant pis, s'ils font un peu de bruit la nuit, s'ils boivent un peu trop**, si, cher amis catalans, ils n'ont pas ce seny*** barbant, sorte de vernis grisâtre que vous passez sur vos visages comme pour vous laver d'être Espagnols. Parlez votre langue si ça vous chante, mais ne pensez pas "patois", c'est le prix à payer! N'oubliez pas non plus que malgré les "désagréments" qu'ils vous procurent, ils représentent un des piliers de votre économie moribonde, rongée par l'orgueil, la politique et le catalanisme. Allez, faites les comptes, et, vous verrez, ça vaut bien un petit sourire! Benvinguts, bienvenido, bienvenue, welcome, glücklish zu sehen…
Heureusement, cette Barcelone joyeuse, cosmopolite existe encore! Une Barcelone qui a bien compris qu'elle n'avait pas d'autre choix que de s'ouvrir aux autres, sans toutefois y perdre son identité. Et c'est comme ça que, dans la suite de ma série sur l'éloge de la simplicité, je vous conduis en plein quartier à touristes, au cœur du Born, dans un bar-restaurant où l'on peut manger honnêtement un morceau, dans une ambiance sympa.
Le Bar del Pla se situe tout en haut de la calle de Montcada, une des vieilles ruelles de Barcelone. Chargée d'Histoire, aussi longue qu'étroite, elle accueille notamment le Musée Picasso (principalement consacré à ses débuts picturaux alors que sa famille andalouse émigre ici) ou l'envoûtant Musée Barbier-Mueller qui rassemble des collections d'art pré-hispanique d'Amérique latine; on y trouve également le noble Palau Dalmases, baroque, dont je vous recommande la buvette au cadre extraordinaire; évitez en revanche celle du Disseny Hub (design hub) dont l'accueil est berlinois certes, mais version Allemagne de l'Est haute Époque, tendance Honecker… Pour la petite histoire, celle des bistrots, la calle de Montcada qui débute au N°2 par le Bar del Pla s'achève avec un établissement célèbre (dont il faudra vraiment qu'on parle!), le Xampanyet.
Le lieu est bien sûr charmant, au Bar del Pla, on est au cœur de cette Barcelone qui fait rêver le monde entier, avec ses vieilles pierres et le linge, étendard méditerranéen, qui pend aux balcons. On peut, avec un coup de bol, prendre un verre sur la mini-terrasse, en fait une barrique et un mini-guichet généralement pris d'assaut par les fumeurs. Mais la salle voûtée au sol de vieux carreaux de ciments dépareillés, pleine de gouaille, est à l'image de ce qu'attendent ceux qui ont fait des kilomètres pour venir ici, épargnée par la vague du design mortuaire qui a détruit tant de beaux endroits barcelonais.
Au Bar del Pla, les tapas hésitent à devenir des plats, comme souvent à Barcelone où l'on n'a
pas cette culture de la micro-portion née au paradis andalou et
diffusée dans tout le pays; par parenthèse, il est amusant de noter
qu'il n'y a pas dans cette ville de "rue à tapas" comme on va en trouver
aussi bien à la capitale que dans toutes les autres villes de province, rue où l'on glisse d'établissement en établissement, chacun proposant sa spécialité ancestrale et souvent remarquablement exécutée.
J'ai particulièrement aimé l'amusante bomba de poulpe, la croqueta de calamar dans son encre, les bravas, roboratives (il faudra que je fasse un jour un championnat de Barcelone des patatas bravas!) ainsi qu'un élégant salmorejo, dont, clin d'œil à la tradition cordouane, les cuillères étaient de fins beignets, presque des chips d'aubergines. J'ai aussi piqué dans l'assiette de mon chanceux voisin quelques haricots d'un joli ragoût, des sortes de lingots à peau très fine qui n'avaient strictement rien à voir avec les farineux monxetes del Ganxet dont on fait localement grand cas mais qui ont un petit côté "fayots de caserne de l'Armée de Terre". J'ai un peu moins aimé le tartare à l'avocat, bonne viande, mais il faut absolument demander à ce qu'on l'épure des circonvolutions sucrailleuses supposées lui donner de l'esprit.
Globalement, donc, on ne s'ennuie pas et on mange bien, au Bar del Pla, d'autant mieux qu'on est servi par un personnel efficace et prévenant, souriant. Il y a de vrais professionnels en salle, certains visages ne nous sont pas inconnus, croisés notamment au Cal Xim, ce grand restaurant de brasa de Sant Pau d'Ordal qui eut un temps une succursale (mal placée) à Barcelone. Visiblement, on connaît ici la maxime britannique: "if you pay peanuts, you'll get monkeys…"
Reste l'épineux (et sempiternel) problème de la boisson: il y a au Pla une carte des vins, relativement fournie d'ailleurs, où l'on sent du travail, mais c'est vrai que comme souvent à Barcelone, il lui manque cet ultime "coup de rein" pour qu'on ait envie de commander autre chose qu'une caña ou une clara. Pour jouer le jeu et faire tendance, nous avons pris un des vins "nature" de la région, Les Paradetes 2007; ce n'est pas trop désagréable si on le sert bien frais, et si on le boit vite avant qu'il ne réchauffe. Il y a aussi à la carte un ou deux vins du Nord-Ouest espagnol, pas nécessairement ceux que j'ai envie de boire.
Au bilan, le Bar del Pla est un endroit où l'on a envie de revenir (éventuellement avec une bouteille dans la poche…), les prix sont raisonnables (25 euros par personne sans les boissons), bien plus raisonnables en tout cas que pour un repas dans ce type de quartiers touristiques, à Paris ou à Londres. Et puis, on y ressent vraiment le plaisir d'être à Barcelone, ce port accueillant, ouvert sur le large, que nous sommes si nombreux à aimer, même quand certains de ses habitants, éternellement marginaux je l'espère, nous font un peu la gueule, à nous, les étrangers.
* Manifestations monstre de fonctionnaires, dégringolade de la Bourse et appel au secours de la région valencienne qui comme la Catalogne se retrouve en cessation de paiement. Sur la situation à Valence et les causes du désastre, lire ce papier d'El País.
** J'en ai déjà parlé, c'est une des priorités des dirigeants régionaux de la Catalogne, et singulièrement de ceux de Barcelone, en finir avec le tourisme de borrachera, avec ces hordes étrangères qui viennent dépenser leurs euros, leurs dollars, leurs roubles ou leurs livres en s'alcoolisant dans les bars et boîtes du coin. Pour les accueillir, les habitants des quartiers concernés, couvrent leurs balcons, de bannières revendicatives "volem un barri digne" (nous voulons un quartier digne). Heureusement, comme c'est en catalan, personne ne comprend vraiment de quoi il s'agit!
** J'en ai déjà parlé, c'est une des priorités des dirigeants régionaux de la Catalogne, et singulièrement de ceux de Barcelone, en finir avec le tourisme de borrachera, avec ces hordes étrangères qui viennent dépenser leurs euros, leurs dollars, leurs roubles ou leurs livres en s'alcoolisant dans les bars et boîtes du coin. Pour les accueillir, les habitants des quartiers concernés, couvrent leurs balcons, de bannières revendicatives "volem un barri digne" (nous voulons un quartier digne). Heureusement, comme c'est en catalan, personne ne comprend vraiment de quoi il s'agit!
Ce qu'il se passe avec les régions espagnoles nous pend au nez avec nos régions dispendieuses menées par des fous bouffis d'orgueil.
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