Le nouveau 3 étoiles de la Costa Brava.


Évidemment, Palamós, ce n'est pas Aiguablava, Cadaquès ou S'Agaró. N'empêche que ce port de pêche un peu fouillis, tourné vers le sud du Cap de Begur, conserve un certain charme, d'abord et surtout parce qu'il demeure un port de pêche, célèbre pour sa gamba rouge écarlate à tête noire, cousine de celle du marché de Vilanova i La Geltrú. C'est justement pas loin des bateaux et du musée de la Pêche qu'il vous faut vous garer pour aller découvrir la nouvelle belle et grande raison de fuir les stations balnéaires huppées de la Costa Brava pour aller visiter Palamós. Ça se passe au N°1 de la calle de Tauler i Servià, une de ces ruelles qui grimpent du port à la mairie. La devanture est repeinte de frais (il paraît que précédemment elle était rose et turquoise…), vous voici à La Menta chez Agathe et Roger.


Ces deux jeunes n'ont pas trente ans. Agathe, vous l'avez croisée cet hiver encore pour la mise en route du premier bar à vins de Catalogne à Gérone, c'est elle qui illuminait  de son gracile sourire la salle du Plaça del Vi, Set; à La Menta, bien que devenue maîtresse de maison elle est restée tout autant sémillante. Roger, plus timide, tout le contraire du chef qui plastronne, du cuistot sûr de lui, qui sait tout et à qui on ne la raconte pas, le doute est un de ses moteurs; c'est une vieille connaissance lui aussi malgré son jeune âge, juste avant, il était le second de Carlos Orta au merveilleux Villa Más (qui se trouve à une dizaine de kilomètres!), mais il est aussi passé par les cuisines d'Els Casals, le beau restaurant paysan des montagnes de Sagàs. Au passage, il est aussi copain de Rafa, le meilleur cuisinier de L'Eixample, vous voyez le genre, il a fait Maths Sup'+Hypokhâgne+L'École Supérieure de la Vie…


Mais, avoir étudié ses classiques tout en ayant fait ses humanités, ça ne fait pas obligatoirement de vous un génie. Il faut, en cuisine notamment, cette merveille ibérique qui ne se traduit pas en français (et guère en catalan) mais se ressent: el duende! Le merveilleux déjeuner que nous avons fait dimanche dans la jolie salle de La Menta, très bistrot chic, délicieusement éclairée (ce qui est rare par ici!) semble montrer que Roger possède cette finesse, cette sensibilité qui lui permettent de transformer des plats en instants de grâce. Voici le menu, je précise que nous lui avons laissé totalement carte blanche, ce qui est assez important dans une cuisine qui est largement tributaire des arrivages du port d'à côté.


Pour se rafraîchir, à l'arrivée, après avoir offert à croquer quelques olives de qualité et du saucisson qui arrive directement de Sagàs, quelques moules, juste assaisonnées d'une légère vinaigrette de légumes. On attaque ainsi tranquillement, sur la douceur assez incroyable de ces moules à la cuisson parfaitement maîtrisée. Simplicité et évidence.


On monte tranquillement d'un ton avec un sashimi de saurel. D'habitude, j'aime bien ce poisson bleu un peu méprisé, à condition que sa cuisson soit parfaitement maîtrisée; là, à peine rehaussé de quelques gouttes d'une belle sauce de soja (pas celle qu'on trouve ici, une qui arrive d'Asie via le Chinatown parisien) et mariés à une espèce de julienne de haricots croquants, le résultat est surprenant, un des plus beaux sashimis que j'aie mangés.

Le troisième plat est tout simplement génial. À la base, qu'est-ce que c'est? Du cochon et de la sardine! La rencontre des pêcheurs du port de Palamós avec les paysans qui élèvent l'incroyable porc noir ibérique! Les filets de sardine, marinés, très discrètement dynamisés par une micro-pointe de gingembre, sont piégés par une gangue de ventrèche de chez Joselito, découpée à froid puis à peine tiédie. C'est esthétiquement très chouette, techniquement parfait, mais c'est en bouche que ça ce passe, c'est une explosion, l'incarnation en quelques bouchées de toute la magie des Suds. Ce plat (apparemment) tout simple, de "cuisine moléculaire naturelle", est un enchantement, une leçon, une école d'humilité. Il y a de l'intelligence là-dedans, de la sensibilité, immédiatement je pense à Michel Bras ou à Jean-Marie Amat. Quelle beauté!


Pas évident d'enchaîner après ça, je suis presque inquiet. En plus, voila qu'on nous annonce un canelón. Franchement, le canelón, je m'en passe. Je sais qu'on en fait grand cas en Catalogne où l'on se targue d'avoir inventé les pâtes, je comprends que ce mets rappelle peut-être aussi les années de combat, les années de disette où il permettait de passer les restes (ce qui n'a absolument rien de péjoratif) mais je trouve tout le temps le résultat lourdingue, à la limite de l'indigeste, avec ces hachis trop fins qui évoquent la raclure de comptoir, très loin en tout cas des cannelloni dont on peut se régaler en Italie.
Que nenni! Roger nous en livre une interprétation aérienne, la pâte d'abord qui évoque la raviole de Romans au mieux de sa forme, puis la garniture, pas de hachis pesant mais des épinards frais et crus, une chip de parmesan, un peu de caillé de vache de Burgos pour le fondant et voila que j'aime le canelón!


Il est temps alors de passer aux produits de luxe. Agathe nous sert des espardenyes; pour ceux qui ne fréquentent pas les côtes méditerranéennes du nord de l'Espagne ou du Sud de la France, les espardenyes, dans le parlé local, sont ce qu'on appelle des concombres de mer, des mollusques noirâtres, assez laids entiers, qu'on doit longuement éplucher afin d'en extraire, comme pour les oursins, les gonades, c'est-à-dire les glandes sexuelles. Outre leurs supposées vertus aphrodisiaques, les espardenyes, rares et compliquées à mettre en œuvre, sont recherchées pour leur goût exquis et leur texture incroyable. Malheureusement, l'approvisionnement aléatoire en fait grimper le prix, elles sont rarement bonnes à Barcelone (où un pêcheur nous expliquait qu'on en vendait même de "fausses", plus caoutchouteuses); le mieux est de les manger sur la côte, au Villa Más dont je parlais tout à l'heure ou, désormais, ici, à La Menta où elles sont également excellentes.
Mais le luxe suprême de ce plat d'espardenyes, c'est ce potage épais de petits pois, ces petits pois incroyables, rien à voir avec les gros machins durs qu'on vous sert souvent, de vrais petits pois, sucrés, parfumés, absolument pas farineux. Ils viennent en fait, comme les autres légumes, de jardiniers un peu bab's des environs qui ont monté une sorte d'AMAP et fournissent le restaurant. Une des caractéristiques de La Menta, c'est d'ailleurs qu'on y mange beaucoup de légumes, presque à tous les plats, ce qui tranche avec les habitudes locales et c'est tant mieux!


Venir à Palamós sans goûter aux gambas, ce serait un peu comme manger moléculaire sans tomber malade! Ce serait ballot. Du coup, en voici une trilogie, qui débute par un carpaccio, posée sur une belle purée de pommes de terre. Rien à dire. Le produit, le produit, le produit! La gamba de Palamós (comme celle de Vilanova!), c'est de la drogue!


Deuxième volet de la trilogie, la gamba plongée quelques secondes dans l'eau de mer bouillante, toute en puissance, notamment au niveau de la tête qui gagne peut-être ainsi en intensité. Oui, parce que pour ceux qui ne connaissent pas (les pauvres!), le meilleur de la gamba de Palamós, c'est la tête et le jus qui en coule.


Troisième volet, la classique, la gamba a la plantxa, mode de cuisson qui met en valeur sa précieuse douceur et fait chanter les beaux vins blancs. À ce moment précis, nous buvons un saint-aubin-les-combes 2010 de Pierre-Yves Collin-Morey à une vingtaine d'euros qui, visiblement, se régale bien de cette balade sur la Costa Brava (je vous parlerai plus tard de la carte des vins).


Redescendre sur terre, je crois que c'est le but du plat suivant, un plat paysan, qui évoque la terre, l'hort, même si la mer reste toujours présente. Ce qui est d'ailleurs intéressant aussi dans ce menu, c'est son rythme, cette façon d'éviter, sans artifices, la monotonie, sans tomber non plus dans ce côté "supplice de la goutte d'eau" inhérent à la plupart des "menus-dégustation". Dans l'assiette, ce sont des poulpes minuscules, des popets, dans un joli ragoût de fèves et d'oignons de saison. Combat entre la jolie âcreté de la fève, le sel du popet et la douceur de l'oignon. C'est aussi un plat qui nous rappelle qu'on n'oublie pas les racines, celles de la cuisine des mères, qu'on ne se regarde pas pédaler.


Sur les seiches à l'écume de pomme de terre, à table, il y a débat:  j'adore les seiches, le travail sur l'encre, je suis un peu plus partagé sur la texture de l'écume, ce n'est pas mon truc, ça fait anglais, on me dit que c'est moderne, peu importe. Je suis un vieux con, mais je l'assume.


Finalement, je crois que le plat précédent ne peut se comprendre qu'à l'aune de l'hyper-classicisme du riz de la mer qui suit, par ce contraste. Du coup…
Mais il faut que je vous en parle de ce riz nourri par un fumet d'une folle concentration, il vous pénètre, les vagues de la Méditerranée viennent lécher les murs des ruelles du vieux Palamós, ce riz, c'est un voyage, c'est une barque majorquine! Ce riz, j'avoue que je l'apprécie d'autant mieux qu'on m'en a servi un, absolument désastreux, aqueux et mal cuit, jeudi dernier à Barcelone, dans un restaurant chic dont le petit cuistot a un peu le melon à force de se prendre pour la star qu'il n'est pas; il faudra que je lui dise au "chef" en question de venir faire un stage chez son jeune confrère, il a beaucoup à y apprendre, y compris ce qui ne s'apprend pas et qu'il ne comprendra jamais: la générosité et l'élégance, une élégance pleine de retenue, celle d'un gamin qui, lui, sait s'arrêter à temps, qui cherche du sens dans ce qu'il fait. Passons, ne nous coupons pas l'appétit avec les "suceurs de boyaux" (le Tour de France est parti…). Nous sommes, là, à Palamós, chez une vraie future étoile de la cuisine catalane. Un peu comme quand nous mangions au Celler de Can Roca*, il y a dix ans, profitant de l'aubaine, dégustant, comme disait Jean Laforgue des débuts de Camdeborde, d'une "cuisine de palace en espadrilles". Là, de toute façon, nous en sommes conscients à cet instant du déjeuner, nous avons la chance de connaître un moment que nous n'aurions pas forcément vécu dans tous les trois macarons Michelin.


Mais ce n'est pas fini, il faut mordre maintenant dans la chair d'un des plus nobles poissons des rochers du Cap Begur, le mérou. Rose à l'arête, la peau croustillante, son côté carnassier adouci par la sauce des légumes. Le festival continue!


Et, comme c'est dimanche, il faut manger de la viande, ne pas oublier aussi qu'on est dans un bistrot d'une modeste rue de Palamós, donc, une nouvelle fois, on calme le jeu, on revient à la cuisine de ménage, on se rassure avec des albondigas, avec des légumes de l'hort. On se fait du bien. On est bien!


Une pause, c'est l'heure des desserts, d'amusants petits beignets fourrés de crème anglaise, accompagnés d'une ganache. Et une glace noix de coco sur de l'ananas, des fraises des bois, des framboises et un joli sorbet. C'est divertissant, excellent, mais je ne me permets pas de juger les desserts, je suis trop vieux jeu…


Qu'ajouter à cette longue suite de compliments auxquels je ne vous ai pas toujours accoutumé? Pas grand chose, si ce n'est qu'il faut absolument réserver à La Menta, parce que ce n'est pas grand. Qu'il faut vraiment faire confiance au chef, quitte à casser (un tout petit peu!) sa tirelire pour profiter des merveilles que lui ont ramenées ses voisins les pêcheurs.
Ah, si, il faut parler de la carte des vins, elle est encore courte, mais il vaut mieux ça que longue et mauvaise! Je le répète, ces jeunes débutent, ils ne sont pas sponsorisés par la bibine Estrella Damm comme certains "grands chefs" du coin,  et ils doivent composer avec une clientèle locale qui se fiche du pinard comme de sa première paire de lunettes Dolce & Gabbana. Dès l'automne, des améliorations sont prévues, n'oublions pas que Roger et Agathe sont passés par Villa Más, tanière du premier Master of Wine espagnol (selon les critères des francs buveurs…). En attendant, on s'en sort très bien avec le saint-aubin évoqué plus haut ou avec un savigny 2006 de Simon Bize (indispensable, le pinot noir sur le riz).
Bref, à vous maintenant de vous faire une opinion, cap sur Palamós, pour découvrir le premier bistrot trois étoiles de la Costa Brava!


*même si la cuisine n'a pas grand chose à voir, elle est plus "moderne", ici, au sens du dépouillement.


Commentaires

  1. ah voilà une autre planète que Saturne....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, une planète où la Nature est encore vierge (quoiqu'expérimentée) et dont les habitants n'ont pas le melon.

      Supprimer
  2. Depuis Desproges, je pensais qu'il fallait le faire bouillir, le mérou ;-)

    Etonnant, la carte en français. C'est courant, là-bas ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La Costa Brava est très internationale, les cartes dans les langues étrangères sont monnaie courante. Là, c'est encore plus normal, Agathe étant française.

      Supprimer
  3. Duende! Que me gusta eso... Como una veronica del Curro... Tienes algunas otras querencias Vincent in Tamariu ( El Dolfi, me gusta, pero tienes otras) Calella de Palafrugell ...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés