Éloge de la simplicité (2)
Comme promis*, je vous emmène dans tous ces "petits" lieux qui rendent plus glorieuse la cuisine de Barcelone, tous ces endroits que souvent la grandeur n'effraie pas mais qui ne se haussent pas du col. Où l'on va déjeuner ou dîner non pas pour se montrer mais pour prendre du plaisir, loin des défilés de mode ou de voiture.
La liste de tous ces havres est longue, mais surtout, je me suis demandé par lequel commencer. Et j'ai trouvé: par le plus rare. En effet, quoi de plus rare outre-Pyrénées, et singulièrement en Catalogne, qu'une invitation à la maison? Pas la grande invitation officielle, préparée de longue date, avec petits plats dans les grands, non, juste comme ça, au débotté, encore une fois, dans la simplicité. Ce n'est pas dans la culture, ici, c'est comme ça, c'est en partie compréhensible dans un pays où l'on est sensé vivre dehors, et ça choque les étrangers, français notamment, dont c'est un sujet d'étonnement récurrent et qui y voient souvent une nouvelle manifestation de la pingrerie catalane.
Hier soir, donc, nous sommes invités chez des gens, dans leur maison, leur superbe et vieil appartement du Gothico, dans son jus, avec ses superbes sols en carreaux de ciment, pas encore défiguré par l'appétit de rénovation castrateur qui massacre lentement mais sûrement Barcelone. À cet égard, lisez le Barcelones de Manuel Vázquez Montalbán, un bouquin dans lequel il décrit les ressorts, les vices et les vertus de sa ville chérie, y compris en matière de massacres architecturaux. Mais revenons à notre dîner, nos hôtes ne sont pas espagnols, mais uruguayens; le prétexte du dîner, c'est justement qu'ils partent quelques jours en vacances dans leur pays.
Claudio, Bado de son nom d'artiste, est peintre. Je vous ai déjà parlé de lui, de ses toiles qui me font rêver. Sa femme, Malena, est marchande de vin, j'aime bien utiliser ce terme très français pour cette agitatrice qui tente par tous les moyens de monter un bistrot polymorphe dont le vin et l'art seraient le centre; elle a inventé avec Marc Lecha, Vino artesano, vous savez cette micro boutique alternative de Poble Sec où les bouteilles ont comme dénominateur commun d'être produites par des "viñerons", néologisme de leur cru pour désigner des gens comme Olivier Rivière ou Fredi Fresquito Torres (eux aussi habitués des lieux).
À part la peinture, l'autre passion de Bado, c'est la cuisine. Méditerranéenne, bien que née au bord du Rio de Plata. D'une simplicité distinguée, comme ça arrive dans les bonnes familles. Il a ce talent précieux de savoir faire beaucoup de peu; il ne connaît peut-être pas Delteil, mais il faudra que je lui fasse lire. Hier soir, avec Malena en petite main, il nous a fait des beignets de morue idéalement parfumés, équilibrés, aériens. La friture, comme la braise, ne s'apprend pas, c'est inné. Il a cette chance de savoir maîtriser sans artifices le croustillant et le fondant. Nous avons été plusieurs à penser en nous régalant de ses buñuelos qu'il faudrait envoyer en stage de cuisine, chez lui, un ou deux de ces cuistots à fort ego qui empoisonnent les restos chics de l'Eixample. Mais encore une fois l'inné…
Je ne vais évidemment pas vous dérouler le menu, très simple, efficace, ce serait cruel, car, statistiquement, vous avez peu de chance de pousser la porte moderniste de leur appartement. Pour autant, c'est le message de cette cuisine-là, précise, généreuse, amoureuse, que je veux faire passer dans les épisodes à venir. Parce que la prochaine fois, promis, je vous emmène dans un vrai restaurant…
(À suivre)
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