Mauvaise foi(e) & oies blanches…

J'ai déjà écrit à quel point j'étais effaré par l'américanisation à outrance de l'Espagne. Je l'évoquais dans ce billet au sujet des fruits et légumes, on pourrait aussi parler de la surconsommation de sodas et de la forte augmentation de l'obésité infantile qui en découle, de la crétine parkérisation des esprits dans le monde du vin, du quasi-monopole du cinéma hollywoodien à la télévision (avec, comme ici à Barcelone, des navets mal doublés dans des dialectes locaux, pour que l'honneur soit sauf), etc, etc… Je sais que d'autres nations sont touchées mais, outre-Pyrénées, ça prend des proportions plus qu'inquiétantes, cocasses aussi parfois dans un pays où l'on parle assez peu et assez mal anglais. J'ajoute, que quand on est comme moi amoureux de la belle et ancienne culture ibérique, il y a de quoi s'attrister.

Dernier exemple en date de la terrible américanisation de l'Espagne, ces plaintes déposées par une association qui se présente comme une ONG, Igualdad Animal, c'est-à-dire, en français, "égalité animale". Profitant de l'effet médiatique de la stupidissime interdiction du foie gras en Californie (où l'on ferait mieux de s'inquiéter du gavage des humains au Mc Do' et au Coca que de celui des oies…), cette organisation "humanitaire" lance une campagne contre les "fermes" catalanes où sont élevés les palmipèdes qui fournissent la Péninsule en foie gras. Le site d'Igualdad Animal montre d'ailleurs des images assez laides de ces usines à viandes si typiques de la région de Gérone. Et sa présidente, Sharon Núñez, en profite donc pour réclamer officiellement l'interdiction du foie gras en Espagne.

Le problème me semble-t-il, ma chère Sharon, c'est que, dans votre élan californien, vous mélangez un peu tout. S'il s'agit de combattre l'élevage en batterie, allons-y gaiement! Mais les oies et les canards ne représentent pas grand chose dans cette histoire: tant qu'à vous balader vers Gérone ou Lérida, profitez-en pour aller visiter ces innombrables usines où l'on fabrique aussi du poulet, du cochon, du veau et de la vache. Je suis d'accord avec vous, les conditions dans lesquelles "vivent" ces bêtes sont abominables, la gastronomie, l'environnement et notre santé auraient tout à gagner de la disparition de ces horreurs. Et plutôt que de voter la fin de la corrida (dont les toros profitent eux d'une vie de rêve dans les ganaderias), les politiciens catalans, tellement soucieux de la condition animale, auraient été bien inspirés de légiférer sur cette question!

Pour ce qui du gavage, en revanche, je ne vous suis plus. Vos assertions semblent montrer une totale méconnaissance de la physiologie du canard ou de l'oie; ces deux volatiles ne possèdent pas de glotte mais disposent d'un jabot qui a une fonction de stockage de la nourriture; le tuyau de l'embuc, comme on dit dans le patois de chez moi, cet entonnoir qu'on introduit dans le jabot ne blesse pas l'animal, d'une façon imagée, on pourrait dire que son bec sont nos lèvres et son jabot, notre bouche. L'image va peut-être vous retourner le cœur (et vous donnera par là même l'occasion de vociférer contre les viandards qui sont aussi des machos pervers…), mais ce n'est en aucun cas un deepthroat qu'on impose aux palmipèdes!

Ma chère Sharon, pour améliorer votre culture (car je sais que vous faites preuve d'ignorance, pas de mauvaise foi) et vous initier à nos plaisirs gourmands, je vous invite à venir visiter de vraies fermes, dans le Gers, les Landes, le Tarn* et dans tous ces autres pays où nous respectons les animaux que nous sacrifions. Et, après avoir mâché quelques huîtres forcément vivantes (je sais, je suis sadique!), nous nous régalerons d'un vrai foie gras, fondant et long en bouche, pourquoi pas cru comme je me plais à le cuisiner, avec un peu de sel, du bon poivre et une pointe de mauzac doux. Je vous parlerai de notre histoire, de notre culture, toutes choses qui me semblent à l'opposé des préoccupations des oies blanches californiennes lesquelles, un jour, finiront bien par s'inquiéter aussi du cri des légumes qu'on épluche.

* J'évoquais dans cet autre billet les merveilleuses conserves de canard de la Ferme de Rayssaguel, près d'Albi.