Le test cochon.


Voici un gadget coûteux, mais ingénieux, au moins d'un point de vue commercial, parfaitement ciblé en tout cas. Une jeune entreprise française met sur le marché un test (dans le style des tests de grossesse) qui si l'on en croit sa marque permet de vérifier si un plat est conforme ou non aux règles alimentaires édictées par le clergé musulman. Bon, en vérité, la marque est un peu "coquine", le test en question n'est pas en mesure d'indiquer si la viande contenue dans le plat a été abattue suivant les règles Halal, il permet juste d'identifier l'éventuelle présence de porc.


L'idée, révélée par Le Nouvel Obs, a germé dans la tête de deux condisciples d'école de commerce, Abderrahmane Chaoui et Vital Julien. Leur société, Capital Biotech, fondée avec le soutien d'un chercheur en biologie, le docteur Thomas Nenninger, propose donc d'acheter, pour 6,90€ pièce des bandelettes qui réagissent au contact de viande porcine.
Le site de l'entreprise explique précisément le mode de fonctionnement du HalalTest ® – viandes cuisinées et transformées – qui "est basé sur le principe de l’immunochromatographie et de la réaction anticorps-antigène. Il permet la détermination qualitative de l’antigène spécifique de la viande de porc traitée, une glycoprotéine musculaire ultra résistante à la chaleur, dans tous types d’aliments cuisinés et/ou transformés, la vaisselle mal lavée et les matériels de production, transport et stockage des denrées alimentaires."


En ces temps où les lasagnes de bœuf surgelées hennissent, on peut comprendre que certains aient des doutes. D'autant que depuis l'histoire Findus, on a vu que l'industrie de la malbouffe n'était pas très regardante non plus avec la porc. Cela étant, vu le prix du test, on pourrait se demander si le plus efficace ne serait pas d'arrêter les barquettes, d'acheter chez un vrai boucher de la bonne viande (qu'on aurait appris à reconnaître) et la cuisiner soi-même? Je précise "un vrai boucher", parce que sans être ultra-méfiant, on peut subodorer qu'il y a peut-être des chances que le halal de grande surface soit aussi fiable que le bio de supermarché…


Connaître le contenu de ce que l'on mange est effectivement devenu un leitmotiv dans les sociétés coupées de la Nature; vous vous souvenez sûrement de l'histoire des (nouvelles) lunettes qui déshabillent. Halal Test ne se contente pas d'ailleurs de traquer les présence de porc dans les plats cuisinés, un autre de leurs produits détecte les traces de viande ou de graisse de cochon dans les aliments crus. Un troisième permet même de vérifier qu'une boisson ne contienne pas d'alcool, et un quatrième, de sang humain.


Même si Halal Test est présenté comme une nouveauté, il ne s'agit en fait que d'une nouveauté française, une batterie de test du même genre, mis au point par un laboratoire russe, a été mis sur le marché depuis plusieurs années en Asie du Sud-Est, en Malaisie, Indonésie, au Sultanat de Brunei, à Singapour. Comme vous pouvez vous en doutez, il coûte deux fois moins cher, dans les quinze dollars malaisiens l'unité.
Quant au détecteur d'alcool, demandez à tout bon gendarme qui se respecte, il connait ça lui aussi depuis des lustres. Par parenthèse, je ne sais pas concernant ce dernier point ce que disent les théologiens diététiques musulmans sur l'utilisation du vin en cuisine: sachant que l'alcool s'évapore à la cuisson, le Coran interdit-il la daube ou le bœuf bourguignon* longuement mijotés?


Tant pis si je me fais taper sur les doigts, mais, avec tout le respect que l'on doit avoir pour la foi des autres, cette interdiction de consommer de la viande de porc, aussi bien chez les musulmans que les juifs, me fait, alors que nous sommes en 2014, un effet bizarre. Comme tout le monde (même si elle sont contestée et si la trichinose n'a été découverte qu'au XIXe siècle), il me semble en percevoir assez clairement les racines historiques, empiriquement sanitaires. Et j'imagine même le nombre de maladies que cela a peut-être permis d'éviter sous des climats chauds. Mais, compte tenu de l'avancée des connaissances, je me demande aussi si ces religions, comme tous les autres, ne pourraient pas procéder à un aggiornamento sur cette question.
Ne serait-il pas plus efficace, plutôt que de perpétuer des croyances médiévales, de promouvoir l'hygiène et l'utilisation du réfrigérateur?  Mais c'est un autre débat.


Tant qu'à faire des coqs-à-l'âne (excellent, l'âne d'ailleurs en saucisson, à la place ou en complément du porc), mais tout en restant dans ce sujet cochon, parce que ce n'est pas parce que certains ne l'aiment pas qu'on doit en dégoûter les autres, j'en profite pour vous glisser l'adresse d'un restaurant qui ne sert que la viande de cet animal. C'est marqué dessus, on ne peut pas se tromper: Pork!
Pork est installé à Barcelone à la lisière d'El Born, côté Port Vell. L'établissement est le fruit de l'association du cuisinier catalan Oriol Rovira avec le groupe de restauration basque Sagardi. On y sert, mais pas exclusivement, du cochon en provenance des Pyrénées, de la grosse ferme de la famille Rovira.


Pork est un joli lieu, clair, un peu brut comme le veut la tendance. On y mange, éventuellement avec les doigts, de gentils plats qui célèbre la bête singulière. Notamment d'excellents coustelous grillé, d'agréables haricots aux couennes et une bonne saucisse grillée, ce qui est rarissime en Espagne où elle est systématiquement hachée très fin, trop fin, comme les chipolatas industrielles, histoire de noyer le poisson…
Noyer le poisson, ça me fait justement penser à cette vieille histoire de porc et de religion qui remonte au Moyen-Âge, une histoire qui montre l'attachement religieux des Espagnols au cochon. Il est vrai qu'avec la Reconquista, par opposition au Judaïsme et à l'Islam, consommer cette viande était devenu, parfois même de façon ostentatoire, la preuve de leur pureté catholique. L'histoire donc, racontée par Xavier Domingo, se passait en Castille, du côté de Salamanque, alors qu'arrivait la rigueur du Carême. Pour contourner le jeûne, des moines avaient tout simplement eu l'idée de jeter des porcs dans l'eau d'une petite rivière qui traversait leur logis, et de les remonter avec une corde, de les pêcher ce qui leur permettait d'en manger sans pécher.


Pour en revenir à notre Pork barcelonais, quand j'y ai mangé, tout n'était pas encore parfaitement calé, on m'a dit que ça s'était affiné depuis. Évitez peut-être les plats épicés, pseudo-orientaux, qui ne sont peut-être pas ce que la maison a de mieux à offrir. Concentrez-vous sur la grillade. Je me dis d'ailleurs qu'ils devraient penser à rôtir des têtes de cochon de lait entières, comme celles, sublimes, de ce fameux St. John londonien dont je vous parlais récemment. Mais je ne sais pas si c'est très raccord avec l'américanisation des consommateurs espagnols d'aujourd'hui…
Au niveau des vins (parce que ce n'est pas le moindre des vices de ce sacré cochon que de faire boire!), la carte a pris un parti qui peut étonner: mis à part quelques vins tranquilles insignifiants, elle se concentre sur les effervescents, forte de l'idée sommelière que la bulle constitue un excellent rince-cochon. C'est amusant, d'autant qu'en plus des mousseux locaux, on y trouve, de Boulard à Selosse en passant par Salon ou Brochet, des champagnes de haut vol, à des prix relativement accessibles, largement inférieurs en tout cas à ceux pratiqués en France. Reste que moi, avec mon cochon, un bon petit coup de rouquin…



* Sans couennes pour la daube, mais avec un bon bouillon de pieds de veau, ça fonctionne admirablement, et, là, c'est plus embêtant, sans lardons fumés pour le bœuf bourguignon. Le bœuf bourguignon, d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, mais la tisane que j'ai bue hier soir avant d'aller au lit m'en a donné une furieuse envie. Une tisane (ci-dessous) qui est l'occasion de rendre hommage à un autre grand disparu bourguignon.




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