Envie de Bordeaux. De bordeaux aussi.
Il y a au moins deux façons de boire du vin. Avec sa tête ou avec son ventre. Oui, je sais, je déraille. C'est toujours, toujours la tête, le cerveau qui commande. Mais vous savez, quand la tête est assez maline pour vous faire croire que ça vient des tripes (si proches de la tête!), qu'on est dans l'envie brute. Que ça devient pavlovien…
Là, c'est Bordeaux. Bordeaux, la ville, dont je ne me lasse pas, cette métropole qui a su grandir, évoluer avec une certaine harmonie, sans trop de mocheté, sans s'enferrer, comme certaines de ses voisines, dans le style province. Oh, le Bordeaux sale, couleur suie, de la fin du règne de Chaban avait son charme, cette ambiance décatie, un décor de roman noir, port de l'angoisse parfumé à la morue et au gaz d'échappement. Mais il faut bien reconnaître que celui d'aujourd'hui a de la gueule.
Bordeaux, et le bordeaux, évidemment. Je sais, c'est cyclique, ce n'est pas la première fois, je me répète, je radote, je rapapège comme on dit dans le Sud-Ouest. Que voulez-vous, on n'échappe pas à son éducation… Ça remonte à la surface depuis deux ou trois ans, j'ai envie d'en boire. Même si c'est devenu compliqué, si je mesure bien les conséquence d'une telle envie, et surtout de pareille déclaration publique. Parce que dans le monde branché du vin, oser affirmer qu'on a soif de bordeaux, cela peut valoir l'excommunication. "Tu ne rends pas compte! Ces tanins! Ça ne peut pas être naturel, ça, les tanins…"
J'ai envie des vins de Gironde, donc. Sans le décorum si possible, sans qu'obligatoirement la silhouette du grand Théâtre ne vienne projeter son ombre (majestueuse certes) sur mon modeste verre. j'ai envie des angles des cabernets et des rondeurs des merlots. De la sensualité aussi du petit-verdot bien mûr. J'ai soif et faim de vin gascon. Je rêve de tricandilles et de grenier, de tables sans nappes, du croustet bien aillé dans la sauce de la lamproie, de volailles dans la cheminée, de verres qui s'entrechoquent. Pavlovien, vous disais-je, j'en salive.
Ici, à Barcelone, le stock-maison de bordeaux (et de vins du Sud-Ouest) étant épuisé, notamment ceux de Xavier Landeau qui nous ont régalés tout l'été, c'est le caviste du quartier qui vient de me sauver. D'habitude, il a le petit rouge d'un domaine longtemps réputé pour ses blancs, Château Sainte-Marie; c'est juteux, gourmand et d'un rapport qualité/prix remarquable. Tant et si bien qu'il était en rupture. Sainte-Marie, je ne sais pas si vous voyez où ça se trouve, j'adore ce coin-là, dans l'Entre-Deux-Mers, vers Targon, Haux, Capian, La Sauve. Sans parler du marché de Créon, sous les arcades, dont les images de ma mémoire ont pris une légère teinte sépia…
Dans l'océan des bordeaux-sup' (qui chez le caviste en question se résume à deux vins), je me suis donc tourné vers l'autre bouteille du présentoir. J'aurais pu tomber plus mal. Croix-Mouton 2011, un des merlots profonds que Jean-Philippe Janoueix (ci-dessous sur une image de François Mouriès) concocte sur des graves de bord de Dordogne, à Lugon, un terroir qu'on pourrait de prime abord croire mineur.
Janoueix, ce n'est pas un inconnu. Sa famille d'abord, un des trusts corréziens, de ces intégristes de l'effort qui règnent sur Pomerol. Jean-Philippe, lui-même, qui a donné un coup de fouet à ce vieil attelage, et quelque peu bousculé l'ordre établi. Ajoutant ce qu'il faut d'inspiration à la sueur.
Sur l'onglet de bœuf, son Croix-Mouton 2011, en bon Corrézien, en bon montagnol, fait plus que le job. J'avais des envies de soiffard, il me pousse à m'y pencher tel un esthète. Tempère mon ardeur tout en me donnant envie d'y replonger. C'est le vin multi-tâches, hédoniste et cérébral. Un bordeaux, quoi, un vin à boire et à manger. Ça tombe bien, c'est exactement de ça dont j'avais envie.
ok j'ai compris. Ravitaillement...imminent. Le temps que le Gris rentre de son salon et revienne soutirer son 2014. En t'écrivant ça, je savoure une salade de riz maison, échalote, tomate et poivron rouge, vinaigre de vin (fait avec une sélection drastique) et c'est l'occasion de tester l'huile d'olive envoyée par Chema, le dirtech de Senorio de Nevada. Elle vient sûrement de Jaen, son fief natal. Elle est délicieuse et je suis aux anges.
RépondreSupprimerTout n'est pas parfait en Espagne d'un point de vue gastronomique, mais l'huile d'olive, andalouse notamment, c'est quand même ce qui permet de donner naissance aux meilleures huiles italiennes ou françaises…
SupprimerJaen. Confirmé.
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