Que sont les soixante-huitards devenus?


Les lettres de dénonciation, il y avait, fut un temps, des journaux pour ça. Je croyais cette sale époque révolue et ces canards infects aux oubliettes de l'Histoire. Jusqu'à ce qu'une camarade des Corbières m'envoie un message pour m'inviter à lire un "article" de Rue89 relayé par la Presse locale audoise. Rue89, vous connaissez sûrement, c'est un site d'information dit participatif, fondé en 2007 par d'anciens journalistes de Libération et passé depuis dans l'escarcelle du Nouvel Obs.


L'article en question consiste en une "tribune" signée d'un certain "Michel, parent d'élève". Le "Michel" en question s'y plaint d'agissements anti-éducatifs des professeurs du lycée de son fils, le lycée Charlemagne à Carcassonne. Par parenthèse, car "Michel" oublie de le préciser, il s'agit d'un lycée agricole, largement tourné vers l'activité majeure de ce département, la viticulture. Et justement, "Michel" explique que "pour financer un futur voyage scolaire, il leur est demandé [aux élèves] de se transformer en commerciaux pour vendre des bouteilles d’alcool". Au passage, "Michel" en profite, sans qu'on sache vraiment ce que ça vient faire là, pour balancer sur le rugby, et conclut brillamment en s'interrogeant sur le fait de savoir si l'on va " demander à son fils de vendre de la drogue l’année prochaine?"
L'alcool en question, ce sont des bouteilles de blanquette-de-limoux, dont une méthode ancestrale qui titre 6%vol. Les élèves vendent ça comme ils vendent des lentilles ou des bulbes de fleurs explique en encadré la proviseure du lycée Charlemagne au journaliste de Rue89 qui, lui, contrairement à "Michel" (qui préfère la lettre de dénonciation au coup de téléphone), a appelé l'établissement. "Ce n'est pas de l'alcool, c'est du vin" précise d'ailleurs l'enseignante. Malheur! Que n'a-t-elle pas dit là? Cette phrase autrefois banale en France, pays où la vigne est un élément constitutif du patrimoine national, fait les choux gras de Rue89*. Et devient même le titre de cette "tribune" vengeresse.


Bon, des "Michel", des balançoires, des cafards, de tout temps il y en a eu. Ce qui me dérange davantage, c'est que ce soient des héritiers patentés de la pensée de Mai 68 qui leur fassent la courte-échelle. "Il est interdit d'interdire" peignait-on à l'époque sur les murs, non? La tolérance était mère de toutes les vertus; de la vie, et du reste, il était question d'en "jouir sans entraves". "Mort aux cons" avait même relevé le Général de Gaulle un matin sur un mur; "vaste programme!", qui visiblement reste à accomplir…
Toute plaisanterie mise à part, je suis assez interloqué qu'à Rue89 on ait laissé passer un truc pareil. Et je m'interroge une fois de plus, comme beaucoup, sur cette Gauche devenue moraliste à défaut d'être morale. Qui s'occupe de nos verres, de nos culs mais qui, parallèlement fait voter un des Projets de Loi les plus liberticides de ces vingt dernières années (même les Américains sont bluffés!). Pourtant, c'était marqué sur les affiches de 68 qu'il fallait laisser la peur du (vin) rouge aux bêtes à cornes…



* Rue89 qui pourtant, malgré la répulsion que le vigneron semble inspirer à certains, ouvre régulièrement ses colonnes à Antonin Iommi-Amunategui pour sa rubrique naturiste et engagée, No wine is innocent et sponsorise même son petit salon vinicole parisien.

Commentaires

  1. "Il est interdit d'interdire". Ce poncif de Mai 68 dit très exactement le contraire de ce qu'il prétend signifier. Car si on ne définit pas le champ de l'interdiction (ex. de transgresser le code de la route, dire du mal de son voisin, détruire une récolte, convoiter l'épouse d'autrui, etc.) elle s'applique à la totalité possible de l'interdiction, donc à l'interdiction d'interdire. "Il est interdit d'interdire" signifie donc "Il est possible d'interdire".

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  2. Je ne vois pas ce que Mai 68 vient faire ici à partir de ce lamentable épisode .Peut-être une nouvelle occasion maladroite de se secouer de la peur engendrée par cette magnifique explosion de l'expression de la liberté . "Interdit d'interdire " n'était un poncif que pour ceux qui n'ont pas voulu entendre ce qu'une génération intelligente et généreuse clamait à la face du monde entre autres slogans aussi délirants et nécessaires

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    1. Qui a accepté de publier cette lettre de dénonciation, sinon un organe de Presse dépositaire des valeurs de Mai 68? N'est pas un reniement?

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  3. Il faudrait parler plus justement des héritiers patentés de l'échec de Mai 1968. Car mai 1968, réellement, c'était les semaines de fraternisation et de solidarité active, où l'on adressait la parole à n'importe qui sans craindre de passer pour un fou, où tout conducteur de voiture s'arrêtait pour vous prendre stop, où s'écrivait sur les murs : "Parlez à vos voisins" ...En réalité tout le contraire de ce que ces tenants du nouvel ordre moral veulent imposer sous couvert de protection et de respect de la personne humaine. Désormais, c'est tout un pan de la population qui se trouve sommée de se définir comme personne particulièrement vulnérable et traitée comme telle, sous l’œil vigilant de l'Etat. Cette gauche, qui a renoncé depuis longtemps à revendiquer toute forme d'existence d'une autre société, en vient à punir tout ce qui relève de la liberté et de la responsabilité personnelle. Raymond la matraque est de retour !

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  4. les soixante-huitards sont naturellement devenus des vieux cons hygiénistes, et leurs morpions bien pensants des vertueux délateurs prohibitionnistes

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