Buvons et laissons courir les chevaux.


J'apprends par un télégramme de Belgique que la France s'enorgueillit d'un exploit sans précédent. Lors de la dernière vente chez Christie's, le patron d'une boîte de négoce bordelais a acheté une caisse de Cheval-Blanc 47 au prix de 131600€. Selon le communiqué que cite l'excellent Hervé Lalau* dans Les 5 du Vin, il s'agit de la caisse la plus chère jamais vendue en France. Il est vrai qu'à côté, le résultat de la vente d'une partie de la cave de Matignon fait un peu minable**, à peine 173488€ pour 1400 bouteilles. Aubert Bogé, l'acheteur, directeur général de Millésimes, se dit "tout simplement fier et heureux que cette caisse si exceptionnelle et quasiment unique reste en France, son pays d’origine».


La formidable affaire que vient de faire ce monsieur m'inspire deux réflexions peut-être lapidaires:
1°) le client que je suis est toujours inquiet quand un vendeur de vin se met à acheter trop cher; généralement, ça se répercute et c'est à moi que ça coûte.
2°) du point de vue du patriotisme qu'évoque entre les lignes Aubert Bogé, n'aurait-il pas été plus intéressant pour le Commerce extérieur de la France que cette caisse partît à l'étranger? Certes, 131600€, ce n'est rien à côté de l'énorme excédent que le vin dégage dans le l'hexagone (second poste derrière l'aéronautique), mais n'y a pas de petit profit…
Pour le reste, sans rentrer dans les éternels débats sur le prix des choses et des grands crus bordelais en particulier, il me plait de rappeler que le vin est une boisson, chargée d'Histoire, porteuse de notre culture, témoin de bon nombre de valeurs, objet économique, mais une boisson tout de même. Buvons-le. Buvons-le abondamment. Mais à l'abri des marchands du Temple.




* Hervé Lalau, une des voix qui, loin du tam-tam branché, comptent dans la francophonie du vin, il exerce Outre-Quiévrain et il faut retrouver aussi dans ses célèbres Chroniques vineuses.
** Je n'ai pas la même appréciation de cette vente de la cave de Matignon que de celle de l'Élysée. Pour ce qui était de celle du Président de la République, il s'agissait de se débarrasser de fins de séries, de flacons dépareillés et d'affecter le fruit de la vente au rachat de de nouvelles bouteilles, avec dit-on la volonté de renouveler un peu le style. On pourrait appeler ça de la saine gestion de père de famille. À Matignon, je crois qu'on joue plus dans le coup médiatique, on vend le vin du Premier Ministre pour faire des économies; c'est bien, les économies, surtout quand on connait le train de vie très ancien-Régime de la noblesse politique française (tous bords confondus), mais n'y a-t-il pas des façon bien plus efficaces de lutter contre le gaspillage des deniers publics? Car, revers de cette mesure à haute valeur morale, voici une nouvelle fois, de la part de l'État français un geste de désamour en direction du vin, activité économique majeure évoquée plus haut.

PS: le tableau du haut de la page s'intitule Les buveurs, il a été peint par Émile Friant en 1884 et est exposé au Musée des Beaux-Arts de Nancy.

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