Le vin éducatif.

Noël, c'est la paix, la concorde, la réconciliation! Paix aux hommes de bonne volonté. Pour sceller cette trêve, quelle joie d'offrir des cadeaux, y compris à ceux avec lesquels on s'est un peu chamaillé durant l'année écoulée. En l'occurrence, je pense à tous ces hygiénistes, prohibitionnistes, moralistes, encouragés par le silence couard de politiciens impuissants.

Le premier cadeau, c'est cette image, extraite de Topaze, cette salle de classe du temps des "hussards noirs de la République". L'Éducation, l'Instruction publique, on pourrait en parler des heures de ce mastodonte en panne, de ce dinosaure assoupi sous tant de caresses, de ce mammouth réactionnaire. Mais là, comme l'indique le tableau noir de la Pension Muche, c'est d'éducation au vin dont il s'agit. Car, vous le savez, camarades prohibitionnistes, il faut éduquer la jeunesse, nous sommes tous d'accord sur ce point. Et comment mieux la préserver des dangers du binge-drinking, comme on dit en patois d'aujourd'hui, comment mieux lui apprendre à boire qu'en lui enseignant le vin, en l'initiant aux mystères de Bacchus?

Tout cela, bien sûr, ne passe pas que par l'école où l'on veut désormais faire apprendre tout et n'importe quoi (sauf les fondamentaux). La famille comme dans tous le processus éducatif a un rôle prépondérant à jouer, qui va de la permission à l'interdit, de la récompense au coup de pied au cul. Rêvons même que la boîte à cons contribue à l'affaire; vous imaginez une émission œnophilique sur Arte?

Pour enseigner le vin et la culture qu'il véhicule, l'art de vivre qu'il symbolise, sa puissance civilisatrice, il faut des paroles, des écrits mais aussi des travaux pratiques. Que faire boire à nos chères têtes blondes pour les détourner des mauvais alcools en pente raide et de la bière qui fait roter? Eh bien, j'ai la solution, bue et approuvée, pas plus tard qu'hier soir, pour fêter les dernières rousseurs de l'automne, bue avec une envie de châtaignes à la cheminée, bue à grosses gorgées pleines d'entrain, graissées par un énorme saucisson des Monts de Lacaune.

La solution, c'est cette bouteille moderne et traditionnelle à la fois, cette bouteille de bourru. Le bourru, le bourret comme on dit dans le Sud-Ouest, la bernache ou beurnoche dans la Loire ou neuer Süsser en Alsace. Ce moût qui sent encore le raisin, la cuve, frétillant des vendanges, dont la fermentation a été stoppé par une filtration serrée, cette douceur qui concrétise l'année passée et annonce la prochaine, cette boisson qui ne pèse rien, 3% vol. d'alcool, un jus de fruit pour gamin, du bonheur en bouteille. Celui d'hier soir, je l'ai acheté sur la route, à Réalmont, village au marché et à la quincaillerie de conte de fées, chez un caviste à l'ancienne, un caviste pour buveurs de vin pas pour gravures de mode; papa moustachu au comptoir, maman à la caisse, et le fiston au vrac, ça s'appelle Les Caves du Midi, et ça se trouve à l'angle de la (jolie) place aux arcades. Le commerçant, affable, possédait une jolie panoplie de gaillacs appellation dont j'avais une soif impérieuse puisque j'arrivais dans le Tarn, et par hasard, je suis tombé sur ce bourru. Il est produit par la famille Auque, installée sur l'épicentre de l'appellation, les Premières Côtes, qui montent de l'ancienne voie romaine de Gaillac au plateau de Cahuzac-sur-Vère. Un vieux domaine, le Mas Pignou, dont le braucol de la cuvée Mélanie 2009 m'avait déjà régalé l'été dernier. Le bourru, lui, vous fait croquer des grains de mauzac et de l'en de l'el, cépages blancs identitaires de la région, on est dans le raisin, on croque le pépin, un plaisir pur, accessible à tous, y compris à un novice. On en veut et en redemande! Oui, camarades prohibitionnistes, cher Patrick Élineau, mettons cette bouteille au programme de toutes les écoles de France!

* Parce que ça aussi dans la grande épopée de la destruction du patrimoine, sous de pseudo-raisons hygiénistes, on va nous interdire les feux de cheminée, c'est parti, lisez ça. Une nouvelle fois, avec allégresse, le mur du çon est franchi!