À ta santé, Jean, et bonjour à François!
La Loire, celle du breton, du cabernet-franc, les Parisiens la prennent de haut. Je veux dire qu'il y arrivent par la grande allée, comme les Rois allaient y chasser, par Orléans, la Sologne, Blois et Tours. Frôler Chambord, Azay-le-Rideau et Langeais, ça pose son homme.
Moi, paysan du Sud, c'est par la Vienne que j'aime approcher le grand fleuve. Ça sent les terres grasses, les labours, le blé qui ondoie et les montagnes de bottes de paille. Le regard porte sans obstacle, le citadin s'imagine que rien ne se passe. Les routes filent droit vers le Nord, tranchant vif l'excroissance du Saumurois qui, depuis Mirebeau, vient se ficher dans le nord du Poitou. Deux options*, suivant la soif du jour: Richelieu (la seule ville nouvelle réussie?), avec sa mini "place des Vosges" perdue au milieu des champs; Loudun et sa tour carrée qui se confond avec les silos, avant de glisser vers Beuxes où, au XVIIIe, un meunier madré, Pierre Mauléon, eut, dit-on, la fine idée de semer des glands de chênes truffiers pour "cultiver" le diamant noir, ouvrant ainsi la voie à l'opulence de la cuisine bourgeoise du siècle suivant. Au loin, les hauts panaches de vapeur de la très sixties centrale nucléaire de Chinon foutent un peu les jetons mais ont la gentillesse de signaler au navigateur la bonne ville de Bourgueil.
Car, aujourd'hui, c'est Bourgueil l'objectif, Bourgueil, le pays de ce chantre du vin qui se boit qui affirma: "la seule arme que je tolère, c'est le tire-bouchon!"
Ah, Carmet! N'oubliez pas non plus de relire son texte sur le vin, j'ai toujours du mal à ne pas penser à lui quand je tape dans la chopine de breton. J'ai d'ailleurs bu hier quelques lampées d'un cabernet-franc sur lequel le type n'aurait pas craché. Et qu'il n'aurait pas craché non plus. Chez un vigneron que la Presse pinardière ignore et qui n'aime pas les journalistes, un œnologue en plus, très technique, ce qui n'est pas très mode. Mais, que voulez-vous, j'adore ses vins!
Les spécialistes du pif qui ne parle pas pointu, les amoureux du bourgueil, comme Michel Smith (qui n'en finit pas d'ouvrir ses cadeaux de Noëlla) ou Louise Massaux (qui a saisi toute la dimension terrienne de l'appellation), auront bien sûr reconnu Pierre-Jacques Druet.
Là, le vigneron de Benais a mis en vente ses 2009 dont la musique me rappelle celle des 89: le Grand Mont qui chante la profonde beauté de l'argile, est indispensable, en magnum, à qui saura l'oublier plus d'une décennie; le Fief de Louis est une gourmandise difficile à garder, on le boira même peut-être avant Les Cent Boisselées, "l'entrée de gamme", auquel je donne rendez-vous dans 3-4 ans.
Pour déboucher tout de suite, en revanche, pour trinquer à la santé de Jean Carmet, on a fait provision de Cent Boisselées 2006, un de ces rapports prix-plaisir qui appellent le zinc, le verre-ballon et les plats qui se mangent avec les doigts. Druet, c'est vraiment fait pour boire. D'ailleurs, je vais vous dire, au déjeuner qui a suivi, à La Promenade, dans l'aimable bistrot de Bourgueil, très déco, qui permet aux Parisiens cités plus haut d'éviter le jetlag, j'ai coincé sur la quille très politiquement correcte remontée de la cave, derrière Les Cents Boisselées, au goût de tous, ça ne faisait pas la maille. Peu importe, on avait le coffre plein…
Dans ce registre si ligérien des bouteilles qu'on débouche à n'en plus finir, de la générosité absolue (tellement à l'inverse de ce repas de mange-merde que je décrivais l'autre-jour), comment ne pas évoquer, alors que l'on retraverse la Loire et le Véron, l'autre symbole, plus classique, de ce coin de Touraine? Rabelais, je sais, on le met à toutes les sauces, il est un peu comme la Toscane ou Venise dans la littérature de syndicat d'initiative. N'empêche que comme Carmet pour le bourgueil, il m'est difficile de ne pas penser à ses écrits quand je taquine le chinon de coteau.
Car, là, en pensant au père de Gargantua (et aussi d'une certaine idée de la Liberté), c'est sur ce fabuleux coteau qui court des Loges à Cravant que je suis allé me ravitailler en jus de tuffeau. Chez Baudry père & fils. Du classique, là encore, du sérieux, du fond de cave. Parce que c'est vrai que parfois les tenants du vin à la mode, du vin des villes, les néo buveurs d'étiquettes (héritiers en fait des suceurs de planche d'il y a vingt ans) me font penser à ces lecteurs qui se tapent les biographies avant d'avoir lu les œuvres.
Baudry, donc, la classe, la distinction, le toucher. 2010 et 2009 sont des souvenirs (ou plutôt des futures stars), là, on se collette avec les 2011. Gentille bagarre d'ailleurs, de la finesse, de la longueur, de la griotte sur le Clos Guillot, il pinote le diable, il a de jolies manières. Eh bien oui, le François a beau avoir été un carabin, ce n'est pas un hallebardier! Les "médecins de la Sécu", les alcoologues étatiques, les prohibitionnistes, nouveaux tenants de la Lésine (je l'évoque ici, la Lésine), feraient bien de relire Rabelais, et d'avaler quelques litre de chinon, ça leur décoincerait les sphincters.
Baudry, en attendant un grolleau du même tonneau, c'est aussi le souvenir d'une jolie tentative, celle d'avoir planté du cabernet-franc "franc de pied"**, sans porte-greffe américain, comme avant le phylloxéra; le parasite à gagné, les vignes sont mortes, nous boirons avec d'autant plus d'émotion le dernier millésime, ce 2011. Point final.
* Sans compter évidemment celle plus saumuroises ou angevines, via le bourrelet de chair blanche qui redescend sur Fontevraud ou par l'incroyable Montreuil-Bellay.
** Un cru qui a ravit David Farge, un des blogueurs de l'école toulousaine avec Rodolphe Lafarge; des types que je lis, jeunes mais pas trop fashion-victims, peu enclins à la permanente et au Rege Color, ils ont de la sanquette, ça me plaît. Ils ont même une égérie, Maïlys Ray.
Putain, là tu fais fort ! Baudry et Druet dans le même panier, ça vaut bien un verre de gamay (de Noëlla) dans l'gosier pour affronter la lamproie (avec poireaux) et la petite friture. Dieu que tu me donnes soif !
RépondreSupprimerIl s'agit d'une des régions les plus "douces" de France avec en particulier un village extraordinaire, à la confluence entre la Vienne et la Loire : Candes Saint Martin
RépondreSupprimerOn va faire comme Ô 12, Ô 13 et maintenant même Ô 14 : moi, ce n’est que la Cuvée Vaumoreau que je bois (doit bien me rester ... une bt de 1989, à tout casser). Quant à ton pétromyzontide, Michel, il faut bien tous les poireaux du monde pour lui donner bon goût. Hier soir d’ailleurs, ce furent les restes (abondants) de l’oie fermière du 31 que j’ai accommodés de la sorte, façon « waterzooi ». Par contre, eût-ce été une baudroie dont tu parlais, tu aurais, par homonymie, presque pu décapsuler une ... Loute. Chez nous, c’est mon dernier Clos de Gamot 1990 que j’ai sacrifié, à la mémoire de M. Jouffreau.
RépondreSupprimerBonne année à vous deux, Vincent et Michel. Que le carignan vous soit clément et que la faucheuse reste éloignée de vous. A ce propos, chaque fois que vous achetez un paquet de chips – moi, je n’en mange pas – au Biocoop de Perpignan (dans les autres aussi, je suppose), ils reversent 20 eurocents aux Faucheurs Volontaires.