Tu n'es qu'une queue!


Oui, tu t'es vu quand tu fais la queue? Quand tu n'es plus toi, quand tu n'es plus grand chose? Quand tu n'es plus qu'un objet lobotomisé, balloté par les vents de la mode? Quand tu n'es plus que ce que la radio appelle "un anonyme", pour ne pas dire un numéro, un truc qui se déplace en foule, en masse, qui rend les magasins et parfois même les églises trop petites?
Tu n'étais encore qu'un objet lundi dernier, à la gare Saint-Lazare. Les yeux baissés, hagard, au milieux de tes semblables. Tu n'étais qu'une queue, attendant, implorant sa ration de plaisir tarifé. Comme les autres, tu attendais ta becquée, ton Whopper
Queue subst. fém. : 3 a) [Dans un groupe à l'intérieur duquel est établi un classement, une hiérarchie] Partie qui est à la fin, qui regroupe les derniers. Queue de la classe. Quelle place as-tu obtenue dans la dernière composition? J'espère que tu n'es pas à la queue (RENARD, Poil Carotte, 1894, p. 126).
Vieilli. Ensemble, groupe de partisans sans grande valeur d'un parti. De cette obligation constante, où se trouve la tête sage et prudente des partis, d'obéir aux préjugés et aux folies des masses qui en font la queue, dérivent les actions que reprochent certains historiens aux chefs de parti (BALZAC, Langeais, 1834, p. 229).
Tu n'es qu'une queue, "sans grande valeur", même le dictionnaire le confirme. L'image dérisoire de l'époque, le manga. Tu es là où l'on te pose, l'extérieur te gouverne, tu ne t'appartiens plus. Tu n'es plus rien.



Il est facile de se moquer des privilégiés qui lundi à Paris faisaient la queue devant le Burger King de Saint-Lazare. Jusqu'à se demander d'ailleurs si de vicieuses agences de com' les payent pour ça, s'ils sont les figurants d'un système bien huilé. Mais sont-ils plus risibles que ceux qui, comme les bœufs à l'abattoir, attendent devant telle ou telle boutique iconique de la Société de Consommation, le dernier téléphone portable, la console de jeux, la paire d'écrase-merdes de compétition? Sont-ils plus ridicules les amoureux du hamburger que les foodistes qui font des pieds et des mains, pleurent, se prostituent pour obtenir une réservation dans un restaurant où, suivant la même logique, "on ne peut pas être allé"? Sont-ils plus pathétiques que les précédents de s'extasier, forcément, devant l'objet de leur désir qu'une si longue attente n'a pu rendre que génial?
Tous veulent "en être", comme si l'on pouvait être par l'avoir. Ils communient au veau d'or, au pires travers du capitalisme et du mercantilisme tout en nous rappelant, par leur queues grotesques, les interminables files d'attente des épiceries polonaises, russes ou roumaines, la misère du communisme.
Car, au delà du compulsif, du panurgisme, c'est d'une vraie forme de misère dont il s'agit. D'âmes perdues qui croient que l'on ne se peut se réaliser, jouir que dans l'acte d'achat. Et dans le pseudo statut social que cet acte insignifiant, piteux procure. De pauvres gens qui n'ont comme seul "ami", que le vendeur, le restaurateur qui les délestent de quelques dizaines, quelques centaines ou quelques milliers d'euros. Là, tout au bout de cette queue.




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