1500 + 1500 = 3000€.
"Le livre de cuisine le plus cher du Monde!" Si j'en crois la Presse, c'est la caractéristique principale, distinctive, de l'ouvrage publié récemment par le chef parisien Yannick Alleno: il coûte 1500€, rien que ça. La claque est au rendez-vous pour saluer la sortie de ce pavé (la mare est épargnée…), jusqu'à l'Agence France Presse qui lui consacre une longue dépêche. Yannick Alléno s'y décrit "comme l'héritier d'Auguste Escoffier et de la nouvelle cuisine de Michel Guérard, expliquant vouloir ajouter quelque chose au répertoire". Il veut "réhabiliter la sauce,
qui est l'ADN de la cuisine française" et entend faire "des
sauces modernes nouvelles", met en avant la "méthode de l'extraction et
de la cryoconcentration".
Impeccable! Mais ce n'est pas bien évidemment le contenu de ce bouquin qui fait le gros titre de cette dépêche et des innombrables articles auxquels elle a donné naissance par la magie du copier-coller, l'info majeure, c'est son prix. Et dans une moindre mesure son poids, dix-sept kilos et son tirage limité, mille exemplaires.
Mais, passée l'émotion tarifaire, passé le coup au cœur (c'est juste à côté qu'on range son portefeuille), vous vous doutez bien qu'à ce prix hors du commun, on est en droit de s'attendre à un contenu exceptionnel. Et justement, le cuisinier tient à mettre en exergue, au milieu de ses recettes, cinquante "produits d'exception", cinquante merveilles solides ou liquides qui doivent vraisemblablement à ses yeux symboliser le patrimoine gastronomique français.
Alors, par hasard, je file en page 1101, la page du café. Et je me dis, candide, que le chef, dans son amour du goût, son respect quasi-religieux pour le travail humain, nous a déniché un petit noir incroyable, une variété, un terroir inconnus, perdus à l'autre bout de la Terre, qu'il va nous amener en voyage dans une plantation, ou nous faire rencontrer un de ces torréfacteurs passionnés dont les brûleries parfument les matins de nos rues, bref, que par la magie des étoiles, notre vision du café s'en trouvera définitivement changée. Normal, même si on n'est pas radin, à 1500€, on en veut pour son argent, on veut du rêve. Et en fait, en page 1101, on tombe là-dessus:
Eh oui, on tombe sur "la référence incontestée" du café: Nespresso. Le produit d'exception de Yannick Alléno, c'est ce breuvage industriel, en capsules aluminium, fabriqué dans deux usines suisses drivées comme vous le savez par Nestlé, le géant de la malbouffe à la philosophie si flower power. Je vous fais grâce de mes considérations aigre-douces sur le mariage contre-nature de ce genre de trusts destructeurs de la culture du goût et des cuistots étoilés, j'avais tout écrit ici. Il va également de soi que cette page de réclame n'est en aucun cas signalée comme telle dans la bible* du Georges Cloney de la cuisine française, ni publi-reportage, ni communiqué; rien à redire, ce n'est pas de la Presse (donc pas de mentions obligatoires**), de toute façon, c'est juste un hommage sincère, sensible, amoureux à un élément constitutif du Patrimoine gastronomique de l'Humanité. Et une belle manière de résumer en quelques jolies phrases, pures et désintéressées, la meilleure façon, avant l'armagnac ou la poire, de conclure un grand repas de "cuisine française".
Ah, tiens, au fait, puisqu'on parle de la France, soyez quand même prudents, chers lecteurs. Si vous voulez acquérir cette somme (au sens d'œuvre importante…), dépêchez-vous, faites-le rapidement***. Avant en tout cas que ne soit promulguée la loi récemment débattue sur la pénalisation de l'usage de la prostitution. Se faire client de quelqu'un qui vend sa vertu (ou son âme peut-être), ça va coûter bonbon! 1500€, très exactement. Et, 1500+1500=3000. La double-peine, quoi.
* Les mauvaises langues (ça ne manque pas dans ce nouveau show-biz à la Paris Hilton qu'est devenu l'univers de "haute restauration") affirment en fait que cette bible est surtout la compilation de YAM, le magazine qu'a édité le même Yannick Alléno. Personnellement, je ne sais, je ne le lis pas.
** Exemple, le site Atabula, un des exégètes digitaux de la cuisine jeune et créative; ils font ces jours le panégyrique de Brake, qui n'est pas une marque de disques de freins mais un des fournisseurs de la restauration standard en plats industriels, eh bien, regardez, là, au moins c'est indiqué: publicommuniqué.
*** Vous pouvez l'acquérir, et même gracieusement le consulter chez Déborah Dupont, à la Librairie gourmande, au numéro 92 de la rue Montmartre, dans le second arrondissement de Paris. mais je sais qu'on y trouve aussi plein de vrais livres de cuisine, comme le merveilleux La Ferme de la Ruchotte, chroniqué récemment.
7 kg... Au moins ce qui est sur c'est que ce n'est pas un livre pour cuisiner, parce que ca prend toute la place sur le plan de travail ce truc, et s'il faut religieusement se laver les mains à chaque fois qu'on veut le compulser lors de l'exécution de la recette...
RépondreSupprimerEnfin, je ne sais pas vous, mais perso, les livres de cuisine finissent toujours par se salir un peu, voire beaucoup.
Et ce n'était lui qui disait vouloir redonner le gout de la cuisine simple à tous ? A ce prix, c'est qu'on va toucher un large segment des français... Voilà une démarche purement marketing et communication.
Quant à Nespresso, rien à rajouter à vos propos, surtout quand on connait les pratiques de ces multinationeles envers les producteurs
Encore un qui se couvre la tête de cendres. Tout ça pour gagner trois thunes de plus. On rêve.
RépondreSupprimerUn peu dur à avaler tout de même!!!
RépondreSupprimerC'est vraiment ridicule...Mettre une pub aussi cheap dans un livre qui se veut aussi "haut de gamme"...
RépondreSupprimerQuelle pute le mec. A 1500 Euros la passe, j'y crois pas........................................;;;;
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