Mentir, c'est pas S.A.I.N…


L'époque est ainsi, il faut laver plus blanc que blanc. Et pour certains plus vert que vert. On a les postures marketing que l'on peut, un des nec plus ultra du moment, ce n'est pas de dire ce qu'on a fait, mais ce qu'on n'a pas fait. Ainsi, en matière pinardière, cette nouvelle association: Les Vins S.A.I.N.S. Là, en l'occurrence, un peu à la façon de la maison de négoce beaujolaise P.U.R. connue pour son packaging rock n' roll, SAINS est un acronyme, celui de Sans Aucun Intrant Ni Sulfite.
Jusque là, rien que de très banal. Pour la fondatrice de S.A.I.N.S., Catherine Vergé, il s'agit d'aller "plus loin" que les autres démarches du vin "naturel", et notamment que l'Association des Vins Naturels* dont elle est issue. Plus loin, cela signifie que l'on s'interdit, quelle que soit la cuvée et quelles que soient les circonstances, d'introduire le moindre milligramme de SO2 (ou de quoi que ce soit d'autre) dans les jus. Tout cela est résumé par un tableau assez darwinien qui vise à prouver que les vins S.A.I.N.S. constituent sinon le must, au moins l'étape ultime, l'aboutissement de l'évolution naturelle vinicole.


On pourra toujours ergoter sur la rigueur, l'honnêteté d'un tel tableau, sur ce qu'il sous entend de manière un rien fallacieuse. Car, le scientifique de bistrot le comprendra, en tout cas l'interprétera immanquablement comme la démonstration que chacun des vins qui entre dans chaque catégorie contient obligatoirement l'intégralité des produits autorisés dans la dite catégorie**. C'est évidemment faux, totalement faux. Allez par exemple demander à Emmanuel Raynaud, Thierry Allemand, Jean-Louis Chave ou Jacques Sélosse, vignerons conventionnels, ni "naturels", ni Demeter, ni Bio, si tous leurs châteauneufs, cornas, hermitages ou champagnes de tous les millésimes ont connu tous ces intrants. Pour prendre une image médicale, c'est un peu comme si l'on expliquait que tout Français, sauf à être témoin de Jéhovah, ingurgite chaque année l'intégralité de la liste des médicament autorisés par l'ANSM*** tout en subissant dans le même temps tous les interventions chirurgicales possibles. Les hypocondriaques existent, mais il ne sont pas la majorité!
Mais, sur le site des Vins S.A.I.N.S., ce qui a retenu mon attention, c'est cette phrase, mise en exergue tout en haut de la page la plus importante (ci-dessous), celle qui présente la charte à laquelle souscrivent les adhérents: "Sans Aucun Intrant Ni Sulfite « ajoutés » sur 100% de son activité viticole." Voila ce à quoi s'engage chacun des vignerons de ce groupuscule.
Bon, alors moi, plus vert que vert, je veux bien, mais je me dis quand même que dans les 100% de leur activité viticole (et non vinicole!) ces braves gens, il y a de fortes chances que sur les feuilles de leurs vignes, après avoir appliqué du S (sous sa forme artificielle obtenue par sublimation), ils pulvérisent du CuSO4, ou plus exactement, car ils l'utilisent sous une forme pentahydratée, du CuSO4,5H2O*****. Et du coup, j'ai bien peur que ce "Sans Aucun Intrant Ni Sulfite « ajoutés » sur 100% de son activité viticole" ne soit qu'un joli et gros mensonge par omission. Un mensonge que je trouve d'ailleurs plus maladroit, couillon, enfantin même qu'autre chose.
Chacun fait ce qu'il veut dans ses vignes et dans son chai, mais, on n'a pas le choix, il faut travailler plus proprement; c'est un vrai objectif pour toutes les activités agricoles, une nécessité (économique, commerciale notamment), on est dans le domaine de l'inéluctable. Car, contrairement à ce que pourrait donner à penser le comportement méprisable de certains politiciens professionnels repeints en vert, nous avons, la planète a besoin de davantage d'écologie. Mais pas l'écologie du blabla, des discours, de l'incantation, l'écologie rationnelle, scientifique, calculée.
Ce n'est pas en racontant n'importe quoi qu'on va faire avancer le schmilblick. Ce n'est pas non plus en tentant de se faire de la pub (mensongère) sur le dos des méchants vins "chimiques", impurs malsains (AVN, Demeter, Bio, etc…). L'obscurantisme, l'ignorance, la duperie, laissons ça aux ayatollahs qui lient la fréquence des tremblements de terre à la longueur des jupes des filles ou à Ma'ame Michu et ses "fusées qui nous détraquent le temps". Tout cela, c'est le contraire du vin, symbole du rayonnement et du partage. Et ce n'est pas sain.




* Et dont j'ai constaté hier, via le Web, que la liste des membres avait fondu comme peau de chagrin, perdant au passage certains vignerons dont j'adore les vins, je pense notamment au petit génie de Chablis, Thomas Pico ou à la famille Bley de Cahors. Il est vrai que si l'on se situe uniquement en fonction du critère de l'ajout de SO2 dans la bouteille, Thomas Pico ne fait pas mystère du fait qu'il ajoute une "pincée" à la mise, "dans l'intérêt de ses clients". Heureusement, parmi les rares qui restent à l'AVN, on trouve toujours Jérôme Lenoir de Chinon, ou les Sarnin-Berrux bourguignons.
** Dont beaucoup ne sont pas des poisons, loin s'en faut, plutôt moins d'ailleurs que la plupart des intrants utilisés par les jeunes cuistots "créatifs" si amoureux de la Nature…
*** Agence Nationale de Sécurité du Médicament.
**** Le soufre, qui n'est pas que diabolique, mais aussi vital.
***** La bonne vieille bouillie bordelaise.

ADDENDA (dimanche 22 décembre 2013): Catherine Vergé m'a fait part de sa décision de changer les phrases litigieuses sur le site Web des Vins S.A.I.N.S, afin de lever l'équivoque. Bravo! Je trouve ça très sain…

Commentaires

  1. Qu'importe le cahier des charges, pourvu qu'on ait la qualité !
    Une suggestion pour les apôtres du toujours plus naturel, toujours plus pur : tant qu'a supprimer tous les intrants, supprimez le raisin. Vendez des bouteilles remplies de...vide. Le VIDE : must absolu de la Pureté !

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  2. Oui, la qualité! Enfin un cahier des charges qui va être simple à définir!
    Une suggestion aussi: on supprime tous les mauvais vins et on ne garde que les meilleurs.

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    1. Mauvais et meilleurs? Avec une note sur cent, mesurés au pied à coulisse ou au double décimètre? Sélectionnés par un commissaire politique? Buvons plutôt ce que nous aimons, en nous préoccupant davantage de plaisir que d'hygiénisme ou de questions sanitaires. Parce que si l'hygiénisme et le sanitaire l'emportent, plus d'alcool, donc plus de vin…

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  3. On ne sait plus à quel saint se vouer… J'ai bien envie de créer l'association des Vins Vierges !

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    1. Je pense que le fait même de cueillir une grappe de raisin, d'oser l'extraire de son contexte "naturel" est déjà en soi un crime: interdisons la vinification, procédé artificiel, honteusement humain!
      Et puisqu'on va par là, l'agriculture. Planter, labourer sont des atteintes à la Nature. Et quid de la taille, cette amputation d'un organisme vivant?

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