J'en ai ras le bol du Jura!


Vous arrivez, vous, à trouver un caviste ou un sommelier branché qui vous propose autre chose à boire que du vin du Jura? Difficile, hein? C'est amusant, parce qu'il y a quelques années, quand vous sortiez une bouteille d'arbois, ou de vin jaune, tout le monde ou presque faisait la grimace, tout juste si on n'appelait pas la police. Et le poulsard? "Tu veux me faire des trous dans le ventre?"
Les choses ont bien changé et le petit vignoble franc-comtois (2000 hectares), cher à Pasteur et Courbet, bénéficie depuis quelques années d'un énorme coup de projecteur, qui dépasse même maintenant les frontières du périphérique parisien. Espérons juste que cet engouement survive à la mode, et aussi qu'il incite, au delà du folklore et du cétaitmieuxavantisme, les œnophiles à s'intéresser de plus près au formidable patrimoine ampélographique français*.
Car, parmi les atouts distinctifs du Jura figurent en bonne place ses cépages, savagnin, poulsard et trousseau, pour parler de ceux qui ont le plus l'accent. Au moins autant que le terroir (dans son acception française qui intègre le savoir-faire), ils signent, souvent avec grâce, les vins du Revermont.


Ces cépages jurassiens, il y en a un pourtant, je vous en ai déjà parlé, qui a pris un accent exotique. C'est le trousseau, implanté, acclimaté, adapté depuis des siècles dans le nord-ouest de la Péninsule ibérique. Là-bas, dans ce rostre, dans cette extrême avancée de l'Europe vers le Ponant, son petit nom se prononce merenzao, ou bastardo. Je le répète, il ne s'agit en aucun cas d'une "expérience", du coup marketing d'une bodega en mal de publicité. On pense que ce cépage (comme l'albariño rhénan?), est arrivé en Galice au Moyen-Âge, grâce aux moines, vraisemblablement par les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle*. Pour le trousseau espagnol, pas de doute, en tout cas, l'origine est identifiée.
Ce que l'on sait moins, en revanche, c'est que, par le truchement du merenzao, un autre cépage ibérique à lui aussi un sacré fond d'accent franc-comtois. Ce cépage, c'est la mencía, élément identitaire de la viticulture de l'ancien Royaume de Galice, cépage en expansion qui couvre plus de 9000 hectares rien qu'en Espagne.


Et ça, l'arbre généalogique de la mencía, ce n'est pas au fond d'un grimoire poussiéreux qu'on l'a découvert, mais, récemment, grâce à une remarquable étude scientifique. Oui, je sais, l'épithète "scientifique" est honni, désormais, dans la littérature pinardière: le vin, ça ne se fait qu'en regardant les étoiles, en conversant avec les esprits, par magie, ça ne se fabrique pas d'ailleurs, c'est la Nature qui le façonne de ses petites mains velues. Par parenthèse, l'obscurantisme revendiqué m'inquiète toujours un peu, il se finit généralement chez les ayatollahs, dans les tribunaux d'Inquisition, en Corée du Nord ou chez les créationnistes qui prennent trop souvent le thé ensemble aux États-Unis…


Revenons-en donc à cette passionnante étude scientifique qui a permis de mieux cerner la génétique (autre gros mot) de la mencía. Elle a été menée par Emilia Díaz Losada, de la station viticole et œnologique d'Ourense et les universités de Saint-Jacques-de-Compostelle et de Lugo. Car, autant cette variété est répandue, autant le plus grand flou régnait sur son origine. Généralement, les savants voyaient en elle une descendante du cabernet-franc. Mais j'ai aussi entendu parler de syrah, de grenache ou même de pinot. Eh bien, l'ADN a parlé. On connait désormais un des parents de la mencía, et c'est le… merenzao, le trousseau! Comme il est également à l'origine du caiño gordo, et du mouratón.
Moi qui sirotais pépère mon godet de rouge du Portugal, de Galice ou de León, mes Alanda, Ponte Da Boga, Akilia, Massuria, tout content de me régaler de vins espagnols équilibrés, désaltérants, voila qu'on me raconte qu'alors que je rêvassais au son des gaitas do fol***, je "buvais du Jura"**** sans le savoir. Mais j'en ai marre, j'en ai ras le bol, moi, du Jura!




* Voila l'occasion de rappeler qu'il faut tout faire pour protéger le Conservatoire des Cépages de Vassal dans l'Hérault, qui dépend de l'INRA, et qui, notamment pour des raisons de coupes budgétaires risque de fermer. Ce musée ampélographique, véritable département R&D du vignoble français a permis à des vignerons comme Robert Plageoles de ressusciter des variétés comme le prunelard gaillacois. Il est notre mémoire, une pétition a été mise en ligne.
**  L'hypothèse selon laquelle l'immigration du trousseau aurait eu lieu à l'époque de Charles Quint semble elle fantaisiste.
*** Cornemuses galiciennes.
**** Mais, en fait, si je m'en tiens à l'ampélographie et aux recherches les plus récentes sur l'ADN des cépages, ce n'est ni de la Galice, ni du Jura que je buvais, mais du Sud-Ouest. Car le trousseau serait en fait un croisement du duras gaillacois et du petit-verdot bordelais (peut-être rapporté de retour du pélerinage à saint Jacques). Étonnant, non? Pour information, il existe également une version grise du trousseau, le chauché gris, présenté en Charente, au pays du cognac, comme un vieux cépage local. Pas de doute, l'étude génétique va faire vaciller certaines vérités qu'on récitait jusque là!


Commentaires

  1. passionnant, Vincent. Pétition évidemment déjà signée...

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  2. Et oui le trousseau gris c'est notre Chauché charentais redécouvert grâce au conservatoire du vignoble charentais
    http://conservatoireduvignoblecharentais.fr/?Collections
    et première récolte en 2014 pour moi

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  3. Maintenu que tu es devenu féru d'ampélographie, Vincent, jette un œil là-dessus. Et tu en apprendras encore davantage sur la génétique des cépages, version grand sud-ouest. Le trousseau (tressot) et le savagnin y figurent en bonne place. Par contre, ils ont bien été apportés de l'Est, via les romains et/ou les pélerins de Compostelle, et sont considérés comme géniteurs du duras et du petit verdot. Et non pas l'inverse...
    http://gawel39.overblog.com/2014/01/les-liens-de-parentés-entre-les-cépages-du-sud-ouest.html

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  4. Maintenu que tu es devenu féru d'ampélographie, Vincent, jette un œil là-dessus. Et tu en apprendras encore davantage sur la génétique des cépages, version grand sud-ouest. Le trousseau (tressot) et le savagnin y figurent en bonne place. Par contre, ils ont bien été apportés de l'Est, via les romains et/ou les pélerins de Compostelle, et sont considérés comme géniteurs du duras et du petit verdot. Et non pas l'inverse...
    http://gawel39.overblog.com/2014/01/les-liens-de-parentés-entre-les-cépages-du-sud-ouest.html

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    1. Oui, toutes ces études scientifiques récentes sont effectivement passionnantes. Et confirment effectivement la vitalité des échanges anciens, médiévaux notamment, l'importance aussi de ce point e convergence qu'a été fort logiquement le Sud-Ouest sur les Chemins de Saint-Jacques. En revanche, réécoute les explications de Thierry Lacombe, pour ce qui est du petit-verdot, il précise bien que l'on ne sait pas dans quel sens va la parenté (flèche orange).

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    2. Attention : le trousseau et le tressot ne sont pas le même cépage. S'il y a bien un lien entre le tressot et le petit verdot, il n'y en a pas avec le trousseau. Quoi que... il descend du savagnin qui a fricoté avec le tressot pour donner le duras.

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