Le #buzz (pinardier) du #siècle !


La ménagère de moins de cinquante ans et monsieur Tout-Le-Monde ne sont pas au courant, la première chaîne n'en a pas causé. La plupart des buveurs de vin s'en foutent royalement. L'immense majorité des amateurs distingués s'en tape le coquillard. La quasi-totalité des producteurs eux-mêmes, occupés à se geler les doigts (et le cul) à la taille, s'en balance comme de son premier sécateur. Les gros marchands de vin, qui viennent d'achever en retard l'inventaire, et qui se dépêchent de boucler la compta avant d'aller visiter les salons d'hiver ne l'ont même pas calculé. À mon avis, ils ont bien raison. Je vais vous dire, moi non plus, j'en n'ai rien à cirer.
De quoi? Ah, oui, de quoi, au fait? Parce que vous aussi, vous n'êtes pas au courant de cette information planétaire, de cette nouvelle sensationnelle, de ce scandale digne de Voici ou du Sun. Je vais vous affranchir, vous ne pouvez pas rester une seconde de plus sans savoir, "on ne parlait que de ça" depuis une semaine dans les gazettes d'Internet !


Deux importants critiques de vin hexagonaux, Michel Bettane et Thierry Desseauve, se sont fendus d'une chronique "terrible"* dans le magazine italien Gambero Rosso. Si j'en crois ce que j'ai lu par la suite, le J'accuse de Zola, à côté, c'est de la roupie de sansonnet. Ces deux-là, c'est leur côté blogueur, pardon, blagueur, ils ont voulu "faire le buzz". Alors, leur chronique, leur Lettre transalpine intitulée "je vous le laisse, moi, le vin naturel", je vous invite avant toute chose à la lire, en bas de page, intégralement traduite, afin de savoir de quoi il retourne.
Car, franchement, moi, ce qu'écrivent Bettane & Desseauve, comme aurait dit un ancien Président de la République, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. C'est d'ailleurs ce que j'expliquais avant-hier à Jonathan Nossiter, l'homme de Mondovino**, qui a levé le lièvre en Italie et qui s'étonnait que je n'ai pas écrit à ce sujet. Oui, je trouve ce texte banal, j'ai l'impression de commenter à mon tour un non-évènement, et ce pour plusieurs raisons.
1°) Les auteurs.
Bettane & Desseauve défendent à longueur de publications une idée très classique du vin, ou, plus précisément, très "œnologiquement correcte", c'est leur fond de commerce. Dans ce contexte, ce qu'il écrivent dans Gambero Rosso est à peu près aussi surprenant, extraordinaire, inattendu que de voir au journal de vingt heures un politicien socialiste dire tout le bien qu'il pense de l'actuel gouvernement de la France ou un de leurs adversaires de Droite exprimer sa défiance vis-à-vis du même gouvernement. Tout cela est convenu, il aurait été autrement abracadabrant qu'ils se déclarent brutalement amoureux des vins "naturel", qu'ils affirment que Château Angélus pue le bois ou les foires au vins des grandes surfaces sont des miroirs aux alouettes. Bref, ce #buzz du siècle, c'est un peu l'histoire de la crevette (rouge) qui a bouché le port de Bercy…
2°) Le propos.
Que racontent Bettane & Desseauve? Voyons d'abord l'essentiel, les vins. Après avoir rappelé à quel point était indispensable "le retour à la vie biologique des sols", ils décrivent des "rouges [qui] puent" et dont "tous les terroirs et tous les cépages se ressemblent". Quant aux blancs, ils les jugent "plus ou moins oxydés depuis la naissance".
Alors, quoi, les enfants (je m'adresse-là à mes camarades naturistes), on joue les vierges effarouchées? Le côté "qui pue", on le sait bien, ce n'est pas une rareté, on en rigole même parfois entre nous, pas vrai? Ce n'est souvent que de la réduction, et ça, les deux auteurs qui sont tout sauf des ignares le savent. Après, il y a effectivement un paquet de bouteilles, ambiance "ancien éducateur spécialisé du 93 reconverti paysan-pur-jus" qui, après aération, surtout dans le Sud, sentent vraiment mauvais, le poulailler, la vieille chaussette, la matière fécale… Ça existe, soyez honnêtes, et ça gomme légèrement l'origine. Pour ce qui est de l'oxydation, itou: des blancs "nature" qui sentent le cidre, on n'est pas dans le domaine de l'impossible (euphémisme), on a même le droit d'aimer ça. Et puis, patience, je sais que la prochaine Lettre transalpine, intitulée "les super-Toscans, je vous les laisse" conspuera avec la même virulence ces vins écrasés par l'extraction et le bois où "tous les terroirs et tous les cépages se ressemblent"…
Avec un brin de condescendance, Bettane & Desseauve cantonnent ensuite le vin "naturel" au registre "à boire jeunes, sur place", "simple fruités et très agréables", je sais là aussi qu'ils savent qu'il y a de nombreux contre-exemples (avec souvent un chouïa de SO2 ajouté), mais qu'ils les avaient oubliés sur le moment, en écrivant leur chronique… Sur le fait qu'il faille "les conserver dans une cave au frais", en revanche, rien à dire, c'est une évidence technique (qui fait d'ailleurs un peu mal au cul quand on raisonne d'un point de vue écolo).
S'ensuivent une série de constatations sur la mode ou le mouvement (suivant le côté duquel on se place, c'est un peu comme les comptages dans les manifs selon la police et selon les organisateurs) des vins "naturels". Sur un engouement en restauration dont ils prennent acte et qui les agace. Sur une sur-représentation médiatique de ce style de crus. Tout cela est assez vrai. Mais à qui la faute? Certains, mieux que d'autres, ont su surfer sur la vague, capter l'air du temps. Même si le phénomène demeure à la base franco-français, il est indéniable que le mundillo "nature" a infiniment mieux manœuvré en termes de marketing que les intervenants traditionnels. Regardez, par exemple, la com' de certaines interprofessions viticoles, elle est tellement ringarde qu'à force d'être visuellement obsolète, elle va se faire rattraper par la mode rétro! Et j'évite d'évoquer les "châtelains", Hubert Desboires ou d'autres du même tonneau qui classent les vins en fonction de la taille du parking devant la winery, quand on les voit, naissent d'inextinguibles soifs "nature"…


Ce que je reprocherais à Michel Bettane et Thierry Desseauve, c'est d'abord, justement, une erreur de communication. Ont-ils vraiment besoin de ce #buzz? Est-il nécessaire qu'ils se posent en gardiens du Temple? Est-ce la retraite annoncée d'Uncle Bob qui les incite à pisser sur l'arbre? Ce faisant, ils ravivent une vaine guerre de tranchées alors qu'il serait mieux de faire bouger les lignes. Ils donnent des munitions à leurs adversaires qui trouvent là, sans le demander, l'occasion de rassembler leurs cohortes éparses, martyrs drapés dans des étendards partisans, victimes unies d'un Grand Satan désigné. Ils alimentent une communication en creux, "très Việt Cộng", des milliers de réponses, de diatribes sur le vin chimique, sur les empoisonneurs, sur le glouglou et le pas-glouglou… Je ne suis pas persuadé que tout cela fasse avancer la cause du vin, ni en Italie, ni ailleurs.
Et là où je leur en veux un peu à ces enfants du goulot que sont comme nous tous Bettane & Desseauve, leur grosse erreur, je trouve, c'est de réouvrir une querelle des Anciens et des Modernes qui n'a pas lieu d'être. De goûter à la place de ceux qui boivent. De dire à des jeunes qui consomment du vin qu'ils sont des ânes et qu'ils ne comprennent rien. Ça fait un peu vieille prof de piano avec du poil au menton qui répond sèchement Méthode rose quand on lui parle de la Fender de Joe Strummer. Difficile ensuite, surtout pour ado, de ne pas se braquer. Difficile aussi de lui expliquer le discernement, la modération, ou la tolérance.


"La tolérance, il y a des maisons pour ça!" Eh bien, je pense  que le vin fait partie de ces maisons-là. Pas nécessairement parce qu'on y fait la pute, au contraire, mais parce qu'on peut y dire ce qu'on pense, sans que ce soit le bordel. Une maison où, je le répète, chacun a le droit d'aimer ou de ne pas aimer, où chacun cherche plus à jouir qu'à en dégoûter les autres. Une maison de rendez-vous, de rencontre, de partage où il serait souhaitable que la politique et la religion (je veux dire celles dont on fait les guerres) restent au vestiaire. Moi, les professions de foi, de quelque nature qu'elles soient, je trouve ça imbuvable.


* Voici la traduction, réalisée par le sommelier-cinéaste de Mondovino, Jonathan Nossiter (et légèrement francisée par mes soins), de la Lettre transalpine, de la chronique de Michel Bettane et Thierry Desseauve publiée par Gambero Rosso, l'équivalent italien, mâtiné de gastronomie, de La Revue des Vins de France. Ce texte doit bien sûr être soumis à droits d'auteur, mais, "Crevette rouge" étant difficile à trouver ailleurs qu'en Italie (et encore moins en VF…), il me semble nécessaire de le publier ici: on moins, chacun saura vraiment ce qu'on commente.
"Nous souhaitons sincèrement aux passionnés du vin italien de pas avoir a passer par ce qui se passe en France: une invasion de mauvais vins, dit "naturels", ou, autrement dit, sans SO2, avec la complicité de nombreux sommeliers, cavistes, journalistes irresponsables.
Il existe réellement une viticulture bio et on est heureux de ça. Le succès de cette viticulture vient d'une observation et d'un respect des équilibres naturels de la vigne, et, surtout, le retour à la vie biologique des sols, aspect que tout agronome sérieux sait être indispensable pour nos vins d'appellation contrôlée.
Mais on ne peut pas "accepter" les dégâts faits sur l'imaginaire du passionné par des mauvais vinificateurs qui ont la présomption de faire du vin naturel sans SO2, et qui veulent faire passer leur "boisson" comme la vérité du terroir.
Leurs produits se reconnaissent facilement: les rouges puent et tous les terroirs et tous les cépages se ressemblent car les mauvaises levures indigènes (avec lesquelles ils sont produits) sont si "agressives" qu'ils cannibalisent les bonnes levures. Si le vinificateur laisse faire, ils sont les mêmes partout dans le monde, leur couleur est trouble et instable, ils présentent un excès de CO2 qui donne l'impression d'un vin pas accompli.
Les blancs, si tant est que ce soit possible, sont pires, plus ou moins oxydés depuis la naissance, donc mort-nés; on en gère a posteriori la putréfaction (décomposition)!
Nous sommes étonnés par la naïveté de certains excellents chefs qui ne proposent désormais rien d'autre sur leurs carte des vins, ils accordent tellement d'attention à leurs plats qu'ils devraient être les premiers à désolé de proposer ainsi des produits périmés.
Que ce soit clair, certains des plus grands vins de la planète proviennent d'une inspiration biologique, mais les producteurs en question, conscients de leurs responsabilités, améliorent toujours leurs vinifications avec des instruments neufs et modernes, du pressoir jusqu'aux cuves. Dans les appellations moins renommées, il y a des dizaines de bons vignerons, respectueux du sol, de la vigne, des raisins, du vin, mais bizarrement on voit parader que des producteurs "fanfarons", qui parlent davantage qu'ils n'agissent, et des fourbes, excellents manipulateurs d'opinion, souvent copains des cavistes ou du distributeur.
Ils sont alors beaucoup, les jeunes restaurateurs, à devenir des proie faciles! C'est donc au consommateur de faire remarquer que ce vin, soit-disant plus près de la Nature, est en réalité un mauvais vin, sans intérêt, sinon celui de ne pas faire mal au crâne.
Avec de la chance et de la persévérance, il est possible de produire sans SO2 des vins à boire jeunes, sur place, des vins simple fruités et très agréables, mais il faut les conserver dans une cave au frais et surtout ne jamais les faire voyager! Et pour chaque cuvée réussie, le vigneron se retrouvera avec deux ou trois totalement ratées. Qui peut se permettre de ne pas les vendre et assumer la responsabilité de ses erreurs?"

** et aussi de Rio, Sex Comedy qui m'a plié de rire!


Commentaires

  1. Ton vœu pieux : "…on peut y dire ce qu'on pense, sans que ce soit le bordel." Sauf quand c'est Bettane et Desseauve qui parlent ?

    Et puis, pardon pour le #buzz, mais c'est le modèle XXS, hein. Très peu de gens se sont exprimés. En revanche, moi, j'ai vu soudain mon nombre de followers et autres friends augmenter sur FB et Tw. Preuve que nombre de gens qui ne s'expriment pas sont au fond très d'accord avec ce discours. Et qu'une poignée d'énervés idéologiquement rances poussent des cris d'orfraie dès lors que la pensée unique n'est pas respectée fait plutôt partie des choses qui m'enchantent.

    J'ai relu la v.f. du texte de Michel et Thierry et, vraiment, ya pas de quoi fouetter un greffier.

    Allez, à plus.

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    1. Nicolas, je suis d'accord avec toi sur le fait que ce papier n'apporte rien de nouveau ni d'inattendu. Pour ce qui est du #buzz, tu le sais aussi bien que moi, dès qu'on entend le mot "nature"…

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  2. Super papier Vincent ! Je sais que ça ne se fait pas, mais j'en profite pour signaler le point de vue "oecuménique" d'Hervé Lalau qui reflète assez bien notre vision aux 5duVin concernant ce sujet épineux :
    http://les5duvin.wordpress.com/2013/01/16/un-debat-sur-le-vin-dit-nature-qui-restera-dans-les-anales/
    Comme on vient de déménager, ça nous fera un peu de pub...

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    1. Merci, Michel. Tu as bien raison de le partager, je l'ai moi-même fait sur Facebook.

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    2. Excellent article, Vincent ! Cela dit, l'idéologie du vin naturel peine à prendre en Italie ; il était donc intéressant d'anticiper et susciter le débat chez nos amis transalpins ! Pour le peu que j'en ai lu sur les forums, la discussion sur ce buzzant sujet se situe à un autre niveau qu'en France où elle oscille entre l'hystérie et le caniveau. Ajoutons-y les nostalgies vietnamiennes de la mère Freiring et le tableau n'est pas franchement excitant ! Mais, telle est sans doute la loi de la Toile que d'exister à travers ce bourdonnement dont personne ne fait son miel. Quoi d'étonnant dès lors à ce que certains de ses janissaires aient des doutes. Tel le dit "Taulier" qui, si j'ai bien saisi son propos extralucide, menace de tirer la prise un de ces quatre, l'oeil pourtant rivé sur Google Analytics. Demain, le tour de l'académicien des vins anciens qui nous épargnera ainsi le récit des frasques culinaires de son gendre et l'interminable litanie des vins mutiques, des bouteilles ouvertes/rebouchées, des lièges récalcitrants... Notez, personne n'est obligé de le lire.

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  3. Quand la boule de neige fait tâche d'huile ...

    http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2013/01/17/slow-web-on-se-calme-et-on-boit-frais/

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  4. Comment se fait-il que M Bettane si susceptible sur le blog du GJE soit ici dans un profil superbas pour ne pas dire absent, forcément absent, on se demande bien pourquoi ce amnque de courage..........

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  5. Ce serait courageux de dire ton nom, anonyme...

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  6. et sinon, à part ça, entre "La paulée des chaumières" de tonton Michel et Pépé Titi et "Art Pressoir" du collectif No SS O2, on boit quoi ? parce que , me cago en el granel, on parle, on parle...et j'ai soif moi .

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    1. Eh bien, on boit plein plein de trucs dont ils ne parfois ni les uns ni les autres, des trucs qui sortent du dogme, des trucs qui sortent des modes, du vin, quoi…

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