Pensons aussi à Carmet.
Depardieu par ci, Depardieu par là. On dirait que c'est le seul sujet d'actualité en France, qu'à part ça tout va très bien Madame la Marquise. Peu importe. Il se trouve que j'avais affaire avec la Loire ces dernières heures* et qu'un des noms qui revient immanquablement à mon esprit quand je pense aux vins ligériens, c'est celui de Jean Carmet. Il m'arrive même, en buvant un coup de breton, de repenser à lui dévalant les marches du Louis XV dans une forme olympique, l'utilisant comme mètre-étalon de mon propre plaisir: "tiens, ça, c'est un pinard à la Carmet". Ce qui est toujours bon signe.
C'est vrai que parmi tous les absents qui le hantent, il doit y penser bien souvent à son pote de Bourgueil, notre Gégé national. Il en parlait encore dans son interview à la Revue du Vin de France quand Denis Saverot lui demandait pourquoi il avait voulu faire du vin: "J’aime le vin, mais je ne voulais pas me contenter de le boire. Je
voulais apprendre. Je ne voulais pas faire le critique, celui qui parle
de vin ou de cinéma sans savoir en faire. Je l’ai dit à Jean Carmet.
C’était un baladin des vignes. Je lui ai dit : « Tu ne peux pas parler
de vin sous le regard des autres. » J’ai fait du vin pour lui."
Et puis Carmet, pour moi, c'est un bouquin, un bouquin qu'on ne m'a offert et que je conserve uniquement pour une double-page, celle de la préface, signée du "baladin des vignes". Cette préface, elle vaut tous les discours pompeux, toute la wine education du Monde, tout ce qui dénature et pollue le vin, l'éloigne de la Terre et des Paysans. Cette préface, donc, je vous l'offre.
"J'appartiens à ces privilégiés qui, dès leur naissance, connurent le bonheur.
On raconte que mon père, le jour de mon baptême, trempa son index dans un verre de bourgueil pour m'en oindre les lèvres, et que j'eux l'air d'y prendre grand plaisir.
Vérité? Affabulation? Je ne réfute pas l'évènement.
Bien sûr, enfant, j'ai connu l'eau du puits pour des ablutions qui n'étaient pas ce qu'elles sont maintenant et, en tant que boisson, pour couper un gobelet de "grolleau".
Puis l'eau quitta mon paysage.
Ce fut une heureuse époque sur fond de récits bachiques. Là, il n'était question que de bourgueil, de chinon, de coteaux-du-layon ou de-l'aubance. Si bien qu'à l'âge adulte, vins de Bordeaux et de Bourgogne n'étaient qu'une rumeur dont je n'imaginais pas le goût. Les vignerons parlaient de ces haut-lieux avec une grande vénération, osant timidement, quand elles atteignaient le sublime, comparer leurs cuvées à celles de ces terres prestigieuses.
Ces gens-là étaient des modestes.
Certains avaient des sobriquets, "Boîte au sucre", "Bec-à-fouace", "Cul d'ours". Ils les tenaient de leurs ancêtres et n'en savaient plus les raisons. D'autres vivaient dans des lieux-dits, "Les Galluches", "L'Oye qui cosse", "La Sale Terre". Mais tous avaient beau langage, qu'ils ont légué à leurs enfants.
C'étaient des conteurs magnifiques, qui souvent s'isolaient dans leurs caves pour parler avec leur barriques.
C'étaient des conteurs magnifiques, qui souvent s'isolaient dans leurs caves pour parler avec leur barriques.
Voilà pourquoi les vins de Loire sont des vins simples qui s'expriment sans emphase. À conditions qu'on les respecte, il s'ouvrent pour vous offrir toutes les richesses de leur jardin. Ils aiment vous faire des surprises, vous attaquent quand vous les mâchez, vous embarquent dans leurs arômes, se rappellent à votre mémoire et, sans vous abandonner, tapissent votre palais de fraîcheur et de propreté.
Un de mes amis, très célèbre, orfèvre en cabernet-franc, converse avec ses flacons. Il leur demande de leurs nouvelles… Comment ont-ils passé l'hiver? Sont-ils bien là où ils sont? Il prétend avoir observé qu'une bouteille caractérielle peut très bien refuser de s'offrir en présence d'un malfaisant et retrouver tous ses arômes quand l'intrus a quitté la place.
Allez donc savoir ce qui se passe dans la tête d'un vin qui ressemble à celui qui l'a fait…
Un jour, j'ai franchi les frontières. Du Centre à l'Est, de l'Est au Sud… Du Sud à l'Ouest, j'ai lassé là mes préjugés, flâné le long des rivières, suivi les chemins étroits où, devenus fantômes, rôdent le pas des chevaux et le roulement des carrioles.
Faites comme moi.
Traversez des villages aux noms qui donnent soif.
Frappez aux portes des vignerons, peu avares sur les "fillettes".
Retrouvez l'innocence et le besoin d'aimer.
Et si un jour vous le pouvez, prolongez jusqu'aux sources… jusqu'au Mont Gerbier-de-Jonc, par exemple, ou ailleurs. Là, un filet d'eau qui pénètre et qui s'enfle engendre les merveilles du Monde."
* Parce que, certains d'entre vous le savent déjà, je me suis laissé convaincre de participer à un concours, surtout en fait parce qu'il avait lieu en Val de Loire et que j'adore cette région, ses gens et ses vins. Si vous le souhaitez, vous pouvez même voter pour moi, c'est ici.
Il y a quelques années, chez des grands défenseurs des bons vins de la Vallée de la Loire, j'ai eu le bonheur de passer une journée et une bonne partie de la nuit avec plein d'amis Ligériens et Jean Carmet !
RépondreSupprimerC'est un des très grands souvenirs de ma vie "dans le monde du vin". Monsieur Carmet a été d'une énorme générosité et d'une gentillesse rarement égalée pour une "vedette". Le lendemain matin, autour d'une grillade, d'huîtres, de tête de veau et d'un Muscadet, Monsieur Carmet recevait en cadeau un triple "Melchior" (54 litres), une fabrication artisanale élaborée pour lui, remplie d'un grand vin ...... de Loire ! Au moment où nous voulions appeler un transporteur pour faire livrer ce monstre chez lui, Monsieur Carmet nous arrêta vivement en criant : "pas question ! on l'ouvre maintenant !" !!! :-)
La formidable famille qui organise cette toute belle et grande manifestation de défense des vins de Loire (sans sponsors de cette région !) est la famille Jallerat de l'Hôtel Restaurant "Le Grand Monarque" à Chartres et c'est leur fameuse "Paulée des Vins de Loire" !!!!!! ;-)
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http://www.bw-grand-monarque.com/fr/index.php
Petite histoire de la Paulée : en 1982, Georges Jallerat, propriétaire du « Grand Monarque » décide d’inviter les meilleurs vignerons du millésime naissant , de retour du Salon de l’Agriculture à Paris, à partager un déjeuner amical dans son établissement. Il y convie également des journalistes et quelques amateurs chartrains. Depuis, cette fête amicale et commerciale est devenue une institution dans le monde du vin. Le plaisir de la dégustation du millésime nouveau reste réservé aux amateurs éclairés et aux professionnels, car les vins présentés ne sont, faut-il le rappeler, pas encore mis en bouteilles.