Un peu d'originalité. Enfin!
Je vous ai mille fois raconté à quel point on s'ennuyait ferme avec les vins catalans. Difficile de trouver des bons coups à boire en Barcelone, les verres sont souvent aussi tristes que le seny, cette espèce de côté pisse-froid dont on est si fier ici (parce qu'on le confond avec le flegme britannique). Il y a bien sûr des exceptions, je les évoque quand, par chance, elles croisent ma route. Mais elles ne font que confirmer la règle. Se pose alors une question: pourquoi n'arrive-t-on pas, ou si peu, à faire de bons vins en Catalogne?
Ce n'est évidemment pas une fatalité et, premièrement, pas à cause des terroirs. Il en existe d'excellents ici, très divers, du Calcaire au granit en passant par le schiste, tout à fait comparables avec ceux du Languedoc-Roussillon voisin, la possibilité de grimper en altitude compensant la situation plus méridionale, donc plus chaude de dans cette région du nord de l'Espagne. Ce n'est pas non plus, a priori, un problème de moyens financiers. Avec l'aide de l'Europe, les entreprises viticoles locales ont pu se doter d'outils modernes, quitte à ce que, parfois, dans certaines bodegas, le spectaculaire prime sur l'efficace.
Incontestablement le problème vient d'abord d'un manque d'amour du vin. Le vin, ici au pays de la bière et du gin-tonic a largement perdu son rôle central, on lui a collé une image snobinarde assez repoussante; en Catalogne, l'an dernier, on n'en a bu à peine plus de treize litres par habitant. Compte-tenu de l'afflux touristique dans cette région, c'est minable! Mais, surtout, au niveau de la production, on constate généralement une absence totale de culture vigneronne. Contrairement à ce que nous connaissons en Italie, en France, en Allemagne, l'image-même du vigneron, indépendant, épris du beau geste, collé à son terroir, héritier de connaissances ancestrales, n'existe pratiquement pas. On fabrique du vin comme autrefois on fabriquait du tissu ou n'importe quel produit industriel. En appliquant, sans peur du bling-bling, les recettes du moment plus qu'en s'inscrivant dans une trajectoire à long terme. Au mépris, comme je l'expliquais ici, des usages locaux et d'une identité qu'on oublie. Bref, le vin en Catalogne n'est plus vraiment une affaire de paysans. Ajoutez à ça un conformisme que ne font que renforcer l'enfermement linguistique (quand on parle patois, on finit par "penser patois") conjugué à l'actuelle, mesquine et xénophobe poussée nationaliste et vous avez un début d'explication.
Vous pouvez donc imaginer ma joie quand je tombe sur l'oiseau rare! Et plus encore quand cet oiseau rare (un couple d'oiseaux rares, en fait) niche dans une des appellations les plus emblématiques de la viticulture bas-de-gamme qu'on peut pratiquer ici: le Penedès.
Évidemment*, Antonella Gerosa et Massimo Marchiori ne sont pas catalans. Ces Italiens, des Piémontais des Langhe sont installés à Partida Creus, dans une partie préservée de l'appellation, le massif de Bonastre, à quatre-vingts kilomètres au Sud-Ouest de Barcelone. Pour faire tendance, je pourrais vous raconter leur engagement bio, aussi bien à la vigne, à l'oliveraie qu'au restaurant adossé au domaine, préciser que Massimo travaille la terre avec ses deux fidèles compagnons, Vincenza et Orazio, une mule et un cheval, témoigner qu'il s'agit (immense rareté ici) de vins artisanaux… Mais, moi, ce qui m'a frappé, ce qui m'a ému, ce qui m'a enchanté avec leur Garrut, c'était son originalité!
Dans cette Catalogne où tous les vins (ou presque) sont gris, Garrut est un OVNI. Il s'agit d'un monastrell, autrement nommé en fonction des différents patois catalans mataró ou garrut, c'est-à-dire d'un mourvèdre, un des cépages que l'on trouve de longue date sur cette côte taragonnaise. Mais un mourvèdre qu'on a travaillé sur la finesse plus que sur la dureté. En l'état, Garrut, qu'il faut absolument aérer, n'est pas un "vin de nez", c'est un "vin de bouche". Mais bon, au pays de la soupe de chêne, on ne va pas lui reprocher d'être fait pour être bu! Le bois est vous l'avez compris le grand absent de ce cru qui n'a connu que la cuve (inox), ce qui est encore une originalité pour la région et une bénédiction pour ce mourvèdre.
Voila vraiment un vin réjouissant, floral, marqué par les fruits rouges et une note d'eucalyptol. Regardez d'ailleurs (ci-dessus) le visage du très sérieux Dominique Roujou de Boubée après l'avoir goûté: qui pourrait croire qu'il s'agit d'un éminent docteur de la Faculté d'œnologie de Bordeaux? Au passage, je vous conseille de jeter également un œil aux autres cuvées de à Partida Creus. Si je n'ai pas très bien goûté leur blanc de noir (du sumoll), j'ai été bluffé par leur interprétation du merlot et, surtout, du cabernet-sauvignon, eux aussi débarrassé de ce lourd cercueil de chêne qui, dans la chaleur et la sécheresse méditerranéennes sonne trop souvent le glas des meilleurs jus.
* c'est malheureux d'écrire ça, d'avoir à écrire, mais mes contre-exemples catalan sont souvent des pièces rapportées, hein, Fredi, Marc, Ivo?
Les bonnes pièces rapportées sont aussi légion par ici (Roussillon), mais une question me taraude : as-tu testé leur restaurant. Si les vins sont bons, je suppose que ...
RépondreSupprimerNon, pas encore, Michel.
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