Ça se mesure comment un grand vin?
C'est une notion toujours assez abstraite. Floue, surtout. Un grand vin. Qu'est ce que c'est qu'un grand vin? Et de quel point de vue. Intéressante, cette notion de point de vue. Qui es-tu, toi, pour dire que ce vin est grand ou petit? De quel instrument t'es tu équipé pour mesurer l'affaire? Le mètre pliant du croquemort de Lucky Luke? Le double décimètre avec lequel tu tentais de te mesurer la nouille quand tu étais adolescent. Une pendule pour ceux qui traînent en longueur? Ou peut-être (il faut être ambitieux pour juger de la grandeur…), un étalon-or, une chêne d'arpenteur? Ou un microscope électronique, parce l'infiniment petit…
Que mesures-tu, d'ailleurs, cher dégustateur (sachant que je m'adresse aussi à moi-même)? Ta propre grandeur, célébrée, consacrée, magnifiée par le prix, la rareté, l'exclusivité de ce que tu as dans le verre? Vois-tu ta propre taille (et celle de ton égo) s'accroître au fur et à mesure que tu révèles, tel un oracle, la "grandeur" du jus de raisin fermenté qui se trouve dans nos verres?
Selon les tenants de la notation quantitative du vin (pas toujours adeptes du système métrique…), au delà du mètre, de l'heure et du kilo, il existerait des critères objectifs sur lesquels beaucoup de dégustateurs pourraient se mettre plus ou moins d'accord. Perfide, j'ajouterai "surtout quand ils savent ce qu'ils boivent". Et qu'ils en connaissent le prix. Et la réputation du domaine, les dimensions de la maison du vigneron et celles de sa voiture. L'argent, le prestige, ça en impose, on ne peut que trouver ça grand, non?
Reste que quand on "mesure" à l'aveugle, d'une façon générale, ce qui l'emporte, ce sont les traits les plus marqués, les plus épais, les plus grossiers parfois. Rarement la finesse ou l'élégance, encore moins la délicatesse. C'est le triomphe du sucre, et surtout du bois, des crus maquillés comme des bagnoles de gitans. Les Espagnols qui se sont découverts sur le tard un don pour la menuiserie me l'expliquent souvent: il n'y a pas de "grand" vin sans bois. Depuis qu'on leur a fourré dans la tête l'idée de faire du grand vin, ça a tourné à l'obsession. Et avec une débauche de moyen, méthodiquement, quasi unanimement, ils s'appliquent à fabriquer des jus de planche imbuvables. Je les préférais vraiment quand ils faisaient de "bons petits vins", domaine dans lequel ils excellaient (au grand dam de leurs concurrents).
Tout est question de critères, en fait. De grille de lecture. Et d'expérience personnelle. Pourquoi donc existerait-il un "bon goût" communément admis? Le "bon goût", notion souvent aussi ringarde que bourgeoise qui, dans l'art notamment, a engendré des catastrophes et de ridicules anachronismes. Une avalanche de conformisme aussi comme on la retrouve dans ces jus internationaux, normatifs, portés aux nues par des laudateurs à l'originalité contrôlée. Les mêmes qui vous expliquent que si vous n'aimez pas ça, c'est que vous êtes un con. Que vous n'avez rien compris. Comme cette odieuse prof de français qui voulait me forcer à "aimer" Sartre.
Je pense par exemple qu'on a le droit de disqualifier les vins qui puent la vanille, le pain de mie toasté ou le caramel et de décréter que les échantillons qui présentent ce type de défauts sont à classer dans la catégorie des "petits" et non des "grands". On peut même décider de noter 0/100 les vins trop denses, trop extraits, noirs: imaginez que votre palais ait été élevé au pinot noir apparemment fluet des Teurons de Beaune, au cinsault vibrant mais quasi-transparent des environs de Vacqueyras, au cot tourangeau, évanescent, et qu'on soumette à votre jugement un épais Sirop Typhon du genre de ceux que veulent ériger en principe, en archétype, certains des nouveaux maîtres de Saint-et-Millions… Vous trouverez ça vulgaire et le soi-disant grand cru que vous lirez comme un "vin de routier" se retrouvera par terre, le nez dans le ruisseau.
De la même façon (l'excuse du "Salon des Indépendants" ne justifie pas tout!), vous aurez parfaitement le droit de trouver parfaitement imbuvable, "petit", donc, un chardonnay aussi pétillant et parfumé à la pomme qu'un cidre fermier du Pays de Brocéliande. Il est parfaitement possible dans votre échelle personnelle de la grandeur de considérer que les odeurs de poulailler, d'écurie, de vinaigre sont repoussantes.
Reste que quand on "mesure" à l'aveugle, d'une façon générale, ce qui l'emporte, ce sont les traits les plus marqués, les plus épais, les plus grossiers parfois. Rarement la finesse ou l'élégance, encore moins la délicatesse. C'est le triomphe du sucre, et surtout du bois, des crus maquillés comme des bagnoles de gitans. Les Espagnols qui se sont découverts sur le tard un don pour la menuiserie me l'expliquent souvent: il n'y a pas de "grand" vin sans bois. Depuis qu'on leur a fourré dans la tête l'idée de faire du grand vin, ça a tourné à l'obsession. Et avec une débauche de moyen, méthodiquement, quasi unanimement, ils s'appliquent à fabriquer des jus de planche imbuvables. Je les préférais vraiment quand ils faisaient de "bons petits vins", domaine dans lequel ils excellaient (au grand dam de leurs concurrents).
Tout est question de critères, en fait. De grille de lecture. Et d'expérience personnelle. Pourquoi donc existerait-il un "bon goût" communément admis? Le "bon goût", notion souvent aussi ringarde que bourgeoise qui, dans l'art notamment, a engendré des catastrophes et de ridicules anachronismes. Une avalanche de conformisme aussi comme on la retrouve dans ces jus internationaux, normatifs, portés aux nues par des laudateurs à l'originalité contrôlée. Les mêmes qui vous expliquent que si vous n'aimez pas ça, c'est que vous êtes un con. Que vous n'avez rien compris. Comme cette odieuse prof de français qui voulait me forcer à "aimer" Sartre.
Je pense par exemple qu'on a le droit de disqualifier les vins qui puent la vanille, le pain de mie toasté ou le caramel et de décréter que les échantillons qui présentent ce type de défauts sont à classer dans la catégorie des "petits" et non des "grands". On peut même décider de noter 0/100 les vins trop denses, trop extraits, noirs: imaginez que votre palais ait été élevé au pinot noir apparemment fluet des Teurons de Beaune, au cinsault vibrant mais quasi-transparent des environs de Vacqueyras, au cot tourangeau, évanescent, et qu'on soumette à votre jugement un épais Sirop Typhon du genre de ceux que veulent ériger en principe, en archétype, certains des nouveaux maîtres de Saint-et-Millions… Vous trouverez ça vulgaire et le soi-disant grand cru que vous lirez comme un "vin de routier" se retrouvera par terre, le nez dans le ruisseau.
De la même façon (l'excuse du "Salon des Indépendants" ne justifie pas tout!), vous aurez parfaitement le droit de trouver parfaitement imbuvable, "petit", donc, un chardonnay aussi pétillant et parfumé à la pomme qu'un cidre fermier du Pays de Brocéliande. Il est parfaitement possible dans votre échelle personnelle de la grandeur de considérer que les odeurs de poulailler, d'écurie, de vinaigre sont repoussantes.
Comme je le dis et je le répète, soyez égoïste, in fine, le vin, c'est pour vous, pour votre gueule que vous l'achetez. Votre propre goût a davantage d'intérêt que le pseudo "bon goût" universel, lequel relève davantage de la propagande commerciale et des boniments de VRP que d'une espèce d'incontestable transcendance. À condition bien sûr que ce soit le goût qui vous intéresse, car si vous cherchez dans le vin l'acquisition de tel ou tel statut social, de telle ou telle apparence, il y a évidemment des centaines d'étiquettes qui peuvent vous l'offrir. Enfin, offrir…
Je l'avoue, la seule chose qui me convainque réellement en terme de grandeur du vin, c'est le rapport au temps.
Pas le temps au sens de l'instant, car le peu que je croie savoir par rapport au "grand vin" c'est que c'est une rencontre, un instant. "Il n'y a pas de grands vins, que de grandes bouteilles" dit-on souvent. Car, soyons honnêtes, combien de fois l'avons-nous vu nu, le roi? Combien de fois les (chères) promesses n'ont pas été tenues?
Là, je parle de la durée. De ces flacons auxquels les années confèrent une noblesse toute particulière, celle des arômes tertiaires. J'aime ce Jugement dernier de la vieille bouteille où sont mises en exergue les qualités vraies mais où les défauts, pire les péchés (souvent l'orgueil…) peuvent transparaître. J'évoquais plus haut le sur-boisage, l'élevage de bûcheron, quelle plaie quand il vient vous "fermer" la bouche vingt ans après!
Je l'avoue, la seule chose qui me convainque réellement en terme de grandeur du vin, c'est le rapport au temps.
Pas le temps au sens de l'instant, car le peu que je croie savoir par rapport au "grand vin" c'est que c'est une rencontre, un instant. "Il n'y a pas de grands vins, que de grandes bouteilles" dit-on souvent. Car, soyons honnêtes, combien de fois l'avons-nous vu nu, le roi? Combien de fois les (chères) promesses n'ont pas été tenues?
Là, je parle de la durée. De ces flacons auxquels les années confèrent une noblesse toute particulière, celle des arômes tertiaires. J'aime ce Jugement dernier de la vieille bouteille où sont mises en exergue les qualités vraies mais où les défauts, pire les péchés (souvent l'orgueil…) peuvent transparaître. J'évoquais plus haut le sur-boisage, l'élevage de bûcheron, quelle plaie quand il vient vous "fermer" la bouche vingt ans après!
J'aime ces moments d'émotions où même les morts ressuscitent. Ces vins qui tirent les larmes, profonds, calmes mais intenses. J'ai connu cette sensation il y a quelques semaines avec une bouteille de bourgueil (et j'y ai repensé grâce à Carmet). Un magnum, en fait. La grandeur de la bouteille n'est pas toujours étrangère à la grandeur du vin… C'était à Béziers, lors d'une fête-marathon organisée pour les anniversaires multiples de ce grand bougnat qu'est Philippe Catusse. La veille, nous avions beaucoup bu, de tout et de belles choses, des magnums uniquement, je conserve tout bêtement, humblement au regard de ce qui fut débouché cette nuit-là, le souvenir ému de l'irouléguy 99 de Michel Riouspeyroux et d'un vieux blanc du Roussillon d'Éric Laguerre. Et le lendemain midi, après nous être aérés dans un potager et avec quelques amuse-bouches, nous avions attaqué la daube de lièvre de la maman du bougnat. Un premier magnum nous avait mis en train, un chinon, le Clos du Chêne vert de Charles Joguet, remarquable. Et, juste après, est arrivé ce vin que l'on boit plus qu'on en parle, ce vin qu'on a envie d'appeler "grand": la Cuvée Grand Mont de Pierre-Jacques Druet, un 89. Une splendeur. C'était son heure. Et notre mérite, notre chance à nous était d'être là au bon endroit et au bon moment.
Moi c est très simple, je mesure de la façon suivante :
RépondreSupprimerbouteille vidée = grand vin
simple je vous disais ...
Oui tout à fait. Un grand vin c'est un moment de grande émotion.
RépondreSupprimerQui n'arrive pas très souvent. Je me souviens d'une énorme dégustation à Los Angeles ou plein de vins très très prestigieux étaient servis en grands formats. Bons, sans plus. Pas d'émotion. Et puis l'un d'entre eux m'a parlé. Un Bourgogne, je ne me souviens plus de son nom. Il m'a tellement bien parlé que j'ai eu du mal à me détacher du goulot, nous avons conversé toute la soirée (d'où mon trou de mémoire sans doute).
Sensations sublimes (surtout tactiles)