Le seul "viñerón" espagnol? (chapitre II)


Quand je vous ai quittés hier, nous arrivions sur ce promontoire de Monterrei d'où des hommes partirent fonder Monterrey, aujourd'hui troisième ville du Mexique. D'ici, José Luis Mateo explique le fonctionnement de son royaume ; de toutes parts, pratiquement, il possède des parcelles. Non pas que son domaine soit particulièrement étendu (il travaille vingt-quatre hectares dont moins de quinze lui appartiennent) mais il s'est attaché, depuis le début des années quatre-vingt-dix, à rechercher de vieux tènements où, selon lui, les cépages locaux et le vin qu'ils produisent expriment pleinement le terroir galicien.


Tout à commencé au pied du château de Monterrei. Derrière une pinède, une vigne en L, plantée de mencía et de tempranillo (il le regrette et va l'arracher cet arauxa comme on appelle localement le tempranillo…). Le sol hésite entre le granite et le schiste, avec quelques graves comme liant. C'est une parcelle qui fait de jolis vins à boire explique-t-il. Les connaisseurs apprécieront les piquets en granite, qu'il vaut mieux éviter de heurter durant le labour.
Il va sans dire que les vignes de José Luis Mateo sont en bio depuis belle lurette et qu'il a aussi un œil sur la lune. Ça va sans dire, d'ailleurs il n'en parle pratiquement jamais, c'est un détail pour lui, sa recherche va déjà bien au delà.


De là, on traverse le village en saluant les mamies sur le banc, sans s'étonner de voir une vache attachée à son piquet derrière une maison tel un animal de compagnie. Direction Sud-Est, sur la route du Portugal, à la Quinta de Muradella proprement dite. En bas, du sable issu du granite, en haut des schistes rougis par l'oxyde de fer, entre les deux, des argiles rouille. On comprend que les vins d'ici seront plus charnus. Commence aussi le mélange de cépage. C'est sinon un crédo au moins une envie de José Luis Mateo, essayer de revenir à des parcelles "hétéroclites", à l'ancienne, comme celles dont nous parlerons plus tard.
Il faut dire que son domaine est en soi un catalogue des variétés de l'Ouest de l'Espagne. On y trouve en blanc: de l'albariño, de la doña blanca, de la treixadura, du verdello, du monstruosa de Monterrei (aux grains énormes!), du bastardo rubio, du torrontés, du caíño blanco. Et en rouge: du bastardo, de la mencía, du caíño redondo, du caíño longo, de l'albarello (absolument délicieux), du sousón, du zamarrica (ça, tel que nous l'avons goûté, jeune, c'est vif!), du serodio, du verdello tinto, de l'arauxa, de la garnacha tintorera, du prieto picudo et du touriga nacional.


Le temps de goûter les blancs 2010 et 11 (j'ai une grosse faiblesse pour le dynamisme, la tension, pour faire chic, des 11), il faut grimper à A Gudiña manger une côte de bœuf, dans un restaurant qui ne paye pas de mine mais qui sert la viande produite par un copain de José Luis Mateo dans le village d'à côté. Le chuletón, c'est d'ailleurs l'occasion de mettre en route la machine à remonter le temps et de voir l'évolution du domaine en rouge. Visiblement, la bascule s'opère après 2004, jusque là, le bois est encore trop présent, masquant un fruit éclatant, à l'image de la cuvée Gorvia (mencía majoritaire), encore très "hispano-américaine" à cette époque-là. Dans A Trave 2006, le vin de montagne, on sent déjà se desserrer l'étreinte du chêne, ce que confirment Alanda 2008 (une vieille connaissance) ainsi que le déroutant Sousón qui vibre comme un pinot tout en rappelant certains beaux cabernets de Loire. On s'essaye au petit jeu des comparaisons, on croit voir du chenin ou du petit-manseng dans tel ou tel blanc, de l'auxerrois dans un rouge… Rien n'y fait, on est ailleurs, perdu (et heureux de l'être!) dans les immensités "exotiques" du royaume de Galice.


Voila bien la caractéristique majeure des vins de ce diable de vigneron: l'originalité. Avec lui, on est aux antipodes des médiocres copier-coller dont s'est trop longtemps contenté l'industrie vinicole espagnole au lieu de chercher à mettre en valeur ses propres atouts: les faux bordeaux du Penedes, les riesling qui tariquètent, les syrah qui sentent la banane… Les cépages sont pour José Luis Mateo un instrument de lecture du terroir, une loupe qu'il respecte, qu'il choie même mais sans jamais perdre de vue l'essentiel, l'identité de sa terre de Galice. Ça n'a pas grand chose à voir (quoique…), me vient à l'esprit ces belles phrases écrites au Portugal voisin* par Antoine de Saint-Exupéry:
"Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier quelle étoile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu."


Riches d'âme, ces vins-là incitent à la méditation. L'air est pur, on a le cœur léger, on s'amuse, chemin faisant, au sortir d'un des cinq ou six cents virages qui nous conduisent aux vignes chéries de José Luis Matéo, de doubler un taxi de Lisbonne, reconnaissable à son toit turquoise, égaré dans la montagne galicienne le temps du week-end de Pâques.
Ici, les vignes grimpent jusqu'à neuf cent mètres d'altitude. Le jeu est de convaincre les vieux du coin, qui y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux y compris quand ils ne les travaillent plus, qu'on va les aimer comme ses propres enfants. Après, il faut prendre son courage à deux mains, sa pioche aussi, son sécateur, parfois même sa scie pour donner une seconde vie à des ceps souvent centenaires, accrochés à des pentes qui dépassent souvent les 20%. Ne pas avoir peur de l'oïdium qui peut frapper même aux vendanges (le mildiou rien à craindre!), prier les Saints de Glace, y croire, croire…
Car ce sont des reliques, c'est en fait un patrimoine que sauve, pied à pied, José Luis Mateo, des petits bouts de la culture de son pays, sans faire de grands discours, sans gesticulations inutiles, avec modestie, en continuant à étancher la soif des (heureux) clients du bistrot de son frère Mirito.
En vérité, je vous le dis, cet homme est un saint.



* dans Lettre à un otage, écrit à Estoril, je crois, durant la Débâcle.


Commentaires

  1. Mais ce n'est pas un saint..c'est un Dieu. J'ai certainement mal lu, mais où sont commercialisés ces enfants du Bon Dieu.

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    1. Après une recherche sur le Web, il me semble qu'on en trouve que là en France: http://www.vinissimus.fr/fr/bodegas/index.html?id_bodega=qumu Peut-être aussi à Lavinia? Je ne sais pas… (Marie-Louise B., si tu lis ce commentaire, dis-nous, stp)

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    2. « Les riesling qui tariquètent », j'aime beaucoup !

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