Le seul "viñerón" espagnol? (chapitre I)


J'aime plus le vin que les étiquettes. Je m'intéresse davantage à la profondeur d'un jus qu'au statut social de celui qui l'a produit. La sincérité paysanne sonne mieux à mes oreilles que le vrombissement de la grosse voiture d'un bodeguero parvenu. Tout cela ne facilite pas, évidemment, ma quête du vrai vin en Espagne. La viticulture, ici, ressemble guère à ce que nous connaissons en France ou même en Italie: le vigneron, indépendant, paysan n'existe quasiment pas. Le plus souvent, on navigue entre le souvenir vivace du latifundisme et le collectivisme kolkhozien d'anciennes coopératives d'inspiration franquiste. Bref, assez loin de cette image (qui n'est pas forcément d'Épinal) du vigneron à la française, qu'il soit ligérien, bourguignon, languedocien ou provençal, ce vigneron aux belles mains terreuses.
Cette parenthèse pour dire que dans ces conditions, il est assez normal de trouver outre-Pyrénées une immense majorité de caricatures, de "grands" vins stéréotypés, marketés, fabriqués en fonction des désidératas supposés de tel ou tel marché potentiel ou des notes (honnêtes ou pas*) de tel ou tel faiseur présumé de pluie et de beau temps. À l'opposé des vins de terroir, personnels, originaux, que recherchent ceux qui ont la chance de s'être éduqués au vin autrement que dans les manuels de prêt-à-penser anglo-saxons.


Un jour, pourtant, a ciegas**, un vin espagnol m'a interpellé. D'ailleurs, sur le coup, j'ai même cru que ce n'était pas un vin espagnol. Si loin du style techno-boisé, lourdaud, qu'on voit arriver de loin, j'ai senti, j'ai touché un jus qui réellement m'a ému. Tout n'était pas parfait, tant mieux! J'y étais à l'aise. De la fraîcheur, un fruit mûr mais délicat et surtout de la profondeur, à l'inverse de ces vins décors-de-cinéma qui n'ont qu'une façade de planches à offrir et rien derrière. Cette bouteille qui vaut dans les quinze euros, c'était Alanda 2008 de José Luis Mateo.
"José Luis Mateo? C'est le seul vigneron d'Espagne!" me disait encore jeudi, au Plaça del Vi 7,  Roger Viusà, alors que je lui commandais une chopine de ce même Alanda qui en étonna plus d'un. "Le seul", c'est aujourd'hui un peu excessif alors qu'émerge dans la Péninsule une nouvelle génération, les viñeróns comme les appellent mes copains Marc et Malena de Vino Artesano, une génération plus amoureuse du vin et de la terre, plus cultivée aussi, plus ouverte au monde extérieur*** et dont l'envie et le savoir-faire commence de balayer les vieilles certitudes nourries au chêne et à la glycérine, gavées de Clos Erasmus, de Viña El Pisón et de Contador (un vin dopé?…). L'avantage, en revanche, de José Luis Mateo, c'est qu'il a commencé il y a plus de vingt ans son entreprise de reconquista du terroir, que l'on goûte aujourd'hui ce parcours et cette évolution qui concernent aussi bien la vigne (plus de bio) que la cave (moins de bois).


Rencontrer cet oiseau rare est un long voyage, une sorte de pélerinage, de Camino de Santiago vers le vieux Royaume de Galice, jusqu'au ponant, là où les jours n'en finissent pas. Il faut contourner des cimes enneigées, escalader de lourdes montagnes de granite et de schistes mangées par les bruyères et les ajoncs épineux, traverser des villages assoupis, enjamber des vallées profondes où la vigne joue les alpinistes, vaincre le vertige tout en laissant libre cours à l'exaltation.


La Quinta da Muradella est installée à Verín, dans la zone de la DO Monterrei. Vous voici à la frontière portugaise, où mitigé de galicien, l'espagnol se fait plus chuintant, plus mouillé. Les hommes sont souvent moins grands mais râblés. C'est ici dans ce carrefour celtibère de routes et de rivières, zone tellurique riche en minerais qui jaillissent du centre de la Terre, où l'on créa des cités bien avant les Romains, que José Luis Mateo commença à faire du vin, un peu "pour fuir la civilisation", aussi pour alimenter le bistrot familial que tient son frère Mirito. La visite commence inévitablement au château de Monterrei, magnifique, du haut duquel on embrasse toute la région comme on lirait une carte, où l'on commence à comprendre que le génie des vins de cet homme doux mais déterminé ne doit rien au hasard…





* à propos de note et d'honnêteté, lire sur le blog de Jim Budd les conclusions que viennent de publier les avocats de Robert Parker après leur enquête sur le scandale du Jumillagate, scandale lancé sur Vin & Cie.
** "à l'aveugle", en espagnol.
*** cette nouvelle génération compte, entre autres, Olivier Rivière en Rioja, Fredi Fresquito Torres en Priorat, le Comando G à Madrid (qui, hélas, part désormais dans une "logique de prix" ridicule) et certains viñeróns dont je dois vous parler prochainement, notamment en Bierzo. Heureusement, certains "patriarches" font de la résistance, à l'image de Víctor de la Serna avec son joli petit grenache El Signo que le goût de bois a épargné. Il faudra aussi qu'un jour je réussisse à vaincre ma pudeur pour vous parler de mon beau-frère Christophe Brunet, de son priorat humilitat et de ses projets de châteaux en Espagne…

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