Ce n'est pas de l'art, c'est juste du vin.


N'en déplaise à Michel Onfray*, le "vin-œuvre d'art" m'emmerde profondément. Ce concept m'ennuie tout autant que la lecture de La leçon d'œnologie. Presque à me couper la soif.
Le "vin-œuvre d'art", je trouve ça pompeux. Ça ne m'étonne pas d'ailleurs qu'Aimé Guibert de La Vaissière (la seule erreur de ce cher Jonathan Nossiter dans Mondovino?) se saisisse de cette imposture. Pompeux, et, j'en suis convaincu, contre-productif. Ce n'est que mon avis, mais il m'apparait avec une acuité accrue parce que je vis pour partie en Espagne. Et, ici, chez les snobs du goulot, on ne rate jamais une occasion de mettre le vin sur un piédestal, de le masterclassiser, de le théâtraliser, de le musicaliser**, de le stariser. Cette emphase m'agace. Elle m'agace d'autant plus que dans les milieux où l'on pratique ça, avec ce qu'il faut de tralala et de paillettes, on le fait généralement avec des crus plus proches d'un méchant prêt-à-porter industriel façon Zara que de Balenciaga. Et qu'au bout du compte, un peu comme ces couillons impuissants devant une femme sur laquelle ils ont trop fantasmé, on oublie l'essentiel qui est de boire***!
On m'objectera que les bouteilles de vin sont bien des œuvres d'art puisque sévissent désormais des faussaires à l'image de ce Kurniawan qui donne des sueurs froides aux salles des ventes du Monde entier. Bof… Les mecs qui font du bourgogne avec du cinsault d'Algérie ou du bordeaux avec de la syrah du Rhône, ce n'est pas très nouveau, j'ajouterais que ce n'est pas parce qu'on vend des contrefaçons de sacs Versace ou de lunettes Dolce & Gabanna qu'on va faire entrer ces horreurs au Bénézit.
Les plus triviaux, les épiciers, me parleront aussi d'argent, de cotes, de records… Est-il nécessaire que je précise une nouvelle fois ma pensée?


Sans mépris aucun pour le vin qui peut me toucher au point de me tirer les larmes des yeux, j'ai juste envie, par amour du lui, de remettre les choses à leur juste place (selon moi). Prenez par exemple ces étiquettes de Mouton-Rothschild dont on a oublié le contenu depuis longtemps comme pour mieux se souvenir du contenant. J'ai adoré, par exemple, l'à-propos new-yorkiste du 88 de Keith Haring. Mais je vénère le 76 (franchement qui en a encore quelque chose à fiche du 76 de Mouton, je veux dire du pinard qu'il y avait dans la bouteille?), même si je l'aurais préféré un peu plus noir. Parce que je suis un inconditionnel de cet "outre-noir", de ce "noir-lumière" venu des profondeurs de l'Aveyron de Soulages qui rappelle les sillons des labours dans l'argile sombre.
Les labours, l'argile, la charrue, nous y voila! Moi, je défends l'idée que le vin est un produit agricole, paysan, rural. Je n'ai cure des petits marquis (souvent de contrebande) poudrés ou des baronnes au raccroc qui exhibent leurs prétendus quartiers de noblesse comme des quartiers de viande. Et plus j'avance dans le temps, plus s'affirment mes goûts personnels, plus je me rends compte que la vibration, l'émotion, l'extase éventuellement, ce sont des "vins de la terre" qui me les procurent. Ce Braucol de Plageoles, cet Alanda de José Luis Mateo, ce Maghani 2008 (ou 97…) de Marc Valette, ce beaune-theurons de Régis Rossignol, cet Hegoxuri de Michel Riouspeyrous, etc, etc… Des vins paysans, des vins aux belles mains calleuses. Au sortir de leurs bouteilles, ils me racontent des histoires de tracteurs en panne (pas trop souvent quand même), des journées de taille par vent du Nord, des caves qui sentent le sous-bois, des filles à la bouche gourmande, de grandes colères et de beaux éclats de rire, des tablées sonores, des soirées qui voient le jour se lever.


Et ne vous méprenez, en écrivant ça, je n'enferme pas le vin dans un ghetto, je ne renie pas la créativité, l'originalité, l'audace, je crois dur comme fer aux vins d'auteurs et aux crus artisans****! Non, encore une fois, je pense juste remettre les choses à leur place. Car, bien plus que d'être une œuvre d'art, ce que je lui demande au vin, c'est d'être tout simplement humain.



* je suis d'autant plus circonspect sur le discours pinardier de Michel Onfray que j'ai vu récemment qu'il avait préfacé le livre d'un des plus grands zigotos que j'ai vu depuis longtemps.
** un des trucs qui me fatiguent le plus ce sont ces accords vin-musique devant lesquels on doit se pâmer, servis par des sommeliers qui parfois sont infoutus de vous trouver un picrate pour arroser votre steack-frites mais n'ignorent rien du mariage parfait entre le 4e mouvement de la Symphonie n°5 de Mendelssohn et le Scharzhofberger 90 d'Egon Müller.
*** Pour la énième fois il me faut vous ressortir les statistiques sur la chute catastrophique de la consommation de vin en Espagne, cinq fois moins désormais par habitant qu'en France ou en Italie.
**** qu'ils sont ballots ces Bordelais de ne pas utiliser davantage ce terme magnifique, "cru artisan"…


Commentaires

  1. Vin œuvre d'art VS cru artisan ?! Je ne vois pas ce que tu reproches à Michel Onfray (j'aime beaucoup le leçon d’œnologie), il parle justement ici d’œuvre d'art non rétinienne,mais Duchampienne, c'est à dire justement une œuvre d'art non académique et non placée sur un piédestal, ainsi une œuvre d'art désacralisé... Il me semble que vous parlez de la même chose mais que vous jouez sur les mots. ici, sur le mot œuvre d'art - que tu ne prends pas au même sens que lui... mais je n'ai peut-être pas tout saisi...

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    1. Ce que je trouve simplement, c'est que l'on peut profondément se "nourrir" de la simplicité virgilienne, paysanne, terrienne, du vin sans aller chercher des alibis; pour le laisser aller à ma trivialité naturelle, je dirais que je trouve souvent Onfray à la limite de la branlette (sur le vin). Je suis beaucoup plus impressionné par la leçon de philosophie de Michel Serres qui ne se paye pas de mots pour évoquer la langue qui parle et de la langue qui goûte. http://www.cepdivin.org/VinOeuvres/avantpropos.html

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  2. Je vous rejoins bien dans les accords vin-musique, d'ailleurs dans mon billet, je signalais mon ras-le-bol de la mode actuelle, qui veut « marier », la musique & un vin, une chanson & un vin, un livre & un vin, un film & un vin, un opéra & un vin, un discours politique & un vin, une robe & un vin, une paire de chaussures & une paire de vins, un bocal de poissons rouges et un vin ……. !!!C’est juste insensé et même insultant pour la bouteille, car « ma » bouteille va avec tout ! Avec toutes les œuvres, avec toutes les chansons, avec tous les livres !

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    1. Oui, c'est devenu, notamment en Espagne, une mode aussi ennuyeuse que ridicule.

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    2. Bonjour messieurs .Je découvre cet article et vos réactions et je me permets si vous l'acceptez de donner mon point de vue de musicien et fil de vigneron d'Aniane qui plus est .Musique et vin ce n'est pas une mode.Cela a toujours existé! Chez nous on a toujours bu du vin à table et poussé la chansonnette sorti la guitare ou le saxo au moment du dessert ...Faire du bon vin ce n'est pas donné à tous le monde à la portée du 1er venu.je pense que faire un grand vin c'est de l'art au même titre que produire de beaux chorus sur un thème de jazz pas à la portée du 1er musicien venu également .Le panard c'est d'écouter du bon jazz en dégustant un bon vin qui vous fait swinguer les papilles . C'est l'art de vivre à la Française tout simplement. A la bonne votre !

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  3. ô que je suis d'accord ! S'il y a de l'art dans le vin c'est dans l'ordre du savoir faire, mais le produit final n'est pas de l'art au sens fort !Merci merci merci ;)

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  4. "..........des filles à la bouche gourmande, de grandes colères et de beaux éclats de rire, des tablées sonores, des soirées qui voient le jour se lever."...tu ramènes en moi une nostalgie de moments vécus dans une autre vie, un passé trop inaccessible désormais....avec le temps j'ai presque fini par oublier que de tels moments puissent exister....il arrive que les images se fanent dans le lointain avec le temps qui les éloignent..... merci Vincent de les avoir ravivées l'espace d'un instant....

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