Le petit tatouage discret.


J'entretiens avec le tatouage une drôle de relation. Depuis longtemps, d'ailleurs, bien avant que les peaux branchées ne se teintent des couleurs de l'arc-en-ciel. Les plus fidèles d'entre vous se souviennent peut-être de cette nouvelle Sweet little tattoo, il y a des siècles. Elle-même, quand j'y pense, réminiscence d'une autre cheville discrètement tatouée dans la nuit provençale.
Du tatouage, il m'arrive d'aimer le résultat, ce besoin de le toucher, de le sentir, mais une grande part de l'attirance, je crois, vient de l'acte en soi, du moment du tatoueur (ou de la tatoueuse puisque ce métier désormais n'a plus de sexe). Le picotement, les aiguilles, la brûlure, le temps… La douleur et le plaisir, cette peau qui s'offre. Avec même des moments extrêmes, des sauts dans le vide, comme le glory hole dont il était question ici.


En matière de tatouage, il y a bien sûr le polychrome, le spectaculaire, ces corps qu'on visite comme une église baroque, où l'enthousiasme se mêle d'une pointe de crainte. Et puis, il y a ces petits riens, ces "accroche-cœurs pour" m'auto-plagier. Généralement monochromes, timides, réfugiés dans un repli. Des tatouages "de honteuse" diront les puristes. Peut-être. Certains pourtant me fascinent, un peu à la façon des mouches du Siècle des Lumières, comme s'ils étaient porteurs de messages discrets/secrets. Ce qu'ils sont parfois.


Bien sûr, nous voilà aux antipodes des tatouages qui désormais déterminent, annoncent, une certaine branchitude pinardière*. Rien de hipster dans ces signes cabalistiques dont la délicate boursouflure évoque davantage une cicatrice de l'âme que des démonstrations de force et des kilos de fonte. 
C'est pourtant, loin des Inrocks et du mundillo qui se croit Maître du Mondovino, c'est un vin qui m'a fait penser à eux. De ceux dont on n'exhibe pas nécessairement l'étiquette comme la dernière paire de grolles à la mode, un selfie dans une mangeoire du XIe ou une bagnole qui se la pète. C'est un gamay pourtant, un bon point quand on veut réussir à la capitale. Mais vinifié comme du vin plus que comme un soda sucré. Structuré, ma non troppo, droit comme un i.


Oudan 2012 de la bienveillante famille Sérol, à Renaison, tout au nord du département de la Loire, aux confins de l'Allier, du Rhône et de la Saône-et-Loire, marqué par le granite de cette parcelle dont le plan cadastral vient joliment tatouer l'étiquette. Un côte-roannaise qui donne envie de manger un pot-au-feu, une tête de veau, des tripes. Oui, désolé, j'ai écrit "manger", pas déguster ou je ne sais quelle connerie du genre, on est là face à un vin entier, délicat mais entier, qui ne tortille pas du cul. 
Moi, je l'ai amené en voyage à Goa, sur un curry étincelant d'épices précieuses. Il a adoré. Car autant les vins lourds alcooleux, boisés, explosent et brûlent comme de la mauvaise encre sur la cuisine indienne, autant gamay et pinot de belle extraction arrivent, sans violence mais avec fermeté, à ne pas se faire trouer la peau.


"De belle extraction", "enfant d'une agriculture respectueuse", "d'une vinification non-interventionniste", évidemment, quand le sommelier commence à vous vendre son boniment, vous pensez avec effroi à l'addition. Combien en a-t-on connu de ces vins engagés, doux comme des agneaux, destinés en fait aux comptes en banque des loups de Wall Street?
Avec les vins de chez Sérol, pas de risque! La gonflette n'est apparemment pas le style de la maison. Du côté de Roanne, si près pourtant de la Bourgogne stratosphérique** et d'un Beaujolais où certains commencent à regarder au nord, on a le vin modeste. Discret comme ces tatouages de rien, presque trop d'ailleurs. Presque trop, car, loin des fatigants, des grossiers et des fashionistas, les "petits" vins sont justement la politesse du vin.



* Le vin dans la peau, vous aviez lu ça
** Enfin, comme le souligne dans son excellente chronique Yohan Castaing, le Concorde bourguignon a connu le week-end dernier un léger trou d'air. Certains hélicoptères viennent de revenir (momentanément?) sur terre. Pour cette région qu'on aime et le vin en général, ce n'est pas plus mal.

Les images qui illustrent cette chronique proviennent de l'excellent compte Instagram Little Tattoos, courez-y, c'est ici.


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