Diabolo-betterave.


Le champagne et la Presse magazine, c'est une grande histoire d'amour. D'amour tarifé, qui n'a comme prix que le reste de crédibilité de la sus-citée (suce-citée?…). J'évoquais déjà il y a quelque temps (ici) ces sujet-verbes-compliments qui jaillissent telle l'effervescence de la bouteille à l'approche des fêtes de fin d'année. On n'est jamais déçu par la servilité journalistique tel que nous le prouve cette semaine Le Figaro Madame auquel notre jury indépendant décerne à l'unanimité le prix Bullitzer du grand-publi-reportage roteur grâce à un sublime "article" de Lætitia Cénac, grand reporter donc au service Culture du titre en question.


On y apprend que Philippe Starck non content d'avoir inventé les chaises sur lesquelles ont ne peut pas s'asseoir et le presse-citron qui ne sert à rien vient d'ajouter une nouvelle corde à son arc: le designer que le Monde entier nous envie, entre deux élégants croquis des fantasmes dorés du Golfe persique, est devenu œnologue en Champagne, chez Roederer. Oui, parce qu'avant la lecture de ce papier d'investigation, pauvres crétins que nous sommes, nous pensions que l'entreprise dont il est le nom avait juste créé l'étiquette d'une ou deux cuvées du célèbre négociant-manipulant. Que nenni! 
Le Figaro Madame nous révèle que "presque toutes les maisons de champagne sont venues [le] voir pour [qu'il leur] dessine leur bouteille, l’habillage et les verres qui l’accompagnent". Et il a "toujours refusé". En fait, il ne voulait pas "que les gens soient attirés par une belle bouteille qui contienne un produit qui ne soit pas [lui], qui ne [lui] corresponde pas", ajoutant "je ne ferais jamais le contenant si je ne faisais pas le contenu".


Alors, Starck œnologue, ça donne quoi verre en main? Là encore, heureusement, Le Figaro Madame nous éclaire. "La cuvée Brut Nature 2009 est un champagne sans dosage, sans fioritures: il est un paradoxe en équilibre. Il modernise l’héritage Roederer". Je vous repasse la langue?
De façon presqu'accessoire, il est question du sous-travail qu'à consenti à faire le désormais créateur de bulles, l'étiquette. Ce sont les génies (épaulés par "les experts") qui en parlent le mieux. "Puisque les experts jugent le produit passionnant, inutile d’en ajouter dans l’emphase. J’ai voulu l’étiquette le plus normale possible, un papier un peu arte povera. Le pitch ? L’histoire d’un homme fier de son champagne, qui ne peut pas s’offrir un grand nom pour designer l’habitacle. Alors il écrit lui-même, il s’applique… Et comme ça ne produit pas assez d’effet, il prend un Stabilo jaune et il surligne les mots importants. Idem pour la boîte… Les artifices sont inutiles". Magnifique!


Allez, tant qu'à se moquer un peu de l'actualité du diabolo-betterave, lisez justement ce plaidoyer de David Cobbold, l'ancien directeur commercial France de Veuve Clicquot devenu journaliste à BFM, en faveur dosage du champagne. L'Anglais des 5 du vin pourfend sans les nommer, les bobos coupables d'avoir lancé la mode "stupide" de l'extra-brut.
Ben, tant pis si je passe pour un hipster, mais ne possédant pas un palais éduqué, formaté au sucre, ayant eu la chance de voir la table familiale dépourvue de Caca-Cola, Nutella et autre ketchup, ma bulle, je la préfère nette et sans bavure. Parce que j'aime avant tout le vin, et qu'il semble qu'entre la chaptalisation (pas chez les bons évidemment!), la liqueur de tirage, le champagne n'a pas besoin d'une nouvelle rencontre avec le sucre* sous forme de liqueur d'expédition. C'est juste mon "opinion personnelle" (comme celle de David Cobbold est personnelle), mon goût (aussi peu universel que celui de David Cobbold), je n'entends pas l'imposer aux autres, mais il me semble pouvoir le défendre sans passer pour un "snob", ou pire un défenseur de "la dictature du faible dosage". Par pitié, David, laissons les dictatures et les dictateurs où ils sont, l'un des plus célèbres d'entre eux nous à quittés ce week-end, raison de plus pour sabrer le champagne en paix, et dans la tolérance! Désolé, d'ailleurs, nous ne le faisons pas avec une bouteille qui combat "les idées reçues" en poussant un caddie, avec une bouteille bien sucrée, mais avec une cuvée de vigneron, que j'adore (bobo un jour…) et dont l'intitulé me semble parfaitement adapté à la circonstance.


Pour revenir à un style de champagne qui correspond davantage aux papilles de notre five du vin, j'en profite pour vous faire rire avec ces images en provenance de Londres, comme un hommage à Joanna Lumley dans Ab'Fab' (qui elle justement carbure à la Veuve Clito). Vous vous souvenez du frigo des deux héroïnes de la géniale série de la BBC, et de leur réfrigérateur intégralement rempli de bouteilles de champagne?


Eh bien, Moët & Chandon fait encore mieux avec un distributeur automatique, sur le modèle de ceux de sodas américains. L'objet avait été inauguré pour Noël à Selfridges et vient de faire  sa première sortie à l'occasion du lancement d'un bar de Leicester Square. Un bras robotisé y délivre sans les secouer des fillettes de deux-cents millilitres, éventuellement décorée (pour un supplément de kitsch) de cristaux Zwarovski. Bref, voilà le champagne industriel confirmé en tant que bière des riches.


Pour finir sur une note positive après cette avalanche de caricatures, j'en profite pour vous glisser une ou deux marques de bulles pour arroser votre fin d'année (oui, David, ceux qui payent le champagne le réservent généralement à des occasions festives, parce que c'est cher, le champagne, très cher***). Le Vouette & Sorbée castriste évoqué plus haut, bien sûr, Francis Boulard, sa fille et leurs Rachais, Pierre Péters dont je trouve la finesse, le côté aérien, exemplaires (évoqué ici), Jérôme Prévost et ses tendres Béguines, Françoise Bedel pour l'ensemble de son œuvre, Emmanuel Brochet pour son exquis 1er cru Mont Benoît tranchant comme un rasoir, Selosse pour les amateurs de marques coûteuses… Et bien sûr d'autres bulles, délicieuses, de Limoux, la Joséphine de Gilles Azam ou les belles cuvées de Jean-Louis Denois. J'y ajoute cette année une bulle espagnole; eh oui, au pays du mousseux bas-de-gamme qui donne l'impression le lendemain d'avoir passé la nuit à entrer en mêlée contre les Springboks, il existe des exceptions. Et celle-ci est vraiment exceptionnelle puisqu'il s'agit d'un cava**** auquel, plutôt que du sucre, de la liqueur d'expédition, on a ajouté soit de l'amontillado, du palo cortado, soit de la manzanilla et/ou de la manzanilla pasada. Cette bulle issue suivant les cuvées, Extra-Brut ou Reserva Extra-Brut, de xarello ou de chardonnay, prend ainsi un délicieux petit côté rancio qui donne franchement envie d'y retourner. Issu des vignes de la maison Colet, en Penedés, il est marié aux andalouseries d'Equipo Navazos dont je vous parlais encore récemment. Un vin vraiment original, plutôt bon marché si on le compare au champagne (moins de vingt euros la bouteille l'Extra-Brut). Je pense même que ce sera la vin du réveillon SECRETo de Nouvel An que je suis en train de préparer à Barcelone.




* Soyons honnêtes, on peut aussi arrondir les angles du champagne à la canne à sucre. Petit mémo proposé ici par Francis Boulard dont justement (snob un jour…) j'adore les cuvées tendues comme un string sur Copacabana.
** Puisqu'on en parle, j'en profite pour lancer une bouteille (de champagne) à la mer, un message personnel destiné aux cavistes toulousains: mon docteur a besoin au plus vite d'un magnum de Fidèle pour célébrer un évènement heureux. Qu'on se le dise!
*** Et non seulement c'est cher, mais en plus ça a tendance à augmenter très régulièrement, une ou deux fois par an.Ce qui finit par faire cher de la limonade…
**** Pour d'obscures raisons réglementaires, il n'a pas le droit à l'appellation cava. Mais franchement quand on voit l'énorme masse de merdes qui portent ce nom, c'est plutôt mieux!



Commentaires

  1. En Crémant aussi, le non dosé a son succès. Comme la cuvée Abel de chez Lateyron, à Montagne-Saint-Emilion. Pour 13€ ttc départ cave, c'est un rapport qualité-prix très bien positionné.

    Comme toi, je trouve que cette tendance a franchement du bon. Le dosage de liqueur est tellement difficile. Il est courant de tomber dans le "sucraillon", comme écrit Jacques Dupont.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Du crémant-de-bordeaux ! Depuis combien de siècles n'ai-je pas bu ça ?

      Supprimer
    2. Et Christophe a raison, Lionel Lateyron propose de magnifiques Crémants de Bordeaux ! Sans oublier sa bulle de Talmont en Gironde, en Charentes...des bulles nettes, pures...un poil strictes, comme on les aime, je crois ,-)

      Supprimer
    3. Un poil strict, en matière de bulles, ça me parle!

      Supprimer
  2. Pas encore lu en détail le supplément du Monde daté de demain consacré aux champagnes, mais ça aussi ça m'a l'air d'être collector...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés