Gaillac, les œnologues et la Nature.


Gaillac est une très jolie petite ville. Était? Je me souviens quand nous l'abordions autrefois, par la nationale 88 (avant qu'elle ne soit déclassée elle aussi) et ses longs alignements de platanes d'Orient. Il se dégageait une espèce de sensation de sérénité de cette plaine du Tarn qu'elle traversait, ses cultures maraîchères et fruitières, et plus loin, plus haut, sur les premières côtes, à leur place, les vignes, dont certaines grâce auxquelles je fis mes gammes
J'écris "était" parce qu'aujourd'hui, pour aborder Gaillac, il faut franchir une haie de déshonneur de hangars bariolés, un bidonville commercial, comme une couronne de verrues. Seule est épargnée, je crois, la petite route qui déboule, par Brens, de l'autoroute. Même depuis le beau chemin de Sainte-Cécile-des-Vignes (quel enchantement ce nom et et ce lieu!), on doit se goinfrer l'apocalyptique ZAD (Zone À Détruire) de Roumagnac, son McDo, son Leclerc et sa Pataterie, probablement installés là pour signaler au touriste le patrimoine gastronomique de cette vieille cité vinicole.


Cette chronique, toute de colère froide, je ne l'écris pas pour vous parler d'urbanisme commercial, de cette "France moche" qu'ont laissée faire nos élus, et que nous consommateurs avons fait croître et embellir en poussant des caddies. Juste parce qu'il me semble que, de la même façon que les plus jolies de nos bourgades, au cœur de nos campagnes, se laissent déposséder de leur âme, de leur identité, par ces hideuses zones commerciales, les AOP qu'elle hébergent le font avec les organismes chargés de contrôler à leur place la "qualité" des vins qui les revendiquent.
Ce matin, je vous parle d'un vin de cœur, d'un vin profondément inscrit dans mon histoire personnelle: le Mauzac Nature de la famille Plageoles. Par un courrier de l'entreprise Qualisud, le "juge de paix" qui règne sur l'appellation Gaillac, ces vignerons émérites ont appris que leur 2014 était, je cite, "insuffisant, amer, réduit". Et que par conséquent leur "picrate" était déclassé, qu'il n'avait plus le droit de porter la mention Gaillac sur son étiquette. Or, en dégustation de contrôle interne, au sein de l'AOP, il y a un an, le six mai 2015, ce vin avait été parfaitement agréé. C'était sans compter sur le zèle de Qualisud*


Le problème, somme toute assez comique, de cette affaire, c'est que les étiquettes de ce Mauzac Nature 2014 sont depuis bien longtemps posées sur les bouteilles. Et que ces bouteilles depuis bien longtemps sont dispersées sur toute la surface de la Terre. Très concrètement, sur vingt-cinq-mille Mauzac Nature produits sur le millésime concerné, vingt-quatre-mille-cinq-cents ont quitté le chai de Cahuzac-sur-Vère. Les restantes, quant à elles sont pré-vendues**…


Chaque année à Gaillac, ce vin effervescent, produit en méthode ancestrale gaillacoise, le plus simplement du monde, est comme un baromètre du millésime. Plus doux une année, plus sec celle d'après. Il raconte le raisin, le terroir, le climat, de façon transparente. Il est aussi le symbole du renouveau d'une appellation qui sans la formidable énergie, la belle intelligence des Plageoles et de quelques (rares) autres, était peut-être condamnée à disparaître, ou au mieux à alimenter le rayon du bas du coin pinard des pousse-caddies sus-cités.
Quelque part, je me dis que le fait de le marquer du sceau de l'infamie a du susciter chez les vétilleux œnologues et assimilés de Qualisud, un très léger début d'érection. Allez, une demi-molle. On peut les comprendre, ça ne doit pas leur arriver si souvent, surtout avec les daubes de coopérative qui trop souvent leur passent sous le nez… Cependant, j'ai envie de leur offrir un petit extrait d'un livre écrit il y a une quinzaine d'année, dans lequel justement j'évoquais le Mauzac Nature***. Là, il s'agit de quelques phrases tirées du prologue parlant de leur corporation:
"Que dire aussi de l’œnologue qui — si il reste dogmatique — entretient avec la jouissance les
mêmes liens distendus que le gynécologue avec l’amour ; certes, l’un et l’autre sont utiles, parfois
même indispensables, pour guérir les véroles qui s’attaquent au sexe comme à la barrique mais, n’empêtrons pas la vie et l’action dans la technique et la technologie. Cessons de céder à la triste tyrannie de ceux qui, à trop vouloir disséquer le plaisir, risquent de nous en priver."


Pour le reste, tant qu'à contrôler, en vue d'améliorer la qualité des vins, je ne saurais trop leur conseiller de quitter leur salle de dégustation clinique et d'aller mettre les pieds dans la terre des vignes. Parce que le vin, ça ne se fait pas que dans des laboratoires et des usines, ce n'est pas uniquement destiné à abreuver la "France moche". Et de voir ce que certains (sûrement victimes d'un coup de sécheresse brutal et ultra-localisé) osent encore faire à Gaillac en ce printemps 2016. La photo de cette parcelle a été prise ce matin.
Messieurs les bec-de-zincs de Qualisud, au lieu de vous faire mousser avec le Mauzac Nature, attaquez-vous aux vrais dossiers. Défendez les appellations de ceux qui les détruisent au lieu de vous en prendre à ceux grâce auxquelles elles existent encore.
Et vous, vignerons, reprenez votre destin en mains.




* Un système et un zèle que j'évoquais notamment ici.
** Pour autant, les Plageoles ne vont pas baisser les bras, et, pour le principe, vont épuiser toutes les possibilités de recours. Hors de question de fuire cette appellation dont, je le répète, ils sont le symbole du renouveau.
*** D'amour & de Vin, aux éditions de la Presqu'Île.  La nouvelle consacrée au Mauzac Nature était intitulée Une bouche propre.











Commentaires

  1. Si Sainte Cécile fût par le par le passé "des vignes"(des fraises aussi) ,ce n'est plus aujourd'hui qu'un rond point et des friches ....
    Et pour ceux qui m'accuseraient d'être un peu trop mauvaise langue,je m'inflige par avance deux pater et trois "Avès" ...

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    1. Oui, c'est exact, c'est son vrai nom, mais ça lui va tellement bien, et fait écho à une autre.
      Pour le reste, je suis d'accord, quel plaisir c'était d'y arriver depuis le chemin Toulee ou Montauban avant les travaux "d'embellissement"…

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  2. Vincent , je reste fan de tes billets même quand tu es de mauvaise humeur et pourtant je ne suis qu' un oenologue de coopérative , devant son petit mac ;
    PS : Rols à Conques, vous avez goûté ?

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  3. En parlant de pousse-caddie, sur la route du Gers, entre Colomiers et Léguevin, il y a un projet que tu vas a-do-rer Vincent. Cela s'appelle Val Tolosa...
    http://www.valtolosa.com/
    Rols, des choses intéressantes dans mon souvenir.

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  4. Voilà, voilà, voilà...
    http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/04/22/pesticides-bruxelles-va-proposer-une-reautorisation-du-glyphosate-pour-dix-ans_4907043_3244.html
    Sans commentaire.

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    1. Les Allemands font le forcing pour le glyphosate.
      C'est grave.

      Tom B.

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