L'Europe est (parfois) bonne pâte.


En Europe, en France notamment, on a donné des AOP et des IGP* à tant de vignobles qu'on se dit que, désormais, il suffit de planter une ou deux rangées de ceps dans son jardin** pour obtenir un de ces fameux labels officiels censés célébrer le terroir. Oui, je précise bien "censés" entre guillemets appuyés, parce que le système est devenu sénile. Est-ce la faute de l'État, de l'INAO***, des notables locaux, des collusions, de l'inculture, de la paresse? Sûrement un peu de tout ça. Cette sénilité, j'en ai encore eu la preuve la semaine dernière dans le Sud-Ouest avec l'exemple d'un vigneron qui s'est fait rejeter son superbe rosé (quasiment pré-vendu) au motif que selon les experts éventuellement anisés du désopilant comité de dégustation, il était réduit. Il est vrai que leur référentiel, c'est le "rosé de piscine" de la coopé locale, tellement amylique qu'il efface à jamais le souvenir de votre premier patin à une petite Anglaise ayant abusé de bonbons chimiques. Donc…


Mais, c'est d'autres levures dont je veux vous entretenir aujourd'hui, celles du pain. Parce qu'alors que j'étais en panne de mie de qualité****, j'ai du me résoudre à en acheter dans le quartier, à Barcelone. Et là, que ne fut ma surprise, dans la boulangerie la moins médiocre de Poblenou, de me voir proposer une miche IGP. Eh oui, du pain sanctifié par une Indication Géographique Protégée. Fichtre! Je ne savais pas que ça existait*****, et encore moins dans cette région où le pain est une horreur absolue (seul le pa de coca sauve la mise).
Je paye, on me tend l'objet, soigneusement emballé dans une poche en papier bruyamment estampillée  IGP et je m'en vais le goûter a la casa.
La miche en question n'est pas moche, apte en tout cas a séduire un citadin barcelonais. Pas trop d'odeur ni de poids. Je la tranche, la mie est blanche vraiment blanche (comme un cul dit-on dans le Midi), sèche, pas élastique pour un sou. Au goût, c'est fadasse, vaguement sucré sur la fin (ce qui est normal en Espamérique, terre d'élection de Caca-Cola). Bref, tout ça, malgré son joli emballage en papier Kraft pue à cent mètres la farine d'origine parfaitement incontrôlée. 


De fait, le décret, flou comme une photo de Guillaume Rivière******, le confirme: le pur pa de pagès catala IGP, ça se fait de la façon qu'on veut, avec la farine qu'on veut, peu importe qu'elle débarque du bout du Monde. L'eau en revanche est sûrement identitaire, chlorée à souhait. Bref, c'est pas du pain, juste de la politique de merde.
J'imagine, au moulin de Cucugnan, la gueule du père Feuillas devant ce joli foutage de gueule, cautionné par un label officiel. Peut-être même aurait-il sorti le fusil? C'est là en tout cas que l'on se dit que l'Europe est bonne pâte. En tout cas avec ceux qui parlent fort, savent larmoyer et monter des dossiers tordus. 




* Appellation d'Origine Protégée, ce qui a remplacé les AOC, Appellations d'Origine Contrôlée, et Indication Géographique Protégée, remplaçante des Vins de Pays d'antan.
** Là, évidemment (private joke), je vise une des grandes gueules du PAF (Pinard Alternatif Français), Bruno Besson, caviste excentrique et excentré, excentrique parce que c'est sa nature, excentré puisqu'il tient boutique en banlieue, à l'enseigne des Cépages d'Ermont, dans la localité éponyme, chef-lieu de canton du Val d'Oise. Au delà du périphérique, donc, ce qui le prive de la visite de la volaille qui croit faire l'opinion liquide. Si je vous parle de cet élégant bipède, c'est parce qu'au lieu de creuser une piscine pour sa famille, il a effectivement planté quelques règes dans son jardin avec lesquelles il s'est lancé d'une série d'expériences qui modifieront peut-être la face du vin. Toujours est-il que ne s'est pas contenté d'en parler, il l'a fait, renouant avec la vieille tradition du piccolo d'Île-de-France.
*** Institut National des Appellations d'Origine, institution un rien poussiéreuse qui nous prouve sinon la différence entre les belles et les bonnes idées, au moins la problématique du facteur humain. 
**** À Barcelone, les adresses recommandables sont rarissimes: Baluard (dont je vous ai parlé ici) et un petit nouveau, le Forn de Pa (photo tout au début de cette chronique), au 112 de la calle Rosselló; j'ai goûté ce dernier au salon Vins Nus qui se déroulait il y a peu, un gros concurrent pour Baluard!
***** Renseignements pris, il existe effectivement de très rares IGP de pain en Europe. Un autre espagnol vers Grenade, à Alfacar, celui de Ferrare en Italie et un extra-communautaire, suisse, très rigoureux (comme il se doit) sur l'origine des farines, en Valais. À celà s'ajoute un pain d'épeautre de Haute-Provence souvent bio, mais à ma connaissance, c'est la céréale qui est IGP, pas le produit fini.
****** Guillaume, c'est de l'humour! Guillaume Rivière, chers lecteurs, est (pour ceux qui ne le connaissent pas encore) un copain et surtout un photographe de grand talent qui a beaucoup travaillé sur le flou. Il est impératif d'aller admirer son travail sur son site.







Commentaires

  1. L'IGP du Comté Tolosan par exemple, est une merveille du genre. Cela va du Béarn au Cantal. Un gamay aurillacois ou un tannat d'Oloron Sainte Marie, du pareil au même qu'on vous dit...

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    1. VIN DE FRANCE à part qu'on ne peut pas dépasser 15 vol % (pq?) , on vous fout la paix.

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    2. Sauf que Vin de France, il y a des marchés où ça "ne le fait pas".

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    3. Tu as raison, Vincent. Toutefois, c'est comme la capsule à vis, cela sert de fausse barbe aux gens à moitié convaincus qui ne veulent/peuvent pas te le dire en face. Dans certains restaurants, leur SEUL problème est celui du classement sur la carte. Ils rangent leur sélection par "provenance", ce qui est très logique, note, et alors .... Marie Laurens (voir http://coumemajou.jimdo.com/2015/03/13/devant-le-cenotaphe/) m'a avoué un jour, à propos de "La Loute" que "C'est dommage de gommer la notion d'endroit". Et elle n'a pas tort. Mais la CE précise: provenant d'un côté escarpé d'Estagel et je pense que ceci contient plus d'info que si j'avais revendiqué "Côtes Catalanes" (la mer est à 30 km, au plus court) ou, pire encore, "Pays d'Oc". Tu sais que le "Rivesaltes", qui n'est pas un VdP mais une AOP à part entière, peut provenir du Boulou ou de Banyuls, là au bout, mais aussi de Tuchan ou Fitou (autre département) et presque de Quillan, Cette fameuse Loute - un peu grâce à toi - je la vends largement aussi facilement que ma Cuvée du Casot, au même prpix, aussi bonne (je pense), aussi rare et en AOP "Villages".

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    4. Oui, mais je le répète, il y a des marchés où ça "ne le fait pas". Surtout quand on a quelques dizaines de milliers de bouteilles à vendre.
      Qui plus est il est incroyable qu'on sorte de ce qui doit être l'excellence du vin français des types qui sont ceux qui se battent le plus pour cette excellence, ce qui est le cas du vigneron que j'évoque ici.
      Et attention, ne tombons pas dans les clichés, cette exclusion de l'AOC pour des motifs fallacieux, elle ne concerne pas que des hippies chevelus, le cas s'est posé à Bordeaux par exemple, à Fontenil, avec Dany et Michel Rolland.

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