Le vin "normal".


Quand on lit les journaux, et de plus en plus, on a l'impression qu'il y a finalement très peu de vignerons dans le Monde. Par opportunisme, nécessité économique ou besoin de surfer sur les modes, le lecteur retombe assez systématiquement sur les mêmes vin. Et le winista (néologisme personnel calqué sur foodista ou fashionista), en mal de "réassurance", voit son univers liquide se réduire au grand maximum à une cinquantaine d'étiquettes, reconnaissables de loin si possible.
Heureusement, il y a le buveur "normal" pour lequel le fait de déboucher tel ou tel cru n'est pas synonyme d'exhibition sociale. Il laisse ce rôle à la Béhème, à la fringue, ou bien, gagné par la sagesse, s'en dispense purement et simplement et vit sans se soucier du regard des autres.


J'étais hier, sur les docks de Londres, dans une foire du vin "normal" (celui que boit généralement le buveur "normal"), au tasting annuel de Matthew Clarke. Le genre d'endroit qui a toutes les chances de faire fuir les winistas, voire même leur faire pousser des cris d'orfraie, a minima susciter d'ostentatoires moues de dégoût. 
Des bouteilles, il y en avait, comme il se doit, de la Terre entière, et le pavillon français (malgré sa pré-éminence commerciale) faisait bien riquiqui à côté d'autres, tels les Espagnols et les représentants du Nouveau-Monde, venus en force. Faute de temps, je me suis contenté de goûter une poignée de vins tricolores, produits par des vignerons indépendants.


D'abord, j'ai joué au président "normal". Si, si, vous savez, il y a quelques jours au Salon de l'Agriculture, "la petite bombe", et tout et tout… Très gentiment, on m'a tendu un verre de bergerac. Du bergerac, pas du montravel comme le président. On n'en boit pas très souvent, du bergerac dans les milieux branchés, moins que du côtes-du-jura ou du vin-de-france de Loire en tout cas.


Le nez était extraordinaire! Un concentré de truffe noire, un hommage inouï au Périgord, suivie d'une bouge structurée mais gourmande, longue. Je me voyais déjà à table devant un beau poulet de ferme farci, au jus sombre. Ce T de Thénac 2009, produit aux confins de la Dordogne, de la Gironde et du Lot-et-Garonne, était parfait. Et me prouvait que les buveurs "normaux" n'ont pas nécessairement un goût de chiottes car ce joli jus (dont je mettrais bien une caisse ou deux en cave) fait un tabac au Royaume-Uni. Et ils sont plus malins que les snobs, car ce délice coûte moins de 10€ TTC…
Dans le même ordre d'idée, je me suis régalé du Clos de Reynon, un second vin de la famille Dubourdieu à Bordeaux, un merlot chocolaté, mûr al dente, et d'un charmant côte-de-bourg dont j'ai oublié le nom.


Pour faire bonne mesure, je suis allé plus à l'est, en Languedoc. Direction les Corbières, la belle endormie de cette région où malgré une production pléthorique (mais principalement kolkhozienne), on tarde à voir débarquer des jus équivalents à ceux d'autres appellations sudistes. 
C'est un grenache qu'on me propose. Au passage, le nom est superbe: Les mains sur les hanches. Et le vin aérien, malin, un rouge vinifié pour partie en rosé afin de le rendre plus digeste, bref, un grenache qui cinsaulte. Le domaine, Sainte-Marie-des-Crozes, installé sur les contreforts de la Montagne d'Alaric, à Douzens a achevé sa conversion en bio et propose aussi en vin de pays un cabernet-franc qui me va bien au teint, qui en tout cas goûtait très bien en bord de Tamise. Il fait partie, comme les Anglais des Clos perdus ou Rémi Jaillet à Villesèque de ces vignerons qui ont désormais pris le pouvoir en Corbières, ringardisant au passage, de la vigne au chai, les vieilles stars d'hier.


Dans ce monde du vin "normal", on fait aussi de belle rencontres, celle par exemple de Cyril Laudet. Avec son épouse, il a repris le domaine familial, Laballe, à la frontière des Landes et du Gers, à Parleboscq, sur le terroir mythique de l'armagnac, celui où ils sont les plus fins. Il en tire quelques jolis rouges et blancs de soif, et à la suite de son grand-père s'est pris de passion pour la distillation. 
On ne le sait pas trop, mais des jeunes qui s'installent pour produire de l'armagnac, c'est devenu rare. Malheureusement! Lui a du désir, de l'amour et de l'ambition. Il connaît son pays et veut lui redonner son lustre d'antan, tout en travaillant en bonne intelligence avec ses voisins. En tant qu'amoureux de l'eau ardente*, moi qui réserve le cognac à la cuisine (humour gascon…), j'applaudis des deux mains.


Bien fait d'aller au pays du vin "normal", moi, je ne regrette pas ma visite. Entre deux food-trucks dont un recouvert de ray-grass, j'ai même mangé du steak de chevreuil écossais cuisiné à la plantxa par un gaillard en kilt, copain de Madonna, avec lequel on a trinqué au mourvèdre du minervois. Oui, je sais, c'est bizarre. Mais même le vin "normal" peut rendre bizarre…




*Je vous avais parlé ici d'un de ses grands voisins.



Commentaires

  1. Comme ça fait plaisir de vous voir parler du Domaine Laballe ! Cyril Laudet se bouge énormément pour faire vivre l'héritage familial.
    Pour les futurs estivants de la Côte landaise, il a ouvert une boutique à Capbreton (ville collée à Hossegor pour que les parisiens situent davantage ou à 40kms de Biarritz pour être encore plus précis.....)
    Médéric

    RépondreSupprimer
  2. Thénac est excellent, et ce n'est pas nouveau. Je me souviens d'un temps où je devais arracher mes collaboratrices des bras de Ludwig Vanneron pendant les primeurs à La Dominique : elles n'arrivaient pas à lâcher son blanc !
    Je suis attristé d'apprendre que la situation économique est délicate et le turn-over révélateur d'un manque de stabilité.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chateau Thénac6 mars 2015 à 14:31

      Bonjour dirpauillac, de quels situations économiques et turn-over parlez-vous?

      Supprimer
  3. Chateau Thénac6 mars 2015 à 14:25

    Un beau commentaire sur le T de Château Thénac, comme quoi il faut se méfier de ses voisins de table même à Londres. Dans tous les cas, nous découvrons un blog extraordinaire. Je ne suis pas étonné de la collaboration avec Castelmaure. En un mot : Bravo!

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés