Snobisme gastronomique: la boucle est bouclée.


Aujourd'hui, c'est officiel! Champagne, pardon, bière industrielle pour tout le monde! Ferran Adrià et ses souteneurs ont gagné. Avec lui, d'une certaine façon, tous ses suiveurs, les cuistots créatifs, tecnoemocionals, moléculaires, french bistronomiques, je vous en passe et des meilleures. Mais les grands vainqueurs sont surtout les multinationales de la malbouffe, Nestlé & Cie, les fabricants d'arômes industriels, Monsanto, les tenants d'une agriculture sans paysans, leurs commanditaires de la grande distribution.


C'est d'ailleurs une chaîne de supermarchés qui a fait la démonstration de cette éclatante victoire, pas n'importe laquelle, celle qui symbolise le prix plus bas que bas, le hard-discount, tellement hard pour toutes les valeurs, toute la culture, tout les paysages que l'agriculture a apporté à notre vieille Terre. C'est Lidl donc qui a prouvé que le goût, c'était fini. Que grâce à la poudre de perlimpinpin, à l'azote, aux falbalas, aux mariconadas comme on dit en Espagne, le "produit", le bon produit, le produit noble, d'origine, avec une âme, une réalité sociale, que le produit est mort.


La filiale suédoise de Lidl vient de réussir un coup génial que raconte cette excroissance du journal Le Monde. Épaulé par une agence de com', l'entreprise a, "dans le plus grand anonymat", ouvert un restaurant provisoire, un pop-up comme on dit, baptisé Dill (l'anagramme de Lidl). Aux manettes, un chef, Michael Wignall, deux macarons en Angleterre. C'est lui, dont la Presse britannique loue la modernité (comprenez qu'il est moléculaire), qui a collaboré (le mot n'est pas innocent) à ce beau projet. Il a donc mis au point un de ces fameux menus-dégustation de merde, ceux dont cette même modernité a le secret pour brouiller les pistes et où ce qu'on est sensé ingurgiter ne ressemble plus à rien. Car la grande supercherie, c'est que tous les plats gastronomiques, graphiques, artistiques du Dill étaient préparés avec de la matière première de chez Lidl.


Évidemment, il fallait un cadre à tout cela, un ancien immeuble portuaire au numéro 19 de Katarinavägen, dans un quartier légèrement excentré, tendance docks, gentiment alternatif, face à l'île du (superbe) Musée d'Art moderne. Là, on a inventé un décor. Très "brut", of course. Une ambiance de happening très jeune, très frais, du foin dans la salle, des musiciens, la sobriété scandinave. Une cuisine ouverte, qui se donne en spectacle: "la transparence, vous comprenez?" Des assiettes très épurées, très minimalistes, très graphiques, très "intellos": "enfin, on n'est au restaurant pour manger, il faut se nourrir l'ââââme…" Il n'y a pas grand chose à raconter, les images environnantes, embarquées sur le site de l'agence organisatrice racontent ça mieux que des mots.


Comme vous pouvez l'imaginer, avec ce qu'il faut de com', de tam-tam, de graissage de pattes, de sourires entendus, de snobisme et de panurgisme, "la volaille qui fait l'opinion"*, jeunes filles maigres et barbus tatoués, a accouru au Dill. C'était the place to be. On s'est extasié, bruyamment, dans les journaux, les blogs, sur Facebook, sur Twitter sur la qualité de l'expérience. "Mais enfin, ma chère, tu n'y as pas encore dîné?"


On me dira que tout cela s'est passé à Stockholm, en Scandinavie une région où quoi qu'en disent les foodistas, la malbouffe a fait son travail de lobotomie du goût. Mon mauvais esprit me laisse penser que ça aurait pu marcher à Paris ou ailleurs. Face à n'importe quel public formaté aux petits pots, au Nutella et au Coca-Cola, face à n'importe quelle clientèle sans véritable bibliothèque gustative, avide de nouveauté, adepte du zapping. Face, pardonnez-moi, à n'importe quels petits crétins incultes qui se réjouiraient qu'on leur pisse ou qu'on leur chie dans la gueule, pourvu que ce soit là où il faut être vu.
 

C'est en tout cas, je je le répète une immense victoire pour l'empire de la malbouffe. À défaut de détenir déjà le monopole de l'approvisionnement alimentaire, il approche à grand pas, grâce à la collaboration de beaucoup, du monopole du goût. Le lavage de cerveau, le lavage de palais suit son cours. Bravo, Lidl! Bravo à tous! Le Roi est nu, la boucle est bouclée.



*Celle-la même sûrement qui courait en Angleterre pour aller s'extasier devant le restaurant qui n'existait pas

PS: je n'ai pas réussi à trouver d'informations sur la carte des vins, une seule certitude, monopole suédois oblige, les bouteilles ne pouvaient pas provenir de Lidl. C'est bien dommage, ça aurait sans aucun doute constitué un fantastique accord de terroir avec de la bouffe de zone industrielle.



Commentaires

  1. Hello Vincent, si ce dill semble être en effet une parodie méprisante de ce que la gastronomie recèle de meilleur, on ne peut pas en dire autant de Ferran Adria. Dans son hacienda près de Séville tout est réalisé autour du produit, il n'y a que le produit, le produit pur (thon, bellota, fèves) ou le produit sublimé par le produit (olives), de l'authentique, de l'exquis.

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    1. Ferran Adrià, comme chacun sait est le plus grand défenseur du produit et du terroir que la Terre connaisse. La preuve, il a même préfacé le livre de recettes "Kilomètre zéro" de l'antenne régionale de Slow Food en Catalogne! (j'en parlais ici: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/11/jorg-zipprick-pour-une-cuisine-nature.html)

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    2. Non mais au risque de passer pour une andouille, le produit, rien que le produit, sublimé par le produit... Et la cuisine dans tout ça ? C'est bien joli cette cuisine d'assemblage de bon produits, mais on peut quasiment faire ça à la maison. Perso je vais aussi au resto pour des plats que je ne saurais faire pour cause de difficulté/technicité

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    3. Si manger de la merde ne vous dérange pas, libre à vous. Moi, ça me pose problème, et ça m'importe plus que les falbalas. Au delà même de la table, d'ailleurs.

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    4. Heuu, je ne disais pas que le produit n'importe pas, très loin de moi cette idée, d'autant plus que je suis exigeante sur les produit que j'achète et ne consomme aucun rien de pré-cuisiné. Mais je suis un peu agacée par cette tendance on ne cuisine pas le produit, on assemble quelques bon produits et on les assaisonne très peu, avec le crtique gestro qui se tape le cul par terre du poulet cuit à la perfection que c'est extraordinaire. Encore heureux que le gars dont c'est le métier cuise bien un poulet. D'un cuisiner, j'attends aussi une préparation que je ne saurais ni imaginer ni faire, des associations auxquelles je n'aurais pas pensé, des textures, des plasts qui requièrent un savoir-faire
      Je garde mon côté ringard, mais le bellota... je les mange chez moi, je ne vois pas l'intérêt de payer la marge du restaurateur sur un produit brut (mon porte monnaie reste limité). C'est un peu comme les huitres, les N°1 Utah beach, autant les commander chez le poissonier.

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  2. Bon ben peut-être qu'ils ont au moins bu de bonnes bouteilles !?
    Nous aurons d'autres surprises .....Le chef vous sert un menu avec que des ingrédients sortis des poubelles; un menu du jour 100% petits pots bébé arrangés; déjà qu'on mange parfois des frites à l'huile de moteur :-) !!

    Merci Vincent pour tes textes toujours "pointus" :-)

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  3. Rappelons que "Dill(e)" dans les pays germaniques (donc en Belgique aussi, pour les 2/3) et scandinaves, signifie l'aneth. Il n'y a d'ailleurs que des âne(th)s pour tomber dans ce piège et des an(alphab)êt(hes) pour y persévérer. On m'a raconté - de source sûre - qu'un resto (pluri-étoilé) apportait un dessert dans une assiette dont le couvercle était suspendu à un ballon gonflé à l'hélium. Lorsque le service le dépose sur la table, il monte au plafond tout seul. Superbe: mieux que Pinder, Barnum et Zavatta! Comment fait-on pour débarrasser après? On tire des cartouches dans le plafond?

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  4. R.A.S. pour aujourd'hui.... Merci Vincent c'est limpide comme d'ab...

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  5. Alors là la Dégustologue que je suis est ravie merci Vincent vous avez tout dit ....

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