Koy Shunka: une étoile naine?


Je n'en parle pas souvent sur ce blog, mais j'adore les cuisines japonaises. "Les", et non pas "la", car comme tous les grands pays de gastronomie, le Japon possède sa diversité avec des cuisines aux accents et aux caractères bien marqués. Le seul problème de la gastronomie japonaise, c'est la transcription que nous en faisons, en Europe notamment, qui se cantonne bien souvent aux bars à sushis (parfois excellents). Mais résumer la table japonaise à ça, c'est un peu comme réduire la France au steak-frites…


Une des chances de Barcelone, c'est qu'on y trouve quelques beaux restaurants japonais. Autant il est impossible d'y manger chinois ou vietnamien (ça oscille entre calamiteux et désastreux), autant s'est développée ici une offre assez remarquable; la proximité de la mer, des bateaux et des pêcheurs n'y est évidemment pas pour rien. Pour les meilleurs d'entre eux en tout cas, les autres ont comme il se doit, comme partout, des fournisseurs sans visage…


le Koy Shunka, situé juste derrière la Jefatura de Policía de sinistre mémoire se veut la Rolls du genre. Ouvert en 2008, ce restaurant design à la façade anonyme est tenu par le chef Hideki Matsuhisa, co-propriétaire du Shunka voisin, l'endroit qui a établi la "légende japonaise" de Barcelone, se vantant d'être la cantine de Dieu lui-même, Ferran Adrià. L'idée du Koy, c'est de faire la même chose, mais en mieux, avec du produit de qualité gastronomique. Sur le papier, c'est réussi puisqu'il a obtenu l'an dernier son premier macaron Michelin (même si l'on sait ce que valent les distinctions du Guide des Pneus en Espagne, empreintes de malbouffe et de magouilles mafieuses), macaron confirmé la semaine dernière.


Avec beaucoup d'intérêt, et un grand appétit, nous sommes donc allé déjeuner au Koy Shunka. Pour cause d'horaire tardif, nous n'avons pas pu commander le menu dégustation; franchement, ça ne me dérange pas plus que ça, d'autant que nos voisins de bar le finissant, j'ai vu passer une ou deux mariconadas qui m'auraient gâché la journée, et la digestion. Il a fallu choisir dans la carte, ce n'est pas plus mal, d'autant qu'à quatre, on arrive assez bien à se faire une idée de la question.


Puisqu'on parle de carte, évacuons vite un des gros problèmes du lieu, la liste des vins. Elle n'est pas nulle, mais un peu has-been, vieillotte, banale, du genre de celles que concoctent les commerciaux avec pince de cravate des marchands de vins espagnols. Ça manque singulièrement de pep's et ça n'a pas du tout le niveau d'un étoilé; notons d'ailleurs que nous n'avons pas vu de sommelier dans la maison. Et je vous passe les prix, quasi parisiens (ce qui en Espagne est une rareté). Il y a bien sûr quelques sakés, malheureusement, je ne m'y fais pas. Je vais vous dire, in fine, pendant que mes commensaux se cassaient les dents sur un médiocre pouilly-fuissé, j'y ai bu un demi-demi de bière japonaise pas terrible, j'aurais mieux fait de rester au thé vert. Passons.


Évacuons aussi le problème du service, pas désagréable mais peu professionnel; servir à table n'était visiblement pas le métier du jeune homme au demeurant très poli qui s'est occupé de nous.
Parlons plutôt de ce qui se mange. Et de ce repas qui nous a peu laissé sur notre faim. Au sens propre d'abord, avec deux entrées, un plat et un dessert, nous ne rêvions que d'aller manger quelque chose en sortant. Il faut dire que les quantités servies sont lilliputiennes, inversement proportionnelles au tarifs affichés (comptez au moins une petite centaine d'euros par personne, hors boisson, en étant raisonnable). Mais, c'est la qualité de certaines préparations, et la précision des cuissons qui ont retenu mon attention.


Car le produit, oui, apparemment, est au rendez-vous. Même si, cuisine ouverte oblige, j'ai vu passer des ingrédients de chez Macro (le Métro espagnol) ou de niveau supermercado (crème Pascual), poissons et fruits de mer sont de première fraîcheur. Est-on au niveau des meilleures tables de la Costa Brava ou du Pays basque? Oui, c'est à peu près comparable.
En revanche, dans la façon, quelques détails m'ont choqué. Ainsi le tartare de toro que vous voyez ci-dessus. On est loin des savants coups de lame qui enchantent les amateurs de tartares au couteau; j'ai eu la surprise de voir arriver une assiette garnie d'une bouillie peu appétissante, genre blessure par arme à feu à bout touchant. Je ne demande surtout pas des assiettes "graphiques" comme disent les précieuses ridicules de la foodisterie, mais quand même… La texture de ce machin était évidemment raccord avec son aspect, entre gélatineux et amylacé, emportant le goût d'un poisson qui devait mériter meilleur traitement. Pour information, j'ai également goûté le tartare de thon normal, même scénario.


Je n'ai pas non plus été convaincu par le sashimi d'oursins: deux belles cuillerées de corail jetées dans une assiette creuse, là aussi, ça vous avait (même si le goût était bien là) un petit côté gloubi-boulga, un rien en deçà de la prétention du lieu. Mon autre voisine, elle s'est régalée de ses sushis (nigiris et makis), de belle facture, et parfaitement frais.


Parlons aussi des cuissons, autre source d'étonnement. J'ai commandé un tataki de bœuf "wagyu" (ce n'était pas précisé, donc sûrement du "bœuf japonais espagnol"*). Un tataki, je ne vais pas vous faire l'injure de vous expliquer ce dont il s'agit. Allez, au cas où, l'excellente Cuisine japonaise de Emi Kazuko et Yasuko Fukuoka précise qu'il s'agit d'une rapide cuisson à la braise de charbon de bois immédiatement suivie d'un plongeon dans l'eau froide afin de stopper cette cuisson. Cette technique appliquée à des viandes ou à des poissons permet d'obtenir un mélange de grillé et de cru. Moi, sur une assiette façon maquette de train électrique, j'ai eu droit en lieu et place du tataki à un plat japonais dont j'ignorais l'existence: le rotitrokui (qu'on traduit en français par "rôti trop cuit"…). Et pour couronner le tout, un riz quelconque et quelques cèpes gorgés d'une méchante huile un peu brûlée. L'autre tataki du jour, de toro, était lui un peu mieux cuit, trop quand même. Jolie cassolette de veau en sauce, en revanche, le rayon de soleil des plats de résistance..


Restent les desserts. Un "tiramisu au matcha", posé sur une génoise plus que sèche (bof!) saupoudré de café, ce qui abimait le thé (re-bof!) et surmonté d'une boule de glace au café, excellente, mais achevant de tuer la précieuse poudre verte (re-re-bof). Les autres desserts bizarrement chantaient la gloire des fraises et des framboises, fruits de saison en cette fin novembre** comme chacun sait…


En résumé, la météo de ce déjeuner-spectacle fut très brumeuse avec quelques rares éclaircies, jusqu'à mon cher thé final qui ne racontait rien d'extraordinaire. Un ensemble un peu brouillon donc, très loin de l'image que l'on se fait d'un restaurant étoilé, au niveau l'assiette notamment. Franchement, à ce tarif-là, je n'ai pas spécialement envie d'y retourner, une autre visite à l'excellent Dos palillos (bien que pas purement japonais) me tente davantage.


J'en profite au passage pour vous glisser ma vraie "petite" adresse japonaise à Barcelone. C'est La Cuina de l'Uribou, un établissement caché entre la gare de Sants et la place Francesc-Macià. La matière première n'y est peut-être pas au niveau du Koy Shunka, on y travaille des produits plus populaires mais l'exécution y est généralement remarquable, surtout si l'on suit la carte du jour. Accompagné par des Japonais (qui constituent souvent l'intégralité de la clientèle du lieu***), j'y ai découvert une variété, une précision et une authenticité qui rendaient autrement hommage à l'épatante cuisine du Pays du Soleil levant.





Addenda: un message très intéressant (et très "qualifié") que j'ai reçu en privé à propos de ce Koy Shunka, après la publication de cette chronique me confirme qu'il n'y pas grand intérêt à y manger des plats, pas exceptionnels. Dans cet établissement, il faut se contenter des sushis, c'est la raison d'être de ce lieu qui serait donc plus un "bar à sushis de luxe" qu'un restaurant japonais. J'avais d'ailleurs noté dans le texte que la qualité des nigiris et des makis de ma voisine (qui a été plus maline que moi).



* Je vous le rappelle, "wagyu" signifie littéralement "bœuf japonais", pas "bœuf espagnol". Mon boucher en parlait ici.
** Vous me direz que c'est normal, à la même époque, un trois étoiles de la région met des asperges au menu…
*** Alors que la clientèle du Koy Shunka, lors de notre visite était exclusivement occidentale, entre touristes aisés et pijos barcelonais (la version locale des vitelloni romains).



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