1855.com: le triomphe du nouveau marketing du vin.


Nous avons tous bien ri, avant-hier, du gag finalement assez révélateur de la conception que le site 1855.com avait du vin. Apparemment, au delà du "bug", de "l'erreur d'un stagiaire", du "problème informatique", il semble que chez ces gens-là, une bouteille de vin ne soit que quelque chose de virtuel, pour ne pas dire irréel, à l'image du Château Yquem 2012 "livrable en juin 2015."
Nous avons tous bien ri, mais une question subsiste: comment, depuis tant d'années (plus de cinq ans), alors que les récriminations affluent, que les plaintes se multiplient, que beaucoup de gens accusent le site de n'être qu'une sorte de Pyramide de Ponzi, qu'une association de victimes (ABUS 1855.com) a même été créée, tout continue comme si de rien n'était?
Cela nous amène d'abord à nous intéresser à l'information dans le monde du vin. À son existence, et à son impact. Parce que malgré tous les feux rouges allumés, des consommateurs (on serait tenté de dire des pigeons) continuent de commander du vin à ce site de vente par correspondance plus que décrié. Alors, soit ces victimes potentielles n'ont pas lu les nombreuses mises en garde publiées par La Revue du Vin de France, Bettane & Desseauve ou Terre de Vins, et avant ces revues, par plusieurs blogs et forums dont Jim's Loire, Bon Vivant ou La Passion du Vin, soit elles n'y ont pas cru. C'est un autre débat, mais cela pose une nouvelle fois la question de l'audience et de la crédibilité des médias du vin en France, quelle que soit leur nature.


Ensuite, conjointement à la première question, se pose celle d'une éventuelle "impunité" dont bénéficierait 1855.com. Je ne connais pas assez le fond du dossier (qui est depuis des années entre les mains des juges et des avocats), mais l'on peut comprendre le sentiment des victimes qui se sentent moins bien protégées que cette entreprise aux livraisons fantasques. En revanche, que la Justice soit lente, c'est à la fois ni nouveau, ni propre à ce dossier, surtout si cette lenteur est "organisée" avec de bons avocats comme on le on voit dans des affaires autrement plus graves qui riment avec Stavisky et qui secouent la République. Un des problèmes, et non des moindres, réside dans le fait que les tribunaux font face à une multitude de petites plaintes qui souvent portent sur des sommes "relativement faibles", inférieures à mille euros. Plusieurs jugements ont toutefois été rendus, à Bordeaux, Toulouse, Mulhouse, défavorables à 1855.com, "le Hermès du vin" comme aimait à le qualifier Émeric Sauty de Chalon, le co-fondateur du site.


La personnalité de ce titulaire d'un Master d'HEC qui en toute modestie se présente comme un "bâtisseur de cathédrales" n'est sans doute pas pour rien dans le parcours de l'entreprise. Doté du bagout d'un vendeur de parapluie, Émeric Sauty de Chalon n'est pas du genre à se démonter, affirmant haut et fort que tout va bien, que les chiffres sont bons, s'offusquant bruyamment, il y a deux jours encore, quand a été révélée le gag de l'Yquem 2012; son arme préférée, c'est le Droit de Réponse qui se termine invariablement par "1855 regrette vivement que [le journal concerné] n’ait pas souhaité contacter l’entreprise préalablement à la parution de cet article dont l’objectif semble être plus de nuire délibérément à l’image de notre groupe, plutôt qu’à informer loyalement vos lecteurs."
À l'heure où l'on se demande si le "brillant jeune dirigeant", "pugnace", comme l'ont présenté tant de journalistes très polis, n'a pas dilapidé son crédit, il est intéressant de revenir sur la façon dont il a construit le mythe 1855.com. D'abord en s'appuyant sur des alliés puissants, tel Jean-Pierre Meyers, actuel directeur-général de Thétys, la holding familiale des Bettencourt, holding qui contrôle 31% de L'Oréal et 6% de Nestlé: trouvant peut-être que tout cela commençait ça à faire désordre, l'homme d'affaires a quitté le navire 1855.com en décembre dernier, un départ qui n'a même pas cloué le bec d'Émeric Sauty de Chalon. Remarquez, vus les louanges dont on l'a couvert, il a raison de ne pas s'en faire. Si j'en crois par exemple ce livre publié par le magazine La Vigne et qui consacre tout un chapitre à 1855.com, Bonnes pratiques en marketing du vin, l'entreprise est un modèle à suivre… On est loin des madofferies qui encombrent les colonnes aujourd'hui!


S'il y avait une morale à tirer de cette sombre histoire, je crois justement qu'il faudrait peut-être s'interroger sur le nouveau marketing et sur la nouvelle distribution du vin. Sous les applaudissements de tous ou presque, les prescripteurs ont depuis vingt ans considérablement contribué à modifier la façon dont le consommateur moyen achète une bouteille. Notamment en faisant le prosélytisme de la religion du prix le plus bas, du "moins-disant", religion dont les "cathédrales" sont les grandes surfaces et où la Presse du vin n'a pas hésité à diriger ses lecteurs, à coup de numéros spéciaux "Foires aux vins". Qu'on le veuille ou non, cela a permis de banaliser la "dé-professionnalisation" de la distribution, créant une brèche dans laquelle se sont engouffrés certains bricolos* et petits malins de l'Internet. Le marchand de vin ayant disparu ou presque, on pouvait désormais acheter ses crus à n'importe qui, c'était moderne. Et surtout, le comparatif se faisait en fonction d'un unique facteur: le tarif!
Ça, cette clientèle qui "achète du prix", Émeric Sauty de Chalon l'a bien comprise. Car si 1855.com ne propose plus de bordeaux en primeurs, l'autre site du groupe chateauonline.com, lui, s'y est mis à fond. Et bien évidemment à des tarifs qui vont enchanter les rois de la calculette: les 2012 virtuels y sont les moins chers du Monde**. Vous voulez que je vous raconte la suite ou vous préférerez la lire dans les gazettes judiciaires?…




* Tous les marchands de vin 2.0, heureusement, ne sont pas des bricolos ou des margoulins.
**À tel point que certains vignerons bordelais s'en sont émus. Ainsi le directeur de La Conseillante, à Pomerol.

Commentaires

  1. Prix ? ça me semble important quand beaucoup de foyers voient leur dépenses augmenter et leurs recettes stagner.

    Dé-professionnalisation ?
    Oui, mais mon (ancien ;-)) caviste stocke son vin debout, à t° ambiante, me sort des jugements péremptoires, est pas accueillant. Est-il encore professionnel ? L'a t'il jamais été ?

    Grande Surface ? Si je l'achète pas en GMS, je les trouve où les cuvées de Castelmaure ? (j'habite pas dans les Corbières)

    Justice ? Ben non. "que vous soyez puissant ou misérable etc ..."

    Système. Turbo-Capitaliste. Pourri. Neo-fascisme. A venir. Sans rire.

    Tom B. (qui aime pas les textes. Aujourdhui.)

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    1. Plusieurs réponses, évidemment, Tom.
      La limite du "moins cher", c'est l'irréalité.
      Il y a sûrement des charlots chez les cavistes, la dé-professionnalisation est générale mais celui qui stocke les bouteilles debout, quittez-le.
      Castelmaure, chez quelques centaines de cavistes en France, bien plus facilement qu'en GD où les bouteilles arrivent "par accident".
      À ce jour, les plaintes qui concernent 1855.com vont au procès et ces procès sont généralement gagnés, donc…

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  2. Pourquoi rester anonyme, Tom?
    On a envie de dialoguer, ou au moins de mettre des idées côte à côte, mais pas avec une ombre. On peut se passer de vin, donc son prix est quasiment sans importance. Ou bien tu en bois moins souvent, ou bien tu changes de type de vin. Mais vouloir le dernier centime de rabais sur la bouteille que tu convoites n'a que des effets pervers: sur le vendeur, sur le système, sur le producteur et sur ta cave à toi.
    Plus généralement, Vincent: pourquoi garder les commentaires anonymes?







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    1. Comme la Loi m'y oblige, je ne publie plus depuis quelque temps les commentaires anonymes, Luc. Je fais une entorse à la règle pour les "anonymes signés" comme Tom qui est par ailleurs un habitué de la maison.

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  3. Bon ben merci Vincent, j'avais pas le moral mais une réponse comme ça, ça redonne la pêche ! (oui j'aime me faire taper dessus parfois, j'en parlerai à ma psy).

    Castelmaure, je ne l'ai vu jamais que dans la GMS et par chez moi il est dans pratiquement dans tous les hypers (mais bon j'y trouve aussi d'autres "références très honnêtes, voire plus" - j'ai même vu vroum-vroum et autres belles étiquettes du même style... stockées debout bien sûr). Par contre, jamais vu chez un caviste donc je semble être témoin de l'exception pas de la règle.

    Justice ? A partir du moment où un escroc est encore sur la place et continue son activité (qui consiste simplement à arnaquer), on peut se poser la question de l'existence de la justice. Bon, je connais pas tout le dossier et je sais que le droit est complexe (et puis je suis pas juriste).
    Mais ce n'est pas normal.

    Caviste qui stocke debout, à t° ambiante. Mon Dieu, Vincent, il y en plein ! Ayant pignon sur rue et super réputation chez les initiés (et qui sont loin de passer pour des charlots).

    Internet ce n'est pas que la recherche du moins cher mais aussi la possibilité pour un type de Montluçon de trouver Yquem (ou Hours, ou autre) plus facilement. Quel qu'en soit le prix.

    Et puis les premiers vendeurs ce sont les vignerons. OK, ils maitrisent pas tout le circuit de distribution mais est ce que ça les intéresse d'ailleurs ? Ils veulent vendre vite et bien.

    Tom B.

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  4. Tom,

    Tu vois qu’on a envie de dialoguer avec toi. A part à Paris (et encore, modestement pour l’instant) et, j’espère, bientôt tout au nord de la France, je n’ai aucun caviste. Pourtant, j’aimerais voir mon vin chez les particuliers français aussi. Ce n’est pas vrai que « LES » vignerons veulent vendre vite et bien. Il y a tous les cas de figure.
    Et pourquoi ne vas-tu pas voir les sites ? Il ne s’agit pas de « vente par correspondance ». Tu sais à qui tu t’adresses : le producteur. Tu sais où il habite, les vignes, ça ne déménage pas aussi vite que les placeurs de cuisines toutes équipées ou de survitrage. Et notre réputation se construit lentement, mais se détruit très vite. Le premier qui te refile de la daube, ou n’envoie pas la marchandise, tout le microcosme le sait en 10 jours. En outre, les vignerons ne sont pas comme cela, dans leur ensemble.
    Et puis, si tu veux vraiment un conseil, et une ou deux bouteilles seulement, et le vendredi soir à 19 h 30’, va voir un « vrai » caviste. Lui, il connaît tous ses vins, il les a en stock, il les conserve comme il faut ... Note que, avec une capsule à vis, on peut garder la bouteille droite. Et avec du verre teinté moderne, la lumière (je n’ai pas dit un spot de 1000 watts dégageant une chaleur épouvantable et durant des mois) n’est plus un problème non plus. Des cavistes comme cela, j’en ai rencontré. Le problème – pour moi – est que, comme ils font vraiment leur métier, tous les vignerons les sollicitent, même de bien meilleurs/bien plus célèbres/ bien mieux introduits que moi (biffer les mentions inutiles). Et ils ne peuvent pas tout prendre dans leur assortiment. Bien sûr, tu paieras un euro ou deux de plus qu’en GD. Et alors, où est le drame ?
    Tom B ... idule – tu vois, on se connaît déjà un peu plus; je suis sûr que ton nom est charmant – si tu m’envoies une adresse et que tu habites un coin de France accessible, je te ferai parvenir une bouteille, gratos. Ce ne sera pas tout de suite, et pas par la poste (12 € pour un flacon !), et ce ne sera pas une Loute non plus (seulement 800 disponibles), mais le vin sera bon. C’est OK ? Mon mail : charlier.luc@wanadoo.fr.

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    1. C'est gentil, Luc, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de laisser son mail comme ça sur la toile...
      bon pour l'anonymat, vous avez mon prénom, c'est déjà pas mal. Pourquoi vouloir à tout prix avoir plus alors que, d'une part ça ne changera pas grand chose à nos rapports (enfin, je peux me tromper), d'autre part je n'aime vraiment pas, sur le principe, la transparence totale sur internet qui tôt ou tard s'apparentera à un fichage et une traçabilité totales de chaque individu. Après viendra la greffe de la puce et en avant mamie !
      C'est sur le principe Luc. On discute, tant que l'on reste respectueux, que l'on a une signature quelle qu'elle soit , que l'on échange, je ne vois pas de problème cet anonymat... relatif.

      Malheureusement, je ne suis pas caviste, donc je ne pourrais pas t'aider à distribuer tes vins. Personnellement j'achète chez certains cavistes (même chez certains qui stockent debout, mais dans ce cas je prend qu'une bouteille ou deux et j'opte pour des vins qui ont un certain turn-over - enfin je l'espère) certaines références, en salon et en GD quand je tombe sur des vins que je connais, des noms qui m'interpellent ou sur un coup de tête...). Je suis pas anti-caviste, au contraire j'y vais de plus en plus souvent !

      @Vincent : alors merci de publier mes commentaires. J'ignorais cette loi qui va bien dans le sens de ma crainte...

      Tom B(idule)

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