Tant qu'il y a de la vigne, il y a de l'espoir!
Tout au sud de la France, la région montagneuse qui sépare les Pyrénées-Orientales de l'Aude compose un incroyable "bordel géologique". Et pas depuis hier! Ça remonte au Crétacé inférieur, il y a cent à cent-cinquante millions d'années. L'isthme qui joint la France et l'Espagne actuelles, et notamment sa partie orientale, prise en étau par l'ouverture du Golfe de Gascogne, a connu des bouleversements tels que les sols en furent tout retournés. Que le calcaire se mélangea au granite, que le schiste et le gneiss s'intercalèrent, subtilement rehaussés de touches de marbre. Bref, c'est la faute des Pyrénées! De leur crise d'adolescence, en tout cas.
Ce "bordel" immémorial ne fait pas seulement le bonheur des amateurs de Bourses aux Minéraux. Il constitue une source d'avenir. Enfin, il devrait. Car, du temps des dinosaures, c'est un formidable terroir qu'ont hérité les vignerons. Un terroir accidenté (avec ses défauts et ses qualités), pas toujours facile d'accès, fort en gueule, en caractères et en accents, que connaissaient bien les négociants de jadis qui s'y fournissaient en vins médecins. En témoignent également les "usines" Byrrh, immenses bâtiments de collecte ou d'élaboration où les riches moûts des montagnes donnaient naissance à des apéritifs dont j'ai retrouvé le goût grâce au vermut barcelonais, cousins de nos quinquinas languedociens ou roussillonnais.
Je repensais justement à tout cela l'autre jour en sirotant un verre de kina, réfugié pour cause d'averses dans le foyer rural de Vingrau. J'adore ce village planté (sans savoir exactement, historiquement, de quel côté) sur l'ancienne frontière aragonaise. Je vénère, comme mon ancêtre l'Homme de Tautavel, sa falaise sacrée, sa serre, vertigineux mur naturel longé par des chemins de contrebandiers. "Passe manger un morceau" m'avait dit Hervé Bizeul. "Je te préviens, c'est la fête de l'école." Bizeul, je ne vous le présente pas, bien sûr, puisque vous vous intéressez un peu au vin. Je l'ai connu dans les années quatre-vingt-dix, petit génie officiel du renouveau viticole du Languedoc-Roussillon, emblématique et médiatique. Son aplomb, son assurance m'agaçaient vaguement; comme nous tous, il lui arrivait de se payer de mots.
Là, ce n'est pas assis derrière une table étoilée que je retrouve Hervé, mais, debout, "en civil", appuyé au mobilier municipal. Claudine, son épouse, l'a réquisitionné, il sert les apéros et le vin à la tireuse, essayant de vendre aux convives de la "paella géante" la rafale de bouteilles que les vignerons du village (dont lui) ont offert pour récolter quelques sous pour la cantine de l'école. Il a quelque chose d'un bouliste de Perpignan, débonnaire mais l'œil vif. La parole toujours aussi politiquement incorrecte, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Paella au foyer, pour autant, Hervé a comme moi ses manies de vieux garçon, on boit dans des verres autrichiens. Par parenthèse, en voici encore un qui a succombé à la délicatesse des Zalto, et à cette capacité qu'ils ont de "rafraîchir" les vins du Sud bus trop jeunes. Donc, on goûte ses dernières mises, notamment ce cabernet-presque-franc que j'adore, Un Faune avec son fifre sous les oliviers sauvages. Il délaisse ses allures variétales (mais délicieuses) des débuts pour une palette aromatique plus solaire, ma non troppo. Le 2012, embouteillé sur la jeunesse pour en piéger le fruit, est une splendeur. Et, surtout, risque d'être une splendeur. Dans dix ans.
Incontestablement, les vins du Clos des Fées ont changé. Évolué, à mon goût. Les vignes, bien sûr, s'installent, le travail porte ses fruits. Mais le style aussi s'affine, se précise. L'élevage se fait plus discret, les "touchés" plus subtils. J'ai, nous avons très bien goûté certaines cuvées récentes, tout particulièrement le Clos des Fées 2010, quelle texture, quelle classe! Je voudrais là aussi être plus vieux de dix ou vingt ans. Dans un registre plus tendre, régalez-vous des dernières Sorcières. Ou étonnez-vous de blanc issu d'un sur-greffage de sémillon, sec mais onctueux.
Le vin, c'est bien bon, c'est bien joli, mais, c'est de terroir, de parcelles, de vignes, surtout, dont je voulais vous parler aujourd'hui. D'avenir aussi, n'en déplaise aux fonctionnaires de la "République du Bien" et à leurs sbires zélés qui veulent chercher notre bonheur, malgré nous, dans une prohibition inculte (lisez, si ce n'est fait, mon billet précédent, et révoltez-vous). Encore une fois, je vais en remettre une couche sur ces néo-prohibitionnistes subventionnés, qu'ils n'oublient jamais que sans l'immense richesse procurée par la filière vinicole (second poste excédentaire du Commerce extérieur français derrière l'aéronautique), il n'existeraient pas, on ne pourrait pas les payer: pas de vin, pas de médecins! À titre de comparaison, les exportations de vins et de spiritueux comblent presque les treize milliards du trou de la Sécu. Méditons-le et refermons la parenthèse.
Parce que ce n'est pas de ses parasites, mais de la vigne dont je veux vous parler. Et de cette petite balade digestive que nous avons faite avec Hervé Bizeul, samedi dernier. Contournant la Caune de l'Arago et le préhistorique souvenir de l'Homme de Tautavel, nous sommes partis sur le versant nord de cette petite montagne, sur sa face nord, très exactement, en surplomb du Verdouble (que chantait si bien le pauvre Claude). Et là, j'ai vu le début du fruit d'un travail de titan. "On l'a plantée cette semaine, me dit Hervé. Je n'ai plus de dos." Une parcelle au moins aussi raide que le Tourmalet. Deux hectares re-volés à la garrigue, où la vigne avait jadis prospéré mais que l'incurie des hommes avait fait disparaître. Un sol superbe d'argiles sombres, celle-là même que l'on célèbre dans certains grands crus. Et de l'eau, visiblement, en profondeur.
Et ces plants à peine plongés dans la terre, vous avez une idée de la variété? Du grenache? De la syrah? Du carignan? Non. Tenez-vous bien, c'est du pinot noir. "La Romanée-Conti manquait d'un concurrent sérieux", rigole Hervé au pied de l'ouvrage. Les bois proviennent du Clos de Tart, à Morey-Saint-Denis. "Par goût, et pour ce style solaire." Du pinot des Corbières… Il y a des endroits où ça m'étonnerait, où je trouverais ça couillon, mais après la leçon de cabernet-franc que m'a donné le type, il me tarde voir. De goûter.
Et avant tout, je me régale de voir cette dinguerie agricole, ce boulot de fou dans lequel il faut être aveugle pour ne pas voir, au delà de l'ambition, une authentique passion. D'autant plus en cette triste époque de démission généralisée où l'on arrache à tour de bras quitte à massacrer un patrimoine multi-millénaire. Où, à cause d'un esprit de renoncement savamment, politiquement, entretenu, se promener sur les plus beaux terroirs du Languedoc-Roussillon vous tire les larmes des yeux.
Là, on est loin du concept de la "vigne jetable" qui fait malheureusement florès dans certains coins du Roussillon. On revient au geste pur, noble, normal du paysan qui s'inscrit dans une trajectoire, qui plante pour les générations futures. "Tant qu'il y a de la vigne, il y a de l'espoir" a écrit le trublion Rémy Bousquet, dessinateur inspiré (allez ici voir son travail). Il a raison, et nos gouvernants feraient bien de le comprendre avant qu'il ne soit trop tard. Plus prosaïquement, j'ajouterais "tant qu'on plante de la vigne, il y a de l'espoir." Tant qu'on n'oublie pas de construire l'avenir.
Attention, Vincent, tu dérives vers chez nous, et même fort vers l’Agly, même si Vingrau en est en fait le tentacule extrême (si, c’est bien un substantif masculin), comme un doigt des Corbières perdu dans ce coin de Verdouble à moitié catalan. Un coup tu carignanises, un coup tu cabernet-franchises. Où vas-tu t’arrêter ? Moi, je t’apprécie comme cela mais tu vas te griller (la plantxa, ça brûle).
RépondreSupprimerEt où vas-tu chercher que les mots dont se payait le maître du Clos cachaient une assurance et un aplomb agaçants ? Ils ne cachaient rien, ils traduisaient au contraire ses doutes, ses interrogations, sa quête. Et c’est bien ainsi. Je le sais, je ressens la même chose (avec moins d’exposition publique, car nos renommées ne jouent pas dans la même ligue), demande à nos psy ! Il m’en a même voulu un temps – révolu je crois – car j’avais osé évoquer la Fée du Clos apparue au milieu d’une séance de dégustation, plutôt que le number one. Que veux-tu, la vérité était dans le vin !
Enfin, grand journaliste, tu viens de m’apprendre que Mommessin avait perdu un monopole ?
Il y aurait à présent plus d’un Clos de Tart ? Note que j’ai bu mercredi soir un assemblage syrah-pinot noir (oui, oui) au pied du tambour d’Arcole. Et il était délicieux : 14,5 %, belle couleur, un rien de bois bien dominé, pas trop de SO2 (les joues de Christine sont un excellent indicateur, elle y est allergique de chez allergique). Les plus férus de Vaucluse auront déviné que c’était à Cadenet, au pied du Grand Luberon.
Luc, pour Cadenet, j'avais évidemment deviné (ayant été baptisé à Lourmarin).
SupprimerJ’ignorais cette particularité. Toi, gabarit de rugbyman, mais chevau-léger de la blogosphère, sans « x » final bien sûr, tu es aussi un lourd marin ? Je pense que nous retournerons bientôt par là, de même qu’à Cucuron. Jolis coins, tout ça. Je dirai un mot au sacristain de ta part.
SupprimerCher Luc, le Clos de Tart n'est pas près de perdre son monopole mais seulement d'enfanter d'un rejeton turbulent...
RépondreSupprimerLe CDT 2005 fut un ces vins "point d'ancrage" dans ma vie de buveur (lors d'un fight légendaire des 2005 que l'on doit à B & D et aux condoléances d'A. Gerbelle qui m'encouragea à aller gouter ce monument unique de sensualité qu'est ce vin issu de Pinot noir mûr au millimètre...) et l'implantation d'un Pinot noir sur le versant nord d'une montagne de chez moi ne pouvait se faire, à l'évidence, qu'avec des pieds du plus méditerranéen des grands pinot de Bourgogne. J'espère qu'un peu de leur caractère chaud les aidera à s'implanter dans ce terroir singulier, sorte de côté 'pile' d'un vignoble 'face'. Ou le contraire ;-). A noter, puisque ce billet va je pense être lu, que d'autres massales viennent de bien d'autres grands crus aussi brillants et que le tout est complété de deux clones récents qui promettent beaucoup, d'après le grand pépiniériste P.M. Guillaume qui nous a traité comme si nous étions déjà un grand cru et à qui j'adresse ici toute ma reconnaissance. Au delà de la lignée génétique, c'est bien l'esprit de rigueur et d'excellence des grands viticulteurs bourguignon qui s'exprime dans ce projet, qui doit beaucoup à Roger Dion et son encouragement à tenter le grand vin "moderne" (merci, pour toujours, à Jacques Dupont de m'avoir signaler ce texte). Amusant de voir quelles influences, aides, lectures, conseils,sourires bienveillants ou idées m'ont permis de dépasser les barrières psychologiques d'une telle aventure... Il y a les plants, il y a le terroir. Reste à savoir si le vigneron et le vinificateur seront à la hauteur de l'enjeu... Pas si simple...
À Bizeul, rien d'impossible ! Le pinot noir est aussi "difficile", capricieux et délicat que le Carignan, mais je reste persuadé qu'il saura montrer sa vraie nature d'ici peu. Avec un léger accent rocailleux ou pas. On verra.
RépondreSupprimerJe chanterai un jour la vallée magique de Vingrau, la combe magique de Tautavel, l’eau transparente des gorges du Verdouble, les hauteurs paléolithiques surplombant les vignes et les châteaux cathares , Quéribus, Peyrepertuse, et le souvenir des lions et des aurochs qui chassaient sous ces falaises ensoleillées, il y a cinq cent mille ans, eux-mêmes chassés par les hommes primitifs – monde clos sur sa finitude carnivore jadis, sur sa quiétude solaire aujourd’hui.
RépondreSupprimerJ. Baudrillard