Quand Paris est toujours Paris…


On ne va pas revenir sur les débats du moments. Sur le fait de savoir s'il faut labelliser ou pas les restaurants français, si la cuisine doit être faite sur place ou dans des usines, par des cuisiniers ou par des ouvreurs de boîtes. Vous qui me lisez, j'imagine que vous vous doutez de quel côté je penche. Sans nécessairement encombrer les portes d'entrée d'un nouveau logo, il serait temps qu'un peu de clarté revienne et privilégie le fait-maison, cette nouvelle denrée rare. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que, entre moléenculades camouflées et malbouffe sous-vide, je vais finalement de moins en moins au restaurant.
Et j'ai tort, parce que des restaurants "normaux", il en existe encore, nous en rencontrons tous et peut-être ne les mettons-nous pas suffisamment en valeur. Pas assez chic, pas assez déco, pas assez tendance… L'un deux m'a justement "sauvé la vie" (comme quoi, il n'y a pas que les Dj's…) l'autre soir à Paris, alors que justement je me faisais congédier, amer, d'une des tables où l'on doit être vu. Le conseil d'un camarade (dont je vous conseille d'ailleurs de lire les conseils désormais publics puisque publiés), un coup de téléphone et je décrochais sans trop y croire deux des derniers couverts.


"Bonsoir, monsieur, dans le XIe s'il vous plaît. 27ter, boulevard Diderot, c'est presque à l'angle de la rue Legraverend." J'en entends déjà qui ricanent, la proximité des gares (Lyon+Austerlitz), drôle d'endroit pour un repas. Peu importe, il faut vaincre son appréhension. Dix minutes plus tard, nous voila à l'adresse indiquée, Entre les vignes, une bonne gueule de bistrot, sans trop d'apprêt. La salle, joliment éclairée, est bondée, les tables jouent à touche-touche, on est dans un bistrot, pas besoin de musique pour masquer l'absence de conversations, tout va bien.
La lecture de la carte ne laisse planer aucun doute sur les intentions de la maison. Se régaler de choses simples. Le problème, évidemment, pour que ça fonctionne, c'est qu'il faut une bonne matière première, et quelqu'un de qualifié en cuisine.


Visiblement, c'est le cas. Dès les entrées, on se dit que faire à manger, ici, c'est leur métier. Le carpaccio de betterave fonctionne, il est là pour rafraîchir et "agacer"; mes ravioles sont excellentes, cuisson impeccable. Aucune recherche du coup de génie, et, parfois, c'est tant mieux!
Du côté de la salle, je suis espanté par l'énergie de la jeune femme qui sert (avec le sourire) cette multitude de tables affamées. Nous comprendrons plus tard, qu'il manquait une personne ce soir-là, chapeau!


Passons à la carte des vins. Une catastrophe! Une honte! "On s'en va. Y'a rien à boire" trancheraient immanquablement les midinettes (mâles ou femelles) du vin-comme-il-faut. Aucune référence, aucun nom, aucune marque à la mode n'y figure. Pire, il n'y a même pas de vins du Jura ou de Serbie! Bref, rien pour rassurer ceux qui ne se font pas confiance. Qu'allons-nous devenir?…
Eh bien, tout bêtement, nous allons nous régaler! D'abord d'un sympathique bourgogne-épineuil du Domaine Mathias qui, alors même que nous sortons d'un fleurie de Dutraive, nous remet en selle avec conviction et spontanéité. Et ensuite, à la grande surprise de ma commensale qui a appris par cœur les idées reçues des propagateurs de légendes commerciales pinardières, d'un cahors émouvant. Un cousin de celui que j'évoquais dans ce blog il y a peu, un cahors soyeux et délicat, gourmand mais profond, du genre qu'on ne devrait livrer qu'en magnum et boire en respectant la devise de Michael Broadbent*. C'est fait avec du cot, sur les rondeurs du Quercy blanc, à Boutet, un hameau perdu de Montcuq, à vingt kilomètres de la capitale lotoise et ça s'appelle Clos Siguier. Bravo à la famille Bley qui produit cette petite merveille vendue dans les vingt euros sur table!


Arrivent les viandes. On la joue simple: tartare et entrecôte de Salers. Que voulez-vous, quand vous arrivez de Barcelone, il faut conjurer le manque. Le tartare est sympa, très bien assaisonné, il aurait été meilleur "au couteau" mais vu la foule et le jus dans lequel doit être la cuisine, je m'autorise de rester magnanime; de toute façon, si on me servait ça en Espagne, je signerais des deux mains! Les frites sont excellentes, tout comme l'entrecôte, au gras goûteux..


À ce stade, entre l'apéritif et le dîner, on n'a plus vraiment envie de commander de dessert. C'est un tort. L'excellente faisselle, aérienne, et son miel translucide ainsi que le pain perdu au caramel constituent un excellent point final.
Car que dire de plus si ce n'est qu'on nous a servi une nourriture saine et savoureuse, envoyée sans chichi, avec professionnalisme**. Avec tout ce qu'on demande à un bistrot, ce rythme, cet entrain. Bref un moment rassérénant qui vous donne à croire (et c'est une joie!), que tout n'est pas perdu, qu'à table au moins, Paris est toujours Paris.



* On attribue à ce célèbre marchand de vin et écrivain londonien une phrase célèbre: "le magnum est le format idéal pour un couple, quand le conjoint ne boit pas." Je l'avais inscrite sur des caisses de magnum il y a quelques années (photo-ci-dessous).
** Oui, parce que j'ai oublié de vous dire, le patron, à Entre les vignes est tout sauf un amateur: ancien du Taillevent, passé par les États-Unis,  il a tenu en son temps L'auberge d'Auvers-sous-Oise.

Commentaires

  1. Sur la forme du billet, c'est génial de voir d'abord la photo de l'ardoise, et ensuite celles des plats (parce que les promesses de l'ardoise sont moins séduisantes que la réalité des assiettes). Ensemble très didactique, et superbe transmission... chez moi ça devient : envie !

    Tom B.

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  2. Vincent, tu as rencontré ma compagne depuis 7 ans, Christine. Avant elle, j’ai été célibataire plus de 6 années. Ma dernière compagne en date avant cela élabore pour le moment le meilleur fromage de chèvre bio de tout le Quercy, à Bonnanech, un hameau de Monclar (T & G). Elle était une épéiste émérite et je fus son coach (entendons-nous bien, pas maître d’armes ni entraîneur). Le vendredi soir, l’entraînement se terminait à Gand, dans la salle du deuxième étage de la Halle aux Draps, 1613 comme année de fondation du club, et nous allions ensuite tous ensemble boire une trappiste dans un café voisin. Cela veut dire qu’il était souvent bien bon minuit quand on regagnait la banlieue bruxelloise où nous vivions. Et là commence mon histoire en rapport avec ton billet.
    Une fois rentrés, c’était apéro et repas « du soir » (un vrai « souper » donc). L’escrime, cela donne soif et, le plus souvent, nous vidions un magnum de blanc et un magnum de rouge à nous deux. Tu vois que Broadbent a raison !
    La demoiselle en question, sans être une championne de top niveau, naviguait néanmoins vers la 200ème place au classement mondial de la FIE.Tu vois que le vin, bu avec modération, favorise la performance sportive. Bon, d’accord, il y avait quelqu’un qui lui préparait très bien ses épées !

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  3. Que dire ? Que Paris sera toujours Paris. Une des villes où l'on mange le mieux au monde !

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