Et si je faisais ma sucrée?


Je rêve souvent d'être privé de dessert. Pas par masochisme, simplement parce que ce moment du repas que tant de foodistas attendent en transes (négligeant au passage le rendez-vous culturel du plateau de fromage) m'est généralement pénible. En Espagne, je ne vous en parle même pas, on vous invente des trucs chimico-vomitifs à côté desquels le Fraise Tagada et le Nutella font figure de desserts de grand-mère. Pire encore que les gâteaux "magiques" d'Oriol Balaguer, le "génie" barcelonais, je vous avais raconté l'horreur d'une "expérience" chez un autre des mainteneurs de la pensée tecnoemocional, Espai Sucre. J'avais tout particulièrement été saisi par une "crème glacée au sperme". L'occasion d'apprendre qu'un des additifs chéris de la "cuisine moléculaire" n'est autre que la méthylcellulose (E461), également utilisée dans l'industrie du porno pour simuler la semence masculine. Vous me direz que le sperme, ça n'a rien de dégoûtant, que plein de personnes en avalent et n'en font pas pour autant des histoires; j'ai même lu récemment qu'en plus c'était un antidépresseur efficace, doublé d'un excellent amaigrissant*. La méthylcellulose, en revanche, je ne sais pas…


N'empêche qu'il m'arrive de faire ma sucrée. Eh oui, c'est un coming out! Tenez, l'autre matin encore à Bordeaux. En plus, au lendemain d'une soirée où j'avais abondamment taquiné le pain perdu. Enfin, ça, le pain perdu, les tartes, les clafoutis, les crèmes anglaises, le flan, ça ne compte pas: tout ces desserts de ménage, "régressifs" comment disent en se pinçant le nez les précieuses ridicules de la créativité gastronomique parisienne, on y a droit. Enfin, j'espère. De toute façon, je m'en tape!
Là, j'étais dos au marché des Grands Hommes. Et il y avait cette vitrine masquée par un auvent rose. Un vrai sucre d'orge. On était dimanche matin, derrière les rideaux encore baissés malgré l'heure tardive (j'arrivais de la campagne), une jeune femme rangeait soigneusement les gâteaux dans les rayons. En regardant ma montre, je l'espionnais. Et quand elle a ouvert la porte, je me suis précipité à l'intérieur, tel un mort de faim. Parce qu'avouons-le, dans les pâtisseries, c'est souvent le même sport: il faut arriver le premier pour acheter les éclairs, les choux, les saint-honorés, les millefeuilles. Plus tard (on y revient), il ne reste plus que les gâteaux créatifs, ceux qu'on prend par dépit et qui à peine entamés noircissent dans le frigo avant de terminer leur carrière de stars médiatiques dans la poubelle.


Cette maison, on m'en avait dit du bien. Presque trop. Le propriétaire, Philippe Andrieu, un natif du Lot était passé par de grandes institutions françaises (Bras, Hermé, Blanc…) avant d'ouvrir une boutique à Bordeaux (puis deux autres en banlieue). Donc, je craignais un peu. Et voila que je me retrouve devant un étal classique, avec tous les gâteaux dont je vous ai parlé plus haut. Nous les avons tous goûtés! Un éclair au café aérien, dont la pâte à choux, moelleuse, recélait une crème qui évoquait l'expresso brûlant, une "version-filles", framboise-violette, toute en nuance, un modèle pistache inoubliable tout comme le chocolat, au moins aussi bon que celui de Carette. Idem pour le baba au rhum et la chantilly nuageuse du saint-honoré. À un prix élevé, certes, mais encore largement inférieur à celui des petits chimistes barcelonais. Pour les amateurs, je signale que cette maison, Les Douceurs de Louise, qui fabrique également des cannelés, propose toute une gamme de macarons (Philippe Andrieu a fait un crochet professionnel chez Ladurée), mais bon, moi, ce n'est pas ma tasse de thé, les macarons**, ou alors de temps en temps. Et puis, face à des éclairs…




* On me dit toutefois qu'il ne s'agit que d'une rumeur véhiculée sur Internet par une Internationale machiste.
** Même si je comprends tout l'intérêt économique pour le pâtissier d'avoir en rayon des produits qui se conservent plus longtemps que les gâteau frais qu'il faut parfois foutre en l'air…



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