Quand la Loire pinote…
Quand on pense au rouge de Loire, généralement, c'est le breton qui vient à l'esprit. Qui n'a pas dans sa bibliothèque olfactive et gustative un bon vieux souvenir, gourmand de ces cabernet-francs-du-collier dont on se délecte de Chinon à Saumur, en passant par Bourgueil? Pour moi en tout cas, il sont un archétype de mes envies de Loire, de ces vins "à la Carmet", qui guérissent des soifs qui donnent à manger. Par parenthèse, le breton, je le trouve sous-représenté sur pas mal de cartes des vins ligériennes "tendance", souvent par peur des tanins, je trouve ça dommage; vous savez les enfants, ça n'a jamais mordu personne, les tanins!
J'aurais très bien pu en déboucher quelques fioles, avant hier soir, en arrivant en vue du grand fleuve. La Nature est bien faite, j'avais droit à un de mes plats de référence, dont à mon grand dam je suis sevré en Catalogne, où le bœuf manque de cojones: un pot-au-feu. Beaucoup de plat-de-côtes et de morceaux de parthenaise riches en collagène, bien gélatineux, des légumes qui se tiennent. Que boire sur ce met que je considère comme gastronomique? Pourquoi pas un saint-nicolas-de-bourgueil*? Ou même un côt de Touraine dont une bouteille était dans les starting-blocks? Voire un pineau d'aunis dont le poivre blanc viendrait épicer mon bouilli de bœuf. Eh bien non, rien de tout ça! Ça m'a pris comme une envie de pisser, une envie assassine. Avec ce pot-au-feu qui sentait bon, je n'allais pas faire dans le canaille mais servir un vin qui consacrerait la munificence du plat, un vin de duc, né d'un cépage qui produit désormais des vins à plusieurs zéros: un pinot noir.
On l'oublie parfois, mais 2130 hectares sont complantés de pinot noir en Val de Loire. C'est moins que les 13044 hectares champenois, ou les 10580 bourguignons, mais, au coude-à-coude avec le Languedoc-Roussillon (2187 Ha), on vise la troisième marche (française**) du podium. La caractéristique de la majeure partie du pinot noir ligérien, c'est qu'il est historique et non arrivé là à la suite de l'engouement international pour ce cépage. Car on le trouve principalement autour de Sancerre, en centre-Loire, où il représente plus de vingt pour cent des surfaces plantées. Et cette région, mitoyenne de la Nièvre, faisait partie intégrante du Duché de Bourgogne.
Accord local oblige, c'est donc un sancerre rouge que j'ai remonté pour arroser le pot-au-feu. Et pas n'importe quoi, puisqu'à la suite d'un de ces échanges de bons procédés qui font toute la classe de la famille du vin, quelques caisses m'étaient parvenues, directement de chez les Vacheron.
Pour faire bonne mesure, tant qu'à mettre le nez dans la cave, on se débouche d'abord un "petit" blanc, un 2011 générique, du genre où l'on attaque le fromage de chèvre poitevin dans l'apéro. Je digresse à nouveau, mais je dois dire que je ne suis pas d'une façon générale un grand amateur de sauvignon. C'est un cépage que j'ai même souvent tendance à fuir, notamment dans ses versions anglo-saxonnes (ou pour anglo-saxons), techno-pop, jelly-lovers, voire hispaniques (si, si!) où l'on frise l'écœurement. Mais quand je tombe sur du sancerre majuscule, de vrai vigneron, chez Vacheron, Cotat et quelques autres, je deviens alors inconditionnel du jus de sauvignon. Allez comprendre! Enfin bon, c'est tout compris…
Mais revenons-en au pinot noir. Dans la pénombre de la cave, j'aperçois une bouteille de sancerre plus sombre que les autres. Pas de doute, c'est du rouge. Par ici ma poulette! Un coup de tire-bouchon (que je laisse porter à ma dulcinée) et hop, on la laisse une demi-heure de côté, le temps de de lamper le blanc et de faire un sort au chèvre et aux rillettes. Vient le bouillon du pot-au-feu, avec du vermicelle, un tour de poivre et évidemment, à la fin, je ne peux pas m'en empêcher, le chabrot (là où je me trouve, en Haut-Poitou, on dit plutôt godaille). Ni une, ni deux, j'attrape la bouteille de sancerre rouge, sur le bahut, et hop, comme je le ferais d'une Caillère de Puzelat***, une giclée dans le fond de l'assiette (Jean-Dominique, excuse-moi…). Et là, c'est vraiment bon, tellement bon que j'ai envie de le chanter sur les toits! Criminel, mais infiniment moins que toutes les saloperies de cuisines de zones industrielles, chimico-moléculaires, tecnoemocional et tout le barda qui détruisent bien plus le vin que mon humble chabrot.
Et là, m'essuyant la moustache, je considère enfin la bouteille. Et je m'en sers un godet en mâchouillant un bout de pain de campagne. Et je le goûte. Et je me dit que je suis un con. Pas un con d'avoir fait chabrot, juste un con d'ouvrir ça si jeune, sans lui donner davantage de carafe. C'est un pinot "plein de bouche", étincelant, à rendre jaloux pas mal de Bourguignons (y compris à plusieurs zéros). De toutes façons, depuis que nous l'avons bue, sans en laisser une goutte, je n'ai qu'une idée en tête, l'oublier quatre-cinq ans et le goûter en même temps qu'un ou deux côtes-de-nuits auxquels je pense, et même à côté d'un des pinots australiens de Phillip Jones. Il me tarde!
Car, j'avais oublié de vous le dire, le vin de mon merveilleux chabrot n'est pas exactement le sancerre rouge de base des Vacheron, mais la Belle Dame 2008, le vin de garde. Quel con! Désolé…
*Il y en a tellement qui m'inspirent de cabernet-francs-du-collier que j'éviterai de les énumérer ici, j'en glisse juste deux qui pourraient constituer une bonne mise en route pour les réfractaires au breton, Les perruches de Gérald Vallée dont je parlais ici et un autre saint-nicolas-de-bourgueil, celui de Yannick Amirault, rien que son délicieux 2012 encore en cuve mais si gourmand, si charmant, un vin tendre comme son millésime.
** Dans le reste du Monde, selon une récente communication du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne reprise par Vitisphère, ce sont les États-Unis qui arrivent derrière la France avec 19353 hectares essentiellement répartis entre les états de Californie et de l'Oregon. L'Allemagne vient ensuite avec 11820 hectares, suivie par l'Australie (5113 hectares). Avec 4828hectares, la Nouvelle-Zélande pointe en cinquième place.
*** j'aime beaucoup ce pinot noir un peu rock n' roll du Clos du Tue-Bœuf, comme je le disais hier en goûtant le 2011, "ça tire droit", sensation confirmée plus tard dans la touffeur de la nuit angevine, avec un 2009 (et un émigré jurassien, étudiant en technologie).
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